9 - Cour des Miracles
Titus me traina dans un squat louche. Enfin, vraiment louche. J’eus maintes fois l’occasion d’en fréquenter pendant mes années de service, et même d’y passer quelques nuits par la suite. Celui-ci était d’un genre bien particulier. Nous nous trouvions dans une friche industrielle insalubre. Tout le quartier avait été fermé quelques décennies plus tôt à cause de la pollution. Les industries locales avaient tellement déversé de merdes toxiques autour d’elles que les scandales sanitaires avaient poussé le Sénat à prendre des mesures. Enfin, cela s’était résumé à foutre dehors manu militari les pauvres malheureux qui trainaient encore dans le coin faute de mieux et à construire un mur d’enceinte protecteur, le temps que ça se tasse et que la nature fasse son effet pour que le coin redeviennent vivable…
Titus donna un mot de passe à deux types patibulaires qui gardaient le secteur et me fit franchir une brèche dans le mur. Une fois à l’intérieur de l’enceinte, la Cour des Miracles se dévoila. Il y avait au bas mot une centaine de personnes qui trainait ici. Cela ressemblait à un marché couvert sous un ciel de béton décrépi, mais à la place des fruits et légumes, les étales proposaient des cartes à puces ou des pièces cybernétiques de contrebande. Titus échangea quelques amabilités et crédits tubes avec des passants pendant que je détaillai la foule. Contrairement aux autres squats de miséreux ou de junkies que j’avais pu connaitre, celui-ci abritait une faune bigarrée de tous horizons. Sans être pleins aux as, certains n’étaient clairement pas le besoin. Tous étaient câblés et tous étaient ici pour la même chose : faire des affaires avec les dathacks. Certains étaient probablement des cyberaddict en manque de leur dose de Virtualis, d’autres cherchaient le moyen de faire effacer leurs traces du Ret ou de nettoyer leurs données personnelles pour protéger leur petit cul de bien-pensants. D’ailleurs, la plupart masquaient leur visage derrière d’épaisses lunettes ou foulards.
Je rabattis machinalement la manche de ma veste sur mon avant-bras de classe militaire. Autant ne pas trop attiré l’attention.
Titus me fit signe de m’approcher au bout de quelques minutes. Il était en discussion avec une jeune femme en fauteuil roulant qui n’avait apparemment pas les moyens de se payer des prothèses de jambes. Elle dégageait une certaine classe malgré ses habits déchirés, sa chevelure brune hirsute et ses nombreux tatouages sur le visage.
– Marcus, voici Cypher. Elle peut s’occuper de ton petit problème, me dit-il brièvement en me présentant son interlocutrice.
La jeune femme me dévisageait de bas en haut. Son regard froid vint se planter dans le mien. Elle se gratta la tête et sembla réfléchir quelques instants. Un silence s’installa.
– Cool, repris-je. On peut régler ça rapidement ?
– C’est 1500, payable en avance, me rétorqua-t-elle.
– Quoi ? 1500 pour une Civ-Chip pirate ? Tu te fous de ma gueule ? J’ai payé la dernière moins de 800 !
– Titus, explique à ton pote lourdaud que mon talent a un prix et qu’il a la tête d’un gars qui a besoin d’un travail vite fait, bien fait.
Cypher s’adressait à Titus tout en continuant de me fixer droit dans les yeux. Elle n’avait franchement pas l’air de vouloir négocier.
– Putain, fais chier. Tiens, les voilà tes 1500 sesterces, lui dis-je en sortant mes derniers crédits tubes de la poche.
Nous suivîmes le fauteuil roulant au travers des étales et des décombres. Faut dire que faute d’entretien, les infrastructures des bâtiments commençaient à lâcher. Il fallait vraiment être ramolli du bulbe pour passer ses journées ici. Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvâmes dans un ancien bloc de chantier en plastibeton reconverti en salle d’opération. Ce ne fut qu’une fois solidement attaché au fond d’un vieux siège de dentiste que je regrettai de lui avoir filé le pognon d’avance. Putain, il y a des chances, tout de même non négligeables, qu’elle me grille le cerveau. Titus, j’espère vraiment que tes contacts valent le coup !
Ce n’est que lorsque le microforet franchit ma boite crânienne au niveau des cervicales que je perdis connaissance. La dernière image que je vis avant le black-out fut celle du regard pervers de mon ami Titus en train de mater la poitrine de ma tortionnaire.
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