Printemps
Je traverse les bois. Depuis trois lunes, j’ai pris possession de ces territoires de terre et de branchages. Je m’étonne un peu de si bien vivre le dehors. Le village ne me manque pas. Je parcours les sentes laissées par les chevreuils, je me baigne au frais des ruisseaux, je chante avec les grives musiciennes. Ces journées, qui avaient commencé par la fuite, la peur et les hurlements, ont pris les couleurs de la lumière. Le retournement est total. Ils ont voulu m’attraper, mais en précipitant dans les bras feuillus de la forêt, ils n’ont fait que me libérer. Une renaissance. Je dors sur un tapis de fougères séchées, dans une cabane de pierres et de bois qu’un bucheron vagabond a du construire il y a déjà de nombreuses années. Je me nourris de salades de pissenlits et de baies sauvages, des fruits du merisier et des herbes folles. Comme c’est le village qui m’a rejetée, je n’ai pas beaucoup de scrupules à voler. Mon quotidien de racines est amélioré par le chapardage. Quelques fromages pris au berger, du saucisson dérobé sur une table, du pain pris ici ou là, et des raves, des raves encore – à croire que les gens ne cultivent que ça – arrachés directement à la terre. Je me sers de ce dont j’ai besoin, volant telle la chouette, silencieuse et nocturne. Oh ! j’ai le ventre vide bien plus que de raison, mais ce n’est même pas une souffrance. Je crapahute aux quatre vents. Je vis de soleil et de cabrioles dans les chênes.
J’ai gagné les bois, et ma vie commence.
Annotations