[18] nuit tranquille...

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La nuit était tombée sur la forêt bordant le castel Iontach. Golog, l’éclaireur orque, se glissait silencieusement d’un arbre à l’autre en se dissimulant soigneusement après chaque déplacement.

Le Xarkhan avait beau jurer qu’il n’y avait plus de danger, sous prétexte que la période de pleine lune était passée, il était encore terrifié du spectacle de ses compagnons déchiquetés et, quelquefois, à moitié dévorés.

Quoi qu’il en soit, il était arrivé près du château sans faire de mauvaises rencontre, et sans entendre le hurlement qui précède habituellement la proximité d’un loup garou.

Il ne lui restait plus qu’à approcher suffisamment près des remparts pour compter les hommes de gardes et revenir faire son rapport. Ensuite, l’assaut serait donné et les troupes de chocs seraient en première ligne, et lui bien à l’abri à l’arrière. Seul avantage de son statut d’éclaireur.

Dans le fond, il avait de la chance…

L’apparition soudaine d’un rai de lumière blanche le fit sursauter… le nuage qui dissimulait l’astre lunaire venait de se déplacer, dévoilant dans le ciel un trois-quart de disque lumineux.

Il se colla aussitôt à l’arbre le plus proche et attendit en maudissant les battements de son coeur dont, pensait-il, le bruit pourrait attirer la bête.

Même au trois-quart de ses forces, un garou restait dangereux… bien trop pour un éclaireur à peine formé.

Après quelques minutes, il reprit sa marche et arriva bientôt à portée de vue du château. Cette fois, la lune allait l’aider à repérer les gardes. Il entreprit l’escalade d’un chêne pour trouver un meilleur point de vue sur les remparts, sans quitter le château des yeux.

C’est alors qu’il entendit ce qui ressemblait à un raclement de gorge au dessus de lui.

Il leva la tête et aperçut une jambe nue décorée de peintures bleues.

Un jambe imberbe et fine… elle ne pouvait appartenir qu’à une femelle humaine. Golog retint un gloussement de satisfaction. Ce ne pouvait être qu’un mirage, mais c’était un joli mirage. Au dessus de cette jambe se trouvait un corps dont les charmes étaient à peine masqués par un pagne en peau de bête. L’humaine regardait fixement Golog et lui fit signe de la rejoindre. C’est alors que l’orque comprit que ce n’était pas un mirage…

Tous les humains craignent et détestent les orques, mais ils leur reconnaissent une puissance et une vigueur absente dans leur propre peuple. Certaines humaines en particulier sont fascinée par cette vigueur réelle ou supposée (réelle dans le cas de Golog, selon son propre point de vue) et les naissances de demi-orques n’étaient pas nécessairement le résultat d’un viol.

Golog accéléra sa progression.

Trois mètres, deux mètres, un mètre… il était maintenant assez près pour reconnaître dans les peintures bleutées les marques caractéristiques des sorcières barbares. La femelle lui souriait. Il n’avait plus qu’à tendre la main pour toucher cette peau délicate.

— crac ! Murmura la sorcière.

Aussitôt, la branche qui soutenait le poids de Golog se cassa et l’éclaireur perdit l’équilibre.

Le cri de victoire de la sorcière accompagna sa chute.

* * *

Entouré par ses gardes du corps, Ushnag avançait lentement dans la forêt. Alors qu’il tendait l’oreille à l’affût du discret sifflement de ses éclaireurs, un hurlement effroyable se fit entendre.

— Pikth ! Cracha-t-il.

De tous les peuples humanoïdes, les pictes étaient ceux que les orques craignaient le plus… ils les craignaient bien davantage que les elfes sylvains, qui étaient pourtant capables de les égaler en sauvagerie. Mais si les pictes étaient dans la région, l’affaire serait bien plus compliquée que prévu.

Il siffla doucement et une silhouette encapuchonnée s’approcha de lui.

— À votre service, Xarkhan, murmura Grigroth le sorcier.

— Tu as entendu ce cri ? Qu’est ce que tu en penses ?

— Ce sont des Pikths, puissant Xarkhan.

— Je le sais, puissant imbécile. Comment se fait-il que tes présages ne t’aient pas averti ?

Chaque fois que ses plans étaient contrariés, le Xarkhan Ushnag éprouvait un besoin irrésistible d’en rendre responsable un de ses subordonnés… le sorcier était sa cible favorite.

— L’autre grand sorcier ne les a pas repéré non plus, répliqua Grigroth. Ses pouvoirs sont pourtant bien plus étendus que les miens… il a un œil dans l’autre monde.

— L’autre grand sorcier ? murmura Ushnag avec une pointe de respect, plutôt rare chez lui. L’autre grand sorcier est trop grand et s’occupe de trop grandes choses pour avoir à régler ces futilités. Les grands sorciers font de grandes choses, les petits sorciers font de petites choses… toi ! Tu es un petit sorcier.

— Et ou en sont les grandes choses de ton grand sorcier ? Demanda Grigroth. Quel plan fabuleux a-t-il proposé ?

— Chûûûûût grogna Ushnag. Il pourrait nous entendre… Écoute Grigroth, son plan est simple mais génial : nous lançons une attaque contre le château, mais ce n’est qu’une diversion. Pendant que la garnison est distraite, le grand sorcier pénètre dans le château avec ses pouvoirs magiques, il tue le seigneur et sans chef, la garnison est incapable de lutter. Il sera alors facile de les disperser et de capturer les plus lents, ils serviront d’esclaves ou de nourriture. La femelle du seigneur rapportera de l’or… beaucoup d’or.

— Et pendant que nos guerriers occuperont les bretons, votre nouveau « grand et puissant sorcier » sera seul pour prendre le trésor du château, et nous n’aurons que les miettes… à supposer que la femelle survive et qu’on arrive à la vendre. Ce sont nos guerriers qui vont mourir, et c’est le grand sorcier qui prendra les bénéfices.

— Nous ne lui laisserons pas le temps de prendre le trésor… dès que la garnison sera neutralisée, nous fouillerons le château et nous prendrons le trésor. S’il en veut une part, il devra la demander.

— Bien sûr ! Répondit Grigroth

— Bien sûr, répéta Ushnag qui n’avait visiblement pas saisi l’ironie de la réponse.

— Et si les Pikths nous attaquent ? Demanda Grigroth.

— Seuls leurs éclaireurs voient dans le noir, ils ne prendront pas le risque d’intervenir avant l’aube… tout sera fini bien avant.

Un léger sifflement se fit enfin entendre.

— Ah ! Il n’y a aucun ennemi sur la route du château… et nos éclaireurs ont vu quelque chose d’intéressant. Allons-y.

Suivant le son des sifflements et de discrets signes de pistes que seuls les orques pouvaient déchiffrer, Ushnag rejoignit bientôt un chef éclaireur sous le couvert des arbres, à seulement quelques dizaines de mètres du château.

— Salut à toi, puissant Xarkhan, murmura l’éclaireur. Je viens de découvrir quelque chose d’intéressant…

— Tu es seul ? demanda Ushnag. Vous deviez être deux dans ce secteur.

— Golog est mort, répondit l’éclaireur. Il a voulu grimper à un arbre pour observer les remparts mais il a fait une chute.

— Quel imbécile, ricana Grigroth.

— Aucune importance, reprit Ushnag. Qu’est ce que tu as découvert ?

L’éclaireur désigna un pan de la muraille.

— Vois, Xarkhan, murmura l’éclaireur. Il y a des hommes sur les remparts qui passent toutes les dix minutes, on peut les repérer facilement avec leurs lanternes. Mais en dessous, c’est beaucoup plus intéressant… Il y a une poterne qui n’a pas été murée, et j’ai vu une silhouette entrer par là. Une petite troupe devrait facilement y entrer et surprendre la garnison…

— et le puissant sorcier ne pourra pas s’emparer du trésor, ricana Ushnag. Grigroth ! Nous allons retourner à l’arrière et nous attaquerons demain soir. Il me faut dix guerriers, les meilleurs que tu peux trouver. Double-butin pour chaque volontaire.

Alors que Grigroth s’en allait en grognant, Ushnag reporta son attention sur les chemins de ronde. Il mesura intérieurement la durée des tours de ronde et remarqua que les guetteurs devaient périodiquement répondre à des cris lancés par les officiers. Les cris et les réponses changeaient à chaque passage, ce qui excluait pour les orques de remplacer les sentinelles une par une. Mais la découverte d’une poterne ouverte – ou au moins facile à ouvrir – changeait la donne. Il surprendrait les bretons pendant leur sommeil et les sentinelles continueraient à monter la garde au dessus des cadavres de leurs compagnons d’armes.

Cette seule idée mit un sourire carnassier sur le visage du Xarkhan.

* * *

Au petit matin, les derniers veilleurs de la nuit prirent leur tour de repos en se demandant s’ils devaient être soulagés ou déçus de ne pas avoir subi d’attaque. Bien sur, les sentinelles avaient entendu le cri surraigu d'un picte, et l'officier de service en avait tiré une conclusion plutot rassurante: les pictes ont bel et bien l'intention d'attaquer les orques, et ils tenaient à le faire savoir à leurs alliés d'occasion.

Dès que le soleil fut assez haut dans le ciel, les tambours de guerre se firent entendre. Un homme d’arme fut envoyé en urgence pour prévenir Eadrom qui rejoignit rapidement l’officier de garde.

Alors que le château Iontach est assiégé par une armée d'orques, de sinistres tambours de guerre font entendre leur chant de mort...

C'est à ce moment là que Fradj le Barde rejoint ses compagnons sur les remparts.

C’est au son des tambours de guerre
au plus profond de la Goria
qu’affronta les gobelins parias
le bon Gwendalf, le magistère

Bom bom bom

Mais par l’infame vile félonie
un démon de feu et de rage
abattit le blanc archimage
le jetant dans un gouffre infini

Bom Bom Bom

C’est ainsi que, qui l’eût cru ?
Le vaillant sorcier mourut
nous raconte ce récit ancien

Bom Bom Bom

Retenez donc bien mon sermon,
n’affrontez jamais les démons
même si vous êtes un magicien

— Ce sonnet m’est-il destiné ? s’inquiéta Antonius.

— Oh, pas le moins du monde, répliqua Fradj. J’étais juste en train d’improviser sur « le voyage dans la Goria » de Jasper Raoul Radagast Tarkin, le plus fabuleux conteur d’épopées de tous les temps… Les orques ont le sens du rythme, on ne peut par leur enlever ça…

— Et bien pour vous faire plaisir, nous épargnerons les tambours et vous pourrez créer un orchestre, proposa Fizran d’un ton clairement ironique.

— C’est vrai ? Demanda Fradj.

— NON ! Répliquèrent ensemble ses trois compagnons.

Eadrom se tourna vers Fizran.

— Les orques ont visiblement l'intention de nous empêcher avant d'attaquer. Vous pensez toujours que ce sera pour cette nuit ? Ils pourraient très bien attendre que nous ayons passé trois ou quatre jours sans dormir pour attaquer à l'improviste.

— Oui ils pourraient, répondit Fizran. Ils pourraient le faire s'il n'avaient pas faim et si les pictes n'étaient pas de la partie, et cela fait deux bonnes raisons pour qu'ils attaquent rapidement, mais je crains qu'il n'y en ait une troisième... Dites moi Antonius, le mort vivant que nous avons combattu la nuit passé était-il bien celui que je pense ?

— Hélas oui, confirma le mage. Il s'agissait bien d'Hector, relevé sous forme de goule. Et sa présence ici nous donne de bonnes raisons de craindre que Nécros y soit également, s'il est revenu à la vie comme vous le prétendez...

— Et ils sont probablement alliés aux orques, ajouta Eadrom.

— Mais les pictes sont de notre côté, poursuivit Antonius.

— Et Dieu défend le bon droit ! Nous allons donc forcément gagner !

L'intervention inattendue du maître d'armes, qui n'avait visiblement pas suivi le début de la conversation, mit brusquement fin au débat.

— Et bien mes amis, reprit le maître d'armes. Vous n'êtes pas de mon avis ?

— Bien sûr que si, répondit Eadrom. Ils attaqueront cette nuit et - avec l'aide de Dieu - nous leur flanquerons la raclée qu'ils méritent.

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