042 Un nouvel espoir

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  Alors que la plupart des mineurs avaient été laissés libres, en attendant que la justice statue sur leur sort, Tenos et ses conseillers avaient été enfermés dans une prison militaire. Curieusement, ils n'avaient pas été mis dans des cellules individuelles mais regroupés par deux ou trois. Laxisme ou manoeuvre psychologique ? Le leader du mouvement devait présentement faire face à la colère de Neja, très remonté, lui d'habitude si timide.

  — Il s'est bien foutu de toi ! Il devait nous aider et il nous a trahi ! L'intervention de l'armée n'était pas prévue au programme.

Devant l’apathie de son chef, il reprit son discours, tout en marchant de long en large dans leur geôle et en appuyant ses mots de force gestes.

  — Le prophète avait initié un mouvement non violent, mais toi tu n'en avais cure : tu as agis à ta guise. Ça te plaisait de foutre le bordel de partout. Tu voulais quoi ? La révolution ? Tu vois où ça nous a mené tes conneries ?

Tenos secoua la tête et soupira.

  — Tu ne pourrais pas arrêter de tourner en rond comme un ours en cage ? Tu me fatigues. Et puis arrête de râler : je n'ai forcé personne à me suivre. Mes projets, tu y a cru comme moi, sinon tu ne serais pas là.

  — Je pensais que tu étais sûr de tes alliés. Ah, ils se sont bien foutus de toi !

  — Tu l'as déjà dit. Mais il n'y a pas que cela : le commando des forces spéciales, qui devait subrepticement nous donner un coup de main, aurait du s'emparer de la mine sans coup férir. En fait, ils se sont cassés les dents sur une poignée de mercenaires. De quoi vous dégoutter de payer des impôts ! S'ils avaient fait leur boulot, nous aurions été maîtres de la situation, avec des otages en plus. L'armée officielle y aurait regardé à deux fois avant de nous attaquer.

Reporter la faute sur les soldats n'était pas de nature à calmer son lieutenant :

   — As-tu seulement compris pourquoi le ministre de l'industrie t'as doublé ?

Tenos secoua la tête, désabusé.

  — Non, je ne sais pas ce qui l'a fait changer d'avis. Je suis écœuré. Il doit s'agir d'une basse combine politique. Tout son refrain sur sa volonté de débarrasser la planète de ces multinationales pourries, c'était du bidon ! Elles ont dû l'acheter...

Il se tut en entendant la porte de leur cellule s'ouvrir.

  — Ted Nostun !

Tenos regarda d'un air ennuyé le militaire qui l'appelait.

  — Et bien, bougez-vous !

Les deux hommes, qui escortaient l'officier, firent un pas en avant dans la cellule, menaçants. Le prisonnier préféra obéir mais en y mettant une mauvaise volonté évidente.

   — C'est bon, j'arrive.

Il se leva lentement et s'avança vers eux en traînant les pieds. L'un des soldats le poussa brutalement en avant, avec la crosse de son arme. Arrivés près de la porte de la cellule, le deuxième soldat sortit de sa poche une paire de menottes et les passa au prisonnier.

Les quatre hommes s'engagèrent dans le couloir, l'officier en tête et Tenos encadré par les soldats. Ils prirent ensuite un ascenseur qui les amena dans les sous-sols, au niveau des garages. Une voiture banalisée, mais munie d'un gyrophare, les attendait, moteur tournant et conducteur au volant. Sans un mot on fit monter le prisonnier à l'arrière, assis au milieu de la banquette, entre les deux cerbères. L'officier était monté à l'avant, à coté du chauffeur. Aucune parole n'avait été échangée. Tenos eut envie de faire un mot d'esprit, pour rompre ce silence glacial, mais il se douta que ses réflexions seraient, au mieux, ignorées.

La voiture sortit de l'enceinte militaire et se dirigea vers le centre ville. Les signaux de priorité en action, le pilote dirigeait son engin comme un fou, zigzaguant sans arrêt pour doubler les véhicules lents, quitte à empiéter sur les couloirs réservés à l'autre sens de circulation. Tenos, d'abord surpris pas ce gymkhana, finit par comprendre la hâte des soldats : ils avaient peur de rencontrer des sympathisants du mouvement, qui pourraient reconnaître leur leader et, qui sait, tenter un coup de force pour le délivrer. Cette constatation le fit sourire un instant, mais l'inquiétude reprit bien vite le dessus : qu'allait-il lui arriver ? Oseraient-ils le faire disparaître ?

Ils arrivèrent bientôt dans le quartier des ministères. Le véhicule s'engouffra dans la rampe d'accès au parking souterrain d'un bâtiment officiel, que Tenos n'eut pas le temps de reconnaître. Le débarquement se fit aussi vite que l'embarquement. L'un des soldats le poussa en avant, pour qu'il entre par une porte de service dans le bâtiment. On lui fit parcourir un certain nombre de couloirs, prendre plusieurs ascenseurs. Au fur et à mesure de leur progression, les locaux étaient de plus en plus luxueux. Curieusement, ils ne croisaient personne. Quoi qu'il lui arrive, il n'y aurait pas de témoin.

Ils entrèrent bientôt dans une antichambre. L'officier tendit sa lettre de mission à une charmante secrétaire. Le mineur constata que les qualités requises pour avoir ce poste n'étaient pas les mêmes que dans l'industrie. Toujours angoissé, il se dit que c'était peut-être la dernière fois qu'il voyait une jolie femme. Il la regarda attentivement, pour graver son image dans sa mémoire. Elle se pencha vers son interphone pour annoncer d'une voix douce et sensuelle :

  — Monsieur le Ministre, Monsieur Ted Nostun est là avec son escorte... Oui Monsieur.... Bien Monsieur.

Elle se tourna vers l'officier:

  — Monsieur le Ministre vous attend.

La porte du bureau se déverrouilla. Il entrèrent tous les quatre. Simon Temton s'approcha, jovial.

  — Bonjour messieurs. Vous pouvez lui enlever les menottes. Oui, oui, pas de problème. Et puis vous seriez bien aimable de me laisser seul avec lui. Non, je ne risque rien. Messieurs, je vous remercie.

Il accompagna les soldats jusqu'à la porte, qu'il referma lui-même. Tenos avait assisté, médusé, à la scène.

  — Et bien, cher ami, asseyons-nous, nous serons bien mieux pour causer. Je vous offre un rafraîchissement ? Il invita son visiteur à prendre place avec lui autour d'une petite table, dans un coin du bureau, comme si celui-ci était un collaborateur habituel. Tenos s'assit lentement, restant sur la défensive. Le ministre lui tendit un verre de jus de fruit, sorti du petit bar installé derrière lui, avant de s'installer sur l'autre chaise. Comme son vis-à-vis restait silencieux, il reprit la parole, sur un ton mondain un peu surfait.

  — Je dois tout d'abord m'excuser pour mon revirement un peu intempestif. Voyez-vous, la situation a évolué rapidement. Je n'ai donc pas eu le temps de vous prévenir. Oh ! Vous y êtes sans doute pour quelque chose. Votre action du coté de la mine a amené le président à négocier avec moi, ce qui n'était pas dans ses intentions au départ.

  — Ravis de l'apprendre !

  — Oui, vous pouvez ! Exit la Société Intergalactique des Mines ! Désormais le site sera géré par un consortium de Solera. Et, bien entendu, l'activité va rapidement reprendre. Un maximum de mineurs seront ré-embauchés. Vous devez être satisfait ?

  — C'est presque trop beau. Dites-moi, ne feriez-vous pas partie de ce consortium par hasard ?

Simon Temton laissa échapper un petit rire.

  — On ne peut rien vous cacher. Enfin, je n'y suis pas vraiment, mais j'y ai des amis. Attention, tout ceci n'est qu'un début : nous avons de grandes ambitions pour notre planète !

  — En somme, tout est bien qui finit bien ?

  — Exactement.

Tenos fit la moue et tendit ses mains en avant, comme si elles étaient encore attachées.

  — Sauf que, en entrant dans votre bureau, j'avais encore les menottes aux poignets. Et mes amis croupissent en prison !

  — Ne soyez pas amer. Si je vous ai fait venir ici, ce n'est pas pour me glorifier devant vous. En vérité, je souhaite conclure avec vous un nouveau marché.

  — Tiens donc. Vous souhaitez peut-être que je m'occupe maintenant de la succursalle solélarienne de la société sidérurgique d'Ursianne ?

Le ministre agita sa main droite pour illustrer sa satisfaction d'être compris à demi-mots.

  — Vous êtes malin. Effectivement elle est dans notre collimateur. Mais nous ne pensons pas à vous pour cela. Voyez-vous, vous êtes un peu... embarrassant. Maintenant que nous avons repris le contrôle des mines, il convient d'avoir un climat social propice à une reprise économique. Alors pas de syndicat virulent ni de mouvement pseudo-religieux sur Solera.

Tenos sentit la colère monter en lui.

  — Après nous avoir manipulés, vous voulez vous débarrasser de nous ? Parce que nous n'avons été que des marionnettes entre vos mains. C'est bien ça ?

  — Non mon cher ami. Je vous assure que je n'ai jamais envisagé de solution si... désagréable. J'ai parlé d'un nouveau deal entre nous, tout aussi officieux que le premier d'ailleurs. Je viens de vous expliquer que je ne souhaite pas avoir d'empêcheurs de tourner en rond dans mes jambes, ici, sur Solera. Alors je vous offre des vacances, à vous et bien sûr à vos amis. Je vous propose un séjour de longue durée sur Ursianne. Vous voyez que je ne me moque pas de vous.

  — Et que sommes-nous censés faire sur Ursianne ?

  — Mais ce que vous faisiez déjà si bien ici : foutre la merde !

  — Je vous demande pardon ?

Tenos était stupéfait par l'emploi d'une expression vulgaire de la part du ministre qui, jusqu'à maintenant, soignait son vocabulaire. L'effet était voulu, il n'en avait aucun doute.

  — Vous allez vous évader... Une erreur regrettable de vos geôliers vous permettra de disparaître dans la nature avec vos amis. Sur Ursianne, vous avez des... «convertis» qui vous attendent avec impatience. Ils espèrent que vous viendrez bientôt leur prêcher la bonne parole. Nos services secrets sont déjà à l'œuvre, pour vous préparer le terrain. Et vous allez les convaincre de combattre les multinationales honnies. Plus vous serez efficace, moins nous subirons ici leur concurrence... Vous voyez, nous sommes toujours «en affaire» ! Bien entendu, vous bénéficierez d'un soutien logistique et financier de notre part.

  — Et si je refuse ?

  — Voyons, mon cher ami, ne me dites pas que vous envisagez sérieusement de passer un très long séjour dans nos prisons militaires ! Le confort y est regrettablement limité !

Tenos eut un sourire en coin.

  — Je posais la question pour la forme.

  — A la bonne heure ! Je suis heureux que nous continuions à nous entendre. Je vais rappeler votre escorte : il faut sauvegarder les apparences ! Mais, très bientôt, vous aurez l'occasion de voir que je tiens parole.


Le retour se fit dans les mêmes conditions que l'aller. Dans sa cellule, Neja se morfondait, ne cessant d'envisager le pire, tout en se rongeant les ongles. Lorsqu'il vit son chef franchir la porte, il se releva d'un bond. L'un des soldats se méprit sur ses intentions et dégaina son taser. Le jeune mineur s'écroula, son corps agité de soubresauts incoercibles.

Lorsque, enfin, il reprit le contrôle de ses membres, et que, avec l'aide de son compagnon, il put s'asseoir sur son bat-flanc, il voulu savoir ce qui s'était passé. Tenos sourit.

  — Je n'avais jamais été appelé autant de fois « mon cher ami » par un personnage important. Je pense que notre avenir n'est pas aussi désespéré que nous le supposions jusqu'à maintenant.

— Mais encore ?

— Chut ! Les murs ont des oreilles ! Tu verras bientôt. Sois patient et aie confiance.

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