Chapitre 10

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Cette nuit-là, il rêva de l’assemblée, arrivé à l’édifice, partageant ses opinions, riant avec les élus. Ce fut un rêve chaleureux, presque trop. La négativité n’eut pas sa place ni son stress ou sa colère, seulement lui et la simplicité de la vie quotidienne.

Il aimait sa routine, elle le réconfortait dans ses journées, rien de mal se prévoyait, juste la bonne vieille routine. Forcément, lui qui détestait les surprises, il se satisfaisait de toutes les minutes sans encombre.

C’était surtout ce sentiment de gratitude qui le faisait vibrer, chaque jour, il remerciait le soleil de l’illuminer, les fleurs de partager cette odeur sucrée de béatitude, et le sifflotement des oiseaux de chanter à ses oreilles. Il était heureux de croiser des passants et recevoir leur sourire, quand ses seuls problèmes étaient le choix de sa cravate. Oui, la vie était belle.

Ah, cette cité, il pourrait lui donner son âme entière. Il n’y avait pas une seconde où il n’était pas comblé par ces siècles de batailles pour en arriver là. Une nuit de perfection. Comme si elle durait depuis l’éternité, comme s’il n’allait jamais se réveiller, et tant mieux, car il ne voulait pas la quitter.

Une soudaine angoisse lui revint comme un électrochoc dans la poitrine. Le réveil, sa hantise, il préférait s’enfermer dans son imaginaire que de retrouver Alannah. Ses yeux s’ouvrirent difficilement, et sans avoir le temps d’y voir clair, une odeur de produits ménagers lui tiqua. Quelque chose clochait. Il connaissait son appartement par cœur, jusqu’au poil sur un coussin, et ça, ce n’était pas chez lui.

Une lumière bleutée lui agressa sa rétine, et une couleur blanche lui fit regretter son rêve.

Bon sang. Bon sang de bonsoir.

Il se leva en sursaut, toucha des draps plus épais que les siens, et constata un tee-shirt d’un goût différent de ce qu’il portait sur son torse. Où était-il ? Où ça ?

Dites-moi.

À l’hôpital.

Mais pourquoi ?

À la vue de sa perfusion insérée sous la chair de son bras, son cœur se coinça dans un choc qui l’étouffa. Besoin d’air, vite. Sinon, il allait mourir d’une crise cardiaque. À moins qu’il le fût déjà et que son enfer personnel ressemblait à ça.

Mais Elwynn était à côté de lui. Alors, si elle n’était pas morte avec lui, il dramatisait. Elle le poussa dans la profondeur de son lit, l’incita à se soumettre à son corps et ne faire aucun geste brusque.

— Détends-toi. Tout va bien Eddy. Maintenant, ça va.

Ça va de quoi ? Et puis quoi encore ?

Il était encastré dans ce cauchemar et elle pensait réellement que ça allait. Non, ça n’allait pas. Et il en fut agacé, parce que c’était évident que ça n’allait pas bien du tout. Un peu d’efforts, il méritait d’être respecté et qu’on lui annonce la vérité. Allait-il mourir ? Avait-il une maladie ? Celle de l’enfant ?

Mince. Ça ne pouvait être que ça. Elle était contagieuse et les treize individus en quarantaine avaient été contaminés. Toute la nation se coltinait une épidémie. Il s’en voulut, c’était de sa faute. Il ne voulait pas que l’enfant vienne, il avait eu ce mauvais pressentiment de dérèglement.

Les jours se ressemblaient, pour tous, alors à la moindre sortie de la routine, même après un léger accident, les inquiétudes se déchaînaient. L’anarchie tenait grâce à la stabilité, chaque conduite pour chaque citoyen devait être la même, toujours. Ainsi, elle devenait invincible.

À force de socialisation vers l’égalité, plus personne ne se mettait au-devant ou ne dégradait autrui. Tout était parfait. Mais ajoutons une tache et le tableau se ruinait.

Alannah était une souillure qu’on nettoyait avec du détergent, qu’on calcinait pour en effacer la moindre particule. Elle avait ce besoin de se sentir différente, et elle l’était. Elle avait grandi dans la violence de ses parents, sans la battre, ils étaient infectés par un reste de leurs ancêtres.

Elle avait changé au verdict de son père. Elle s’était trouvé un but, celui d’une justice, affirmait-elle. Personne ne le comprenait, car la sentence avait été juste, comme à chaque fois. Au fond, cette haine provenait sans doute de la rancœur qu’elle éprouvait envers son père, d’être allé aussi loin et de l’avoir abandonnée.

— Eddy… Comment tu vas ?

Cette voix le coupa dans son cheminement de pensées, perdu dans des réflexions qui ne menaient nulle part. Eddy. Ce surnom lui fit chaud au cœur parce qu’il n’y avait qu’elle qui l’appelait ainsi. Cette proximité entre eux lui rappelait qu’il n’était pas seul. Il avait besoin d’elle, de son soutien, et ça lui brisait le cœur de se penser trompé.

Elle envisageait sa responsabilité dans la surveillance d’Alannah. Lui n’avait jamais douté d’elle. Il était là pour elle, tous les jours, à chaque chagrin, à toutes les déceptions qu’elle avait vécues, et ses disputes, ses problèmes, ses remises en question, il ne l’avait jamais laissée tomber. Et elle, elle avait osé.

Eddy, cette marque d’affection lui fit espérer qu’elle lui ferait assez confiance pour le croire malgré les preuves contre lui. Il souhaitait qu’une personne l’aime assez pour agir de la sorte. Un amour fraternel qui résistait à toutes les épreuves.

Aussi loin qu’il se souvienne, il ignorait d’où sortait ce nom. Un matin, elle avait décidé de l’inventer.

Ah oui, l’épidémie. Il était coupable de ce désastre, il n’avait pas géré la crise, Elesi était foutu en l’air. Est-ce que l’enfant était mort ?

— C’est l’enfant ? Sa maladie est contagieuse ? Mais ce matin, ça allait mieux. Finalement, non ?

— Quoi ? Non, pas du tout. Il va bien. Mais Eddy… Ce matin, tu dormais.

— Hum. Hier, je me suis trompé. Hier, à l’assemblée, ils ont dit qu’il n’était plus souffrant.

— Elder, on est le neuf. T’es resté endormi pendant quatre jours. T’as failli y passer. J’ai vraiment eu peur.

Deux minutes. Est-ce qu’elle venait vraiment de dire ça ? Il n’eut pas l’impression d’avoir comaté aussi longtemps. Certes, son rêve avait été assez long pour profiter de sa douceur, mais de là à parler en jour, non. C’était donc pour ça qu’il sentait son corps engourdi.

Que s’était-il passé ? Sa confusion l’empêcha de réfléchir, tant d’hypothèses se battaient dans sa tête, et tant de panique. Il devait y avoir un problème, un gros. Si Elesi était à feu et à sang ? Et si les frontières avaient été rompues ?

Il se releva par l’envie de contrôler la situation, d’être plus haut, plus combatif, il était hors de question qu’il soit resté aussi faible et vulnérable pendant autant de temps. S’il pouvait se mettre debout, partir observer chaque rue pour être sûr que tout tenait en place, il le ferait. Pour l’heure, il n’avait que la parole.

— De quoi tu parles ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Tu ne t’en souviens donc pas… Tu as essayé de te suicider avec des somnifères.

Alors ça, c’était la meilleure. S’il y avait une chose improbable, c’était celle-là. Déjà parce qu’il n’était pas malheureux, et puis jamais il ne renoncerait à la vie. Il était conscient de la chance d’être vivant, quand d’autres étaient malades, décédaient à peine nés, ou qu’ils avaient un accident. Il savait que sa vie pouvait s’arrêter du jour au lendemain, que l’heure d’après, il serait peut-être mort.

Il n’était pas un insoucieux qui ne pensait pas à la mort. Au contraire, pour lui, définir sa relation avec elle permettait d’apprécier la vie. Il était hors de question de subir son existence, de souffrir, de survivre, ça signifiait que la mort était déjà proche.

C’était insensé de lui dire une telle horreur. Et dans toute cette histoire, Elwynn avait accepté cette idée sans broncher. C’était pire que de mourir pour Elder, car en fin de compte, personne ne le connaissait vraiment.

Pourtant, c’était facile de deviner sa répulsion de l’idée de mettre fin à ses jours. Quiconque avec un peu de bon sens le ferait. Mais pas elle.

Qui serait là pour lui ?

N’y pense pas. Ça ne te fera que du mal.

Sa conscience avait raison. Qu’elle le croie capable d’en arriver là ou non, il n’en avait rien à faire.

Qu’elle pense ce qu’elle veut.

Terminé. Une rupture s’imposa en Elder, un fracas qui bousillait sa nature, qui fissurait sa personnalité, qui allait le changer. Parce qu’il était en détresse. Pas de malheur, il fut heureux, les yeux ouverts sur sa sœur, sur lui, sur le monde.

Pas le temps de s’attarder sur Elwynn, tant pis si elle le considérait suicidaire. Cette colère à son égard, cette déception de tomber de haut, d’en finir avec une personne qu’il estimait, non pas qu’il la virait de sa vie, mais son point de vue évoluait.

Ses veines bouillonnaient de rage intérieure, et les battements de son cœur lui feraient presque penser à une crise cardiaque, il n’était que haineux. À cause d’elle.

C’est elle.

Cette maudite Alannah, ça ne pouvait être qu’un coup de sa part. Elle l’avait prévenu et il avait été assez naïf pour imaginer s’en sortir. Elle avait tenté de le supprimer. Elle avait dû s’introduire dans son appartement, bourrer son café de somnifères et l’admirer l’engloutir pour ne jamais se réveiller. Elle était une meurtrière, comme son père. Qu’elle soit sanctionnée.

Il avait l’avantage d’être vivant, la preuve qu’elle devait être punie. Il allait tout faire pour qu’elle le soit. Dès lors, Elesi retrouvera sa paix.

— Non, non. Non ! J’ai rien fait ! Ce n’est pas moi. Ça… Ça doit être elle, Alannah, elle a dû m’empoisonner. Elle l’a fait, c’est sûr !

— Je suis désolée Eddy, mais on n’empoisonne pas avec des somnifères. Tu te bases sur rien.

— Et ses menaces ? Elle me l’a dit. Je vais te faire payer. C’est ce qu’elle m’a dit. C’est elle.

Dans le regard de sa sœur, il vit une méfiance, celle qui démontrait qu’il avait déjà perdu. Il ressemblait à un fou. Le genre de malade mental paranoïaque qui pensait que le monde entier voulait sa perte et que chaque passant était un espion qui l’assassinerait. Le genre à inventer un complot contre lui sorti de nulle part. Le genre qui ne serait jamais crédible auprès des autres.

Qu’il continue d’affirmer qu’on essayait de l’exterminer, il crierait en vain. La seule chose à faire, se battre en duel, seul à seul, et la vaincre. Il n’y avait que lui, seulement lui-même à qui il faisait confiance, parce que ses sens ne le trompaient pas, et son instinct avait toujours raison. Alors il n’abandonnera pas et trouvera le moyen de rétablir une justice.

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