Chapitre VI : Le départ d’Alpénas
C’est au bout de seize jours, seize jours à préparer leur périple et leurs affaires, que Paflos reçut une réponse à sa demande. Elle se matérialisa sous la forme d’un homme, qui arriva à Alpénas en milieu de journée. L’homme salua d’abord très protocolairement Paflos, avant de le prendre dans ses bras, pour de grandes embrassades amicales. Une fois les salutations faites, Paflos emmena son remplaçant faire un tour du village, laissant Arion seul à la maison. Ce dernier en profita pour terminer leurs paquetages et suivre une dernière fois leur parcours sur la carte. C’était un long périple, à ses yeux. Si son lui du passé avait peut-être traversé les sept royaumes de part en part, Arion n’était jamais allé au-delà du Pélargis, qui paraissait ridiculement prêt d’Alpénas, sur la carte… Soudain, on frappa à la porte. Etonné, Arion ouvrit. C’était la Boulangère.
–Bonjour Arion. Paflos est passé il y a quelques minutes avec un drôle de bonhomme. Il paraît que vous allez partir tous les deux pour Silverberg ?
–Oui, en effet. acquiesça le jeune homme.
–Pour une raison particulière ?
Arion eut un petit sourire. Il comprenait très bien ou son interlocutrice essayait d’aller. Il dodelina alors, et répondit :
–Pas de voyage en amoureux, je vous vois venir. Je dois juste me rendre en ville, on m’a dit que quelqu’un devrait m’aider à guérir mon amnésie.
–Oh… C’est bien dommage. fit la femme, avant de se reprendre immédiatement. Enfin je veux dire pour vous deux, pas pour l’amnésie !
Comme pour cacher sa gêne, la boulangère tendit à Arion un panier contenant ses spécialités : une tarte aux pommes, une large miche de pain, et bien sûr une bonne quinzaine de choux à la crème de noisette.
–Tenez, pour votre voyage ! Comme ça vous aurez pas trop le mal du pays !
–Vous savez, on sera de retour dans une semaine au maximum.
–Eh bien oui, un choux chacun par jour, avec une tranche de pain et de la tarte pour le dessert !
–Vous nous gâtez trop, il ne fallait pas…
–Disons que c’est pour le service rendu par Paflos à la communauté. On a pas l’occasion d’assez le remercier, mais si on est en sécurité dans la vallée c’est grâce à lui ! Dites-lui que c’est en guise d'étrennes du solstice !
La boulangère donna alors son panier à Arion, avant de le serrer dans ses bras, comme on serrerait un fils qui partirait à la ville, ou à la guerre, avant de partir, laissant le jeune sorcier seul. D’autres personnes passèrent faire leurs au-revoir à Arion ; Le Père Lothin, le podestat… Tous semblaient plus dire adieu à Arion que réellement au-revoir. Mais Arion allait revenir au village. Paflos allait le protéger des menaces sur le chemin, et l’effacement du voile de son esprit n’allait pas l'empêcher de retourner auprès de ses amis… N’est-ce pas ?
Les angoisses d’Arion n’eurent pas le temps de s’installer, puisque les deux hommes d’armes rentrèrent de leur promenade à travers le village. Paflos avait présenté à son remplaçant les principaux points stratégiques de la vallée, mais aussi, le devinait Arion, aux habitants du village. En entrant dans la maison, Paflos dit à son remplaçant.
–Je te laisse ma maison le temps de notre voyage. Elle n’est pas luxueuse, mais tu verras, on s’y sent vite chez soi. On est à la fois proche et isolé d’Alpénas, on a un puits, et avec la forêt, du bois à profusion.
–Quand partez-vous ? demanda le remplaçant
–Demain matin, avant que le soleil ne sorte des montagnes.
Le remplaçant acquiesça. Son regard balaya la pièce unique de la maison, avant de s'arrêter sur le lit de Paflos. Il souffla du nez, se tourna vers Arion, puis Paflos, avant d’inquisiter :
–Un seul lit ?
–Et alors ? répliqua sèchement Paflos.
–Un seul lit pour deux hommes ? Tu sais ce qu’en penserait le Sergent.
–Je crois que je m’en fiche. De toute manière, je ne dors pas avec Arion, mais à côté, par terre.
Le remplaçant eut alors un rictus, visiblement peu convaincu, mais préféra ne pas relever. Paflos repris :
–Ce soir tu dormiras à ma place.
–A côté de ton “ami” ?
–Par terre. grogna Paflos.
–Et toi, tu dormiras où ? Demanda doucement Arion.
–Je me débrouillerai.
–Il faut que tu sois en forme pour demain, hors de question que tu dorme n’importe ou ! tonna le jeune sorcier.
Arion s’était mis devant son ami, les poings sur les hanches et le regard sévère. Le remplaçant souffla du nez, un rictus au visage. Si le jeune sorcier voulait lui donner l’impression que Paflos et lui étaient ensemble, il n'aurait pas pu faire plus explicite. Mais Arion se fichait pas mal de ce que pouvait penser cet homme. Le voyage qui les attendait nécessitait d’avoir un Paflos en pleine forme. C’est pourquoi il continua :
–Tu n’as qu'à dormir avec moi.
–Je doute que ce soit une bonne idée, Arion…
–Pourquoi ? Le lit est assez grand, et ce n’est que pour une nuit.
Paflos lança un regard furtif à son remplaçant, dont le visage déformé par un sourire en coin voulait tout dire.
–Je me fiche de ce que pense ton ami. continua Arion. Tu dois dormir, dormir sur un vrai lit. Si jamais ça te dérange, c’est moi qui irai dormir ailleurs.
–Il en est parfaitement hors de question.
–Arrête de me traiter comme un enfant. siffla le jeune sorcier, dont les yeux se chargèrent de garance.
–Si vous voulez que je sorte… marmonna le remplaçant .
–La ferme, c’est pas le moment. grogna Paflos à l’attention du soldat.
Le concerné se renfrogna un peu, et s’adossa contre un mur, en retrait. Paflos se tourna alors vers Arion et regarda quelques instants ses yeux. Il n’aimait pas les voir rougir ainsi. C’était généralement douloureux, et il ne voulait pas que son remplaçant assiste à une “explosion” d’Arion. Il n'avait pas d’autre choix que d’accepter ce que proposait son ami. De toute manière, que risquait-il ? Des moqueries de son collègues, et après ?
–Si on dort tous les deux dans le lit, tu te calmeras ? demanda l’homme d’armes.
–Je suis calme. objecta sèchement l’intéressé.
–Tes yeux brillent, la dernière fois tu as détruit ma tartine et mon dos. Tu n’es pas calme.
Arion le fusilla du regard. Pourtant son ami avait raison. Déjà il sentait crépiter sa magie au bout de ses doigts, et sentait cette énergie s'agglutiner autour de lui, même si elle restait imperceptible. Le jeune homme soupira alors, et laissa sa colère redescendre. Ses yeux devenant doucement à leur rubie naturel. Paflos frissonna. L’énergie magique de son ami s’échappait et, pour la première fois, s’évapora doucement autour d’eux.
Le reste de la journée ne connut aucun autre incident. Les trois hommes purent discuter posément. Malgré ses sous entendu et son regard chargé en jugement sur la relation supposée entre ses deux hôtes, Arion trouvait le remplaçant de son ami plutôt sympathique, surtout à mesure que la journée, puis la soirée, avancaient. Les deux soldats poussèrent même la chansonnette, alors que leur soirée prenait fin. Le jeune sorcier les accompagnait, quand la chanson s’y prêtait et qu’il la connaissait. Mais il les laissait souvent en duo lorsqu’ils passaient à des chansons de troupes et de bivouac, dont la vulgarité faisait rire autant que rougir Arion.
Quand l’heure d’éteindre les feux sonna, Arion gagna son lit, devant le partager pour la première fois depuis son arrivé a Alpénas, et peut être de sa vie. Sous les rires et les blagues pleines de sous entendu du remplaçant, Paflos et le jeune sorcier s’allongèrent, dos-à-dos, dans l’unique lit de la maison. La dernière lumière s’éteignit dans un souffle, plongeant la chaumière dans l’obscurité. Arion chercha le sommeil de longues heures, saisit de l’angoisse des conscrits. Il allait découvrir le monde extérieur, s’aventurer au-delà de la vallée, seul espace que son esprit daignait reconnaître. Peut-être même obtiendrait-il des réponses à Silverberg… Et s’il n’en obtenait pas ? S’il revenait bredouille ? Arion tenta de penser à autre chose, se força à dormir. Pourtant ses rêves n’étaient en rien plus amusants. Encore, et toujours, il voyait ces horribles cauchemars, entendait ces hurlements qui déchiraient son âme. Le jeune homme s’agita dans son sommeil, poursuivi par ces flammes, ces cris, cette haine destructrice…
Soudain, tout s'arrêta. Arion se réveilla quelque peu, en sentant quelque chose se coller à lui. C’était Paflos. L’homme d’arme le serra doucement contre lui. Il était impossible pour Arion de savoir si son ami dormait ou était pleinement conscient de ce qu’il faisait. Mais à vrai dire, il s’en fichait. Ce simple geste le calmait, était comme un bouclier contre la haine piégé dans sa tête. Doucement, Arion se laisse à nouveau emporter par le sommeil, tout contre son ami. Pour la première fois depuis des lustres, Arion rêva. Un rêve merveilleux.
*****
–Vous êtes sûr que vous n’oubliez rien ?
Le soleil brillait à peine au-delà des montagnes, créant comme une auréole autour des pics blanchis par leurs neiges éternelles. Arion et Paflos, sac au dos et, pour l’homme d’armes, épée à la ceinture, étaient en train de terminer leurs préparatifs, aidés par le remplaçant de l’homme d’armes.
–Normalement non, assura Paflos.
–Parfait, alors. Faites bonne route, tous les deux. Et ne t’en fait pas, Alpénas est entre de bonnes mains.
–Je n’en ai aucun doute. Que les Dieux soient avec toi, mon ami.
Les deux hommes quittèrent alors la chaumière et partirent en direction du nord. Doucement, le soleil venait dépasser les cimes des montagnes, projetant l’ombre de ces géants de pierre sur la vallée. Arion baladait son regard sur cette dernière, alors que le sinueux chemin qu’ils empruntaient prenait de l’altitude sur son coteau occidental. Au village, les premières fumées s’élevaient déjà de certaines maisons. La boulangère devait être en train de cuire son pain. De l’autre côté, c’était les vaches du Père Lothin qui pâturaient dans l’ombre des montagnes. Que la vallée était calme… Bercé par le vent la traversant depuis le nord, et par le chant des oiseaux. Arion en était sûr, il était amoureux de cet endroit. Peut-être était-ce un amour d’adolescent, celui qui ne dure jamais toute une vie, et qui s'efface à mesure que la vie s’ouvre à nous. Peut-être que le voile de son esprit cachait des lieux encore plus idylliques, plus majestueux par leur simplicité. Mais il en était sûr. Alpénas gardera, quoi qu’il advienne, une place toute spéciale dans son cœur.
Alors que le village disparaissait au détours d’un virage, Arion ne put s'empêcher de s'arrêter, et de se retourner vers la vallée. Et si le comportement des Alpénasiens étaient justifiés ? Et si… Et si Arion ne revenait jamais ? Peut être était-ce la dernière vu qu’il garderait du village, son village. C’est alors qu’une main se posa sur son épaule. Arion la regarda quelques instants avant de ramener ses yeux sur Alpénas. Ni lui ni Paflos n’eurent à dire un seul mot pour comprendre ce que ressentait le jeune homme. Ils restèrent ainsi quelques instants, à regarder le soleil s’élever de derrière les montagnes, les ombres des géants se réduire, la vallée s’illuminer… Au bout d’un temps indéfinissable, les deux hommes reprirent leur chemin, s'avançant sur la route du Pélargis.
–Dit, Paflos… Tu… Tu penses que je reverrai Alpénas ? balbutia Arion.
–Bien sûr, pourquoi cette question ?
–Les habitants du village semblaient… Persuadés qu’ils me disaient adieu, et non au-revoir.
Paflos souffla du nez, et continua.
–Ils pensent juste que tu n'auras aucune raison de revenir, une fois que tu auras retrouvé la mémoire. Un voyageur comme toi, ou plutôt comme celui que tu semblait être, a certainement vu mille-et-une vallée d’Alpénas. Et tout autant, si ce n’est plus encore d’endroit bien plus beau.
–Et si on mourrait sur le trajet ? demanda le sorcier.
L’homme d’armes garda le silence quelques minutes, serrant machinalement son poing sur le pommeau de son épée. Il se tourna alors vers son ami, et sur un ton péremptoire, lui assura :
–Nous reviendrons vivant, Arion. Je t’en fait le serment.
Puis, sur un ton bien plus léger, il ajouta :
–Entre un champion de la fête du solstice et un sorcier destructeur de tartine et de vaisselle, nos ennemis n’ont qu'à bien se tenir.
Arion souffla du nez. Pas de quoi rire aux éclats, mais ce petit commentaire avait réussi au moins à faire oublier à Arion le danger de leur voyage, le temps d’un sourire. Mine de rien, Paflos avait raison. L’homme d’armes était un bretteur exceptionnel, peut être l’un des meilleurs des sept royaumes. Et s’il ne parvenait pas à résister aux assauts de quelques ennemis… Il n’y avait qu'à espérer que cela énerve assez le sorcier pour leur faire payer leur crime. En espérant que voir Paflos menacé par plusieurs adversaires était tout aussi énervant que de l’entendre infantiliser Arion…
Les deux Hommes continuèrent alors leur marche, sous un soleil montant doucement dans le ciel. Une chance que le vent et l’altitude rendent l’air frais, malgré ce jour d’été sans nuage. C’est vers dix heures qu’ils arrivèrent en vue du Sanctuaire du Pélargis. Devant eux, le mont se dressait fièrement. Son sommet rutilait de ses neiges éternelles, éblouissant presque les deux voyageurs. Sur demande du plus vieux, ils s'arrêtèrent au sanctuaire afin d’amener la bénédiction des dieux sur leur voyage. Arion, ne voulant pas provoquer un désir sadique a un dieu quelconque, était resté dans la cour du sanctuaire, assis sur la souche d’une colonne. Rien que voir ce trou noir dans la roche faisant office d’entrée du sanctuaire rendait le jeune homme mal. Ce n’est que par respect pour les convictions de Paflos qu’il accepta de s'arrêter au sanctuaire.
L’homme d’armes ressorti peut-être dix minutes plus tard, le visage marqué par la plénitude. Jamais Arion ne l’avait vu aussi serein, même après sa victoire aux épreuves du solstice. C’en était presque injuste de ressortir de ce lieu atroce avec un tel sourire… Pourquoi eut-il fallu que les dieux le haïssent à ce point ? Pourquoi Paflos avait le droit de connaître les délices que les dieux peuvent offrir, et pas lui ? Doucement, le jeune homme soupira, et alors que les deux reprennaient leur chemin, il s’approcha de son ami.
–Paflos… Tu crois que… Les dieux me détestent ?
–Je te demande pardon ?
–Je vois encore les horreurs qu’ils ont imprégné dans mon esprit, alors que toi, tu as l’air d'être le plus heureux des hommes.
Paflos posa alors sa main sur l’épaule de son ami et, tout en marchant lui avoua :
–Tu sais, il y eut des fois où la vision qu’ils m’ont envoyée était cauchemardesque aussi.
–Ce ne sont pas des visions, Paflos… Ce sont des souvenirs… J’en suis certain.
–Ton esprit est juste profondément perturbé par ce qui se cache derrière le voile de ton esprit. Ton amnésie doit sans doute être liée à ces évènements qu’ils ont sortis de ta mémoire. Ce n’est en aucun cas la preuve qu’ils te haïssent.
–Si je comprends bien, c’est moi le problème…
–Ce n’est pas ce que je voulais dire… soupira Paflos.
Le silence regagna pour quelques secondes la conversation, avant d'être à nouveau brisé par Arion.
–Des fois, j’ai peur de ce qu’il se passera, quand mes souvenirs reviendront. Quand je vois ces souvenirs qui me hantent, j’ai peur de ne pas être assez fort pour en supporter plus…
–Ne dit pas ça, Arion. Tu es plus fort que tu n’en a l’air. Le simple fait que tu sois arrivé vivant malgré tes blessures à Alpénas en est la preuve. Et même au delà de ça, tes pouvoirs–
–J’ai failli te tuer plusieurs fois avec mes pouvoirs, parce que je n’arrive pas à me contrôler. le coupa Arion en dodelinant. Je ne suis pas sûr que ce soit la preuve que je sois fort. Au contraire… Je me demande si c’était une bonne idée d’aller chercher des réponses sur mon amnésie dans une ville…
–Ne pense plus à ça, Arion. Je serai là pour t’aider à supporter le poids de tes souvenirs, s’ils étaient trop lourds pour toi.
–On dirait le genre de phrase qu’à dit la fille du père Lothin à son mariage…
Cette réflection crispa l’homme d’armes autant qu’elle fit rire le jeune homme qui, de bien meilleur humeur, continua :
–C’est terrifiant de voir à quel point tout le village est persuadé que nous sommes en ménage.
–Mh, oui, terrifiant. répondit laconiquement Paflos.
–Tu sais… Moi je m’en fiche que tu soit…
–Sodomite ?
–Amoureux de moi. rétorqua Arion, encore honteux.
–Amoureux… C’est peut être un peu fort. Tu me plais, c’est indéniable. Mais tu es mon ami avant tout. Et puis je préfère être le dominant dans le couple. Me retrouver plaqué contre un mur, par magie ou non, c’est pas mon truc.
Arion ne put retenir un pouffement à la réflection très cru de son ami, qui continua.
–Tu sais, sur le plan sentimental et… Plus charnel, dirons nous, j’ai connu pas mal d’aventures. Et pas mal de mésaventures, également. Des insultes, des brimades, autant de gens dont je me fichais comme d’une guigne que de personnes bien plus proches. Tu l’as vu, même mes camarades de régiment sont parfois cru avec moi, sur ce point. Je suis content que tu fasses partie des rares personnes à l’accepter.
–Tu pourrai aimer les femmes, les hommes, les arbres ou les catapultes, je m’en ficherais pas mal. Tu es mon ami, c’est le plus important pour moi.
Paflos se tourna alors vers Arion et lui sourit avec une grande douceur, que le jeune homme lui rendit aussitôt. Leur route continua alors. Après avoir mangé à l'ombre d’un sapin, ils contournèrent le Pélargis par un chemin de basse altitude, jusqu'à arriver sur son flanc nord sous les coups de quinze heures. Face à eux s’étendait une vallée bien plus vaste que celle d’Alpénas, s’étendant au-delà de leur vision. Au pied de la montagne, et duquel partait une petite rivière partant vers le nord, se trouvait un majestueux lac, dans lequel les rayons du soleil se reflétaient presque autant que dans les neiges éternels des pics l’entourant. Un peu plus loin se tenait une grande forêt de chênes s’étendant jusqu'à l'horizon. Le chemin que les deux voyageurs suivaient jusque-là se divisait ici en deux routes. La première, à droite, descendait dans la vallée et semblait se perdre dans la forêt. La seconde, à gauche, continuait à serpenter sur les pentes des montagnes.
–Tu vois cette forêt ? C’est le royaume de Liosmór. expliqua Paflos, avant de pointer un point noir sur la montagne face à eux, de l’autre côté du lac. Et la, derrière le lac des perles, c’est l’auberge des trois cols, notre point de repos pour la nuit. Si tout se passe bien, on devrait y être avant sept heures.
Arion acquiesça, et les deux hommes prirent le chemin de gauche, continuant à longer les montagnes. Cette route, qui serpentait entre les sommets vertigineux et les étendus d’eau azur, émerveillait Arion. Il peinait à croire qu’il n’avait aucun souvenir de ce lieu merveilleux, lui qui était sûrement passé par là en arrivant à Alpénas. Cette vision onirique fut renforcée à la mi-parcours par une sublime chute d’eau se jetant du haut des monts jusqu’au creux du lac. Seul un vieux pont de pierre, presque aussi usé que la cour du sanctuaire du Pélargis, permettait de traverser cette cascade. Épuisés par leur voyage , et sur demande d’Arion, les deux hommes s'arrêtèrent à proximité de la chute d’eau, profitant de ce paysage idyllique. Arion sortit alors de son sac deux des choux de la boulangère, qu’ils mangèrent, bercés par le bruit de l’eau se jetant du haut des glaciers. Ils repartirent ensuite, sans doute une heure plus tard.
C’est finalement à l'heure dorée que les deux hommes arrivèrent à l'auberge. C’était un grand bâtiment au rez-de-chaussé fait de pierre grossièrement taillé et à l'étage en bois sombre. La tenancière était une halfeline d’une cinquantaine d'années, l’air aussi bourru que le tavernier d’Alpénas, mais au tempérament bien plus sympathique. Du moins, avec ses deux clients, ses deux seuls clients. L’établissement était désert. La faute sans doute à la faible fréquentation sur cette route, mais également, au dire de la tenancière, aux exactions commises par les disciples du Tyran Rouge aux abords du Lac. Tout cela ne faisait qu’inquiéter d’autant plus Arion. Sans doute Paflos avait raison d’éviter la vallée en contrebas, si elle était aussi dangereuse que l’affirmait la halfeline.
Après un rapide repas, les deux hommes montèrent dans la chambre qu’ils avaient prise. C’était une pièce sommaire, comprenant un seul grand lit de cinq ou six places, sans aucun autre meuble. Si en temps d’affluence dormir la dedans devait être désagréable, ce lit aux mensurations hors norme risquait au contraire de laisser pas mal d’espace aux deux hommes, qui étaient seuls à partager ce monstre. Paflos, épuisé, se déshabilla bien vite pour s’allonger. Arion, de son côté, se rendit sur la terrasse accessible depuis la chambre. C’était un grand espace cerné de barrières rudimentaires. Seule une petite table ronde et quelques tabourets égayaient la décoration de la terrasse. Mais l'intérêt de cette dernière reposait surtout dans la vue magnifique qu’elle offrait. Face à Arion se dressait le Pélargis, dans toute sa majesté. A sa gauche, se dressait deux autres montagnes, plus petites. C’était sans doute de la que venait le nom de l'établissement. Ces géants de pierre semblaient dormir au bord du lac, dans lequel se reflétaient les étoiles de ce magnifique ciel d’été, comme des milliers de perles brillant sur un manteau couleur de nuit.
Le jeune sorcier resta à admirer le paysage de longues minutes. Ce ciel et ce lac lui faisaient penser à la robe de cet étrange mage elfe, comme si cette dernière avait été conçue en écho à ce paysage. Arion tira alors le papyrus que lui avait donné le magicien, sur lequel était dessiné cet étrange symbole qui hantait ses rêves. Une fois à Silverberg, il pourrait le montrer à un vrai magicien, et non à un simple mage de foire. En espérant qu’il serait en capacité de lui dire à quoi cet étrange symbole correspondait…
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