Chapitre VII : Le Cor de Windskeep
Le soleil perçait à peine la masse verte de la forêt de Liosmór quand les deux voyageurs descendirent dans la grande salle de l’auberge des Trois-Cols. Arion avait eu, comme à son habitude, une nuit agitée, et ne trouva un sommeil apaisé qu’après avoir roulé de lui-même entre les bras de Paflos. La Halfeline n’avait d’ailleurs pas cacher un air amusé en les réveillant aux aurores. Il fallait dire qu’outre l’image évidente que deux hommes enlacés pouvaient renvoyer, les voir se tasser dans un petit coin d’un lit si grand avait quelque chose de comique.
On ne leur servit en guise de petit déjeuner qu’un bouillon maigre –de l’eau dans lequel avait dû macérer du pain et des oignons– qui fit regretter à Arion le gruau de son ami, qui à défaut d’avoir du goût, était un minimum consistant. A peine leur bol vidé, les deux hommes payèrent leur nuit, et après avoir vérifié leur paquetage, repartirent.
Arrivé par l’heure dorée du crépuscule, c’est par celle de l’aube qu’Arion et Paflos quittèrent l’auberge des Trois-Cols. Le temps était tout aussi clair que la veille, et faisait resplendir de mille feux le paysage. Le lac semblait s’embraser, et la forêt avait l’air d’or. Les deux hommes continuèrent leur route, suivant le chemin qui serpentait sur le versant des montagnes.
Alors que le soleil atteignait son zénith, ils s’installèrent au bord du chemin, contemplant ce paysage qui s’offrait à eux. Arion n’avait pas encore eu le temps de constater sa magnificence. La plaine en contrebas était divisée en deux blocs presque homogènes, séparés par une rivière trouvant sa source dans le lac des Perles et qui suivait parallèlement la route des montagnes. Sur la rive droite de la rivière, la plus éloigné d’eux, se dressait la forêt de Liosmór, qui s’étendait majestueusement jusqu'à l'horizon. L’autre rive était presque entièrement dépourvue d’arbres, si ce n’est quelques bosquets. Quelques fermes et hameaux s'égrenaient au milieu de la plaine. Les champs, alors que la moisson s’achevait, étaient mouchetés de petites pyramides d’or. Pourtant ce paysage délicieusement bucolique ne put cacher bien longtemps la triste réalité. Plusieurs fermes n’étaient plus que ruine, et ce qui ressemblait à des bêtes qui pâturaient ne devaient être rien de plus en réalité que des cadavres gisant dans leur propre sang. Arion déglutit à la simple image de ces carnages, et baissa la tête, comme pour fuir l’horreur de la réalité.
–Comment de telles atrocités peuvent avoir lieu sans que personne ne réagisse ? souffla, blème, Arion.
–Personne ne réagit car personne ne peut rien y faire. La zone occupée par les humains de cette vallée est en déshérence. Le comte a été privé de son fief après la chute du tyran rouge. Et du reste la région ne doit être protégé que par une douzaine d’hommes comme moi. C’est bien trop peu pour protéger efficacement toute la zone, surtout contre ses partisans…
–Mais… Le Roi-Lige ne fait rien ?
–Le Roi-Lige à autre chose à faire que de gérer cette vallée sans intérêt.
–Et à Windskeep ? Ils ne peuvent pas sécuriser la vallée ?
–Windskeep n’est qu’une vieille forteresse servant à garder la passe menant au royaume des Halfelin. Ils ne bougeraient pas même si on les attaquait directement. Leur but est de contrôler les passages, ni plus ni moins.
–Mais on ne peut rien faire pour ces gens ?
–Si, prier. Prier pour que le Roi-Lige finisse par envoyer des hommes dans la région. Prier pour que quelqu’un récupère la seigneurie sur le territoire et s’occupe du problème. Prier pour que Liosmór retourne dans le giron du Roi-Lige et arrête de soutenir ces fanatiques. Prier pour qu’ils finissent par rendre les armes. Et prier pour qu’ils ne descendent jamais vers Alpénas…
La boule au ventre, Arion se tût. Sans doute pour la première fois, il craignait vraiment pour sa vie et pour celle de ses proches, lui pour qui la chose la plus dangereuse qu’il connaissait jusque-là était le tord-boyau du tavernier d’Alpénas… Après avoir englouti leur repas, les deux hommes continuèrent leur chemin. Peine une heure plus tard, les deux hommes atteignaient un passage de la route partant sur leur gauche avant de revenir en U. Paflos s'arrêta soudain et jura, l’air grave.
–Eh merde…
–Qu’est ce qu’il y a ?
L’homme d’armes pointa alors la montagne face à eux. Un plus loin, sur une dizaine de mètres, la corniche sur laquelle se trouvait la route avait été emportée, rendant tout passage impossible. Après quelques secondes et un pesant silence, Arion balbutia :
–Qu’est ce qu’on fait… ?
–Je ne sais pas… soupira Paflos. Dans tous les cas, il faut rebrousser chemin. Soit on rentre à Alpénas soit…
Paflos ne finit pas sa phrase, et se contenta de passer son regard sur un bras de la forêt qui s’étendait sur leur rive, en contrebas. Arion déglutit. Le risque de croiser les fanatiques du Tyran Rouge dans ce qui était a peu de chose près leur maquis était grand. Mais la forêt aussi l’était. Aussi vaste que le Royaume de Liosmór. Les deux hommes n’allaient être guère plus qu’une mouche frôlant quelque instant la croupe d’une vache. En espérant qu’ils ne finissent pas écrasés par sa queue…
Pourtant Arion ne pouvait se résoudre à faire demi-tour. Il se sentait si proche de savoir qui il était, ce serait bête de rebrousser chemin maintenant. C’était une certitude, il était prêt à risquer sa vie pour avoir ne serait-ce qu’une chance de faire disparaître ce voile. Mais était-il prêt à risquer la vie de Paflos ? De toute manière, Arion connaissait déjà la réaction de son ami, s’il lui disait qu’il voulait continuer seul. Il soupira alors :
–Je veux continuer, Paflos… Je sais que c’est dangereux, et je ne te demande pas de me suivre.
Il leva alors les yeux vers son ami, et lui sourit doucement.
–Mais je sais que tu t’en fiche de ma permission.
–Tu as fait ton choix, Arion. Et j’ai aussi fait le mien. répondit solennellement Paflos.
Alors, les deux hommes reprirent la route en sens inverse, jusqu'à trouver un embranchement leur permettant de descendre dans la vallée. La route, avant de s'engouffrer dans la forêt, traversait quelques champs. En avançant, Arion fut saisi de haut le cœur. L’odeur de la mort était difficilement supportable. Autour d’eux, le cadavre des bêtes jonchait le sol. Le jeune homme reconnu même, posé sur le sommet d’un ballot de paille, une tête humaine. Elle semblait fixer de ses yeux livides les voyageurs assez fous pour s’égarer sur cette route. Arion détourna le regard, la main sur sa bouche. Les horreurs de ses visions resurgissaient. Alors que son souffle s’emballa et que ses jambes se mirent à trembler, il sentit sur son épaule la main chaude et réconfortante de Paflos. Oui, Paflos… Être contre lui calmait ses visions, n’est ce pas ? Doucement, le jeune homme saisit cette main, et l’enserra entre ses doigts. Les visions s’éloignèrent à nouveau.
–Ne t’en fais pas, Arion… Si tu veux, tu peux fermer les yeux, je te guiderai.
–Non, ne t’en fait pas. balbutia Arion. Je peux tenir. Mais…
Arion laissa sa phrase en suspens. Semblant comprendre ce que son ami voulait dire, Paflos resserra un peu plus sa main autour de celle du jeune homme. Malgré ce contact rassurant, le cœur d’Arion ne cessait de taper dans sa poitrine. Peut-être qu’au fond, il craignait de voir surgir les responsables de ce carnage sortir de derrière ces ballots de paille.
Rapidement, les deux hommes pénétrèrent dans la forêt. Alors que le charnier derrière eux s’éloignait, Paflos desserra doucement sa main. Arion, tout aussi doucement, finit par la lâcher. Face à eux, la route s'enfonçait entre les arbres, et disparaissait au détour d’un grand chêne. Les deux voyageurs s’engagèrent ainsi sur le chemin de terre battu. Paflos gardait la main sur le pommeau de son épée, prêt à dégainer à tout instant. Inquiété par le comportement de son ami, Arion se mit également sur ses gardes. Intérieurement, sa petite voix essayait de le convaincre qu’il ne craignait rien, entre les talents de bretteur de Paflos et la magie qu’il était capable de déployer. Mais plus profondément encore, une autre petite voix lui tint un discours totalement opposé, plus négatif, mais plus réaliste, aux yeux du jeune homme. Si Paflos craignait quelque chose, alors cette chose devait être très dangereuse. Et puis il ne savait presque pas contrôler ses pouvoirs. Il risquait juste de blesser son ami.
Autour d’eux, les oiseaux chantaient sous les feuillages, mais ni Paflos ni Arion n'étaient d’humeur à les écouter. Ils marchèrent de longues heures à travers la forêt, sursautant au moindre passage d’un animal dans les fourrés. À la moindre branche qui craquait. Au moindre souffle dans les feuilles. Toute la forêt semblait se moquer d’eux, de leurs craintes, de leur moindre sursaut. Elle jouait avec eux, avec leurs nerfs, Arion en était certain. C’était une idée stupide, une foret ne pouvais pas faire ca. Mais si ce n’était pas la forêt, mais les Faunes qui voulait leur perte ? Ou pire, si c’était les fanatiques du Tyran Rouge ? Arion déglutit, serra la lanière de son sac, et fit, inconsciemment, crépiter quelques étincelles d’énergie dans son autre main. D’un œil, il regarda son ami. Il avait sorti son épée de son fourreau, et en serait la poignée de ses deux mains. Son visage était fermé, à l'affût. Soudain, l’homme d’arme poussa Arion sur le côté, et hurla :
–A couvert !
A l’instant ou le jeune homme fut plaqué contre un arbre, un puissant jet de magie projeta Paflos en arrière. L’homme d’arme s’écrasa lourdement quelques mètres en arrière, inconscient, alors que son épée s’égarait derrière lui dans un bruit de taule. Terrorisé, Arion resta collé à l'arbre, cherchant du regard d'où venait cette attaque. Devant lui, trois figures encapé de noir sortaient des fourrés. Arion glapi, et se recula vers son ami. Mais son dos butta contre quelque chose, ou plutôt quelqu’un. Il reconnut au contact un homme, grand et large. Ce dernier agrippa sèchement le bras du jeune sorcier. Sa main était froide et rêche : ce n’était pas Paflos.
–Lacher moi ! s’écria Arion en se débattant.
L’homme, en guise de réponse, serra encore plus le bras du jeune homme. Arion tenta d’échapper à la poigne de son agresseur, en vain. Cette main était comme riveté à son bras. Alors, une des figures devant lui s’approcha, et tira en arrière sa capuche. Ses yeux rouges fixaient Arion au travers d’un masque de velours, alors qu’il lui souriait avec mépris.
–Vous ! s’écria Arion.
–Ravit de voir que tu me remet, gamin. Si j’avais su que ce serait aussi facile de mettre la main sur toi, je n'aurais pas déplacé autant de monde. Mais après avoir affronté ton ami, je pensais qu’il serait plus… Combatif. En parlant de ça…
L’homme claqua des doigts, et fit un geste du doigt en direction de l'endroit où avait atterri Paflos, avant de dire avec son ton méprisant habituel.
–Finissez le travail.
–Non ! Ne lui faites pas de mal ! hurla Arion à plein poumons.
Le jeune sorcier tenta de se débattre, mais cette foutu main le retenait toujours. Paflos devait se relever, il le fallait. Deux des figures en noir s’approchait de Paflos, couteau à la main. Arion sentit son coeur s'emballer. Pas Paflos, qui il voulait mais pas Paflos ! Ils n’avaient pas le droit, ils ne pouvaient pas ! Dans ses yeux, une lueur écarlate commençait à crépiter, comme jamais auparavant. Soudain, l’homme le lâcha dans un cri de douleur, agitant sa main endoloris, comme s’il venait de toucher une pièce de métal restée trop longtemps au soleil. Arion, libre, se retourna vers les deux tueurs, le bras tendu vers eux. Son aura de magie était si profonde qu’elle en était presque opaque. Le Manchot en perdit immédiatement son sourire, et tenta de s’avancer. Mais avant même qu’il ne put faire quoi que ce soit, Arion rugis, d’un souffle si profond qu’elle semblait sortir des entrailles de la terre. Avant qu’ils ne comprennent ce qui leur arrivait, une force projeta les deux hommes si loin qu’ils disparurent dans les branches.
Arion se jeta alors vers Paflos qui, encore sonné, se releva difficilement, porté par sa simple adrénaline. D’un geste rapide, l’homme d’arme récupéra son épée. Le Manchot s’approcha. Ses yeux crépitaient de colère. D’un geste d’épaule, il envoya le pan gauche de sa cape en arrière, dévoilant une étrange prothèse mécanique d’or et d’argent finement ouvragée. Autour de ce bras mécanique flottait une énergie similaire à l'aura d’Arion, qui semblait le faire mouvoir. Voyant la mine aussi surprise que déconfite du jeune sorcier et de son ami, l’ex-Manchot se fendit d’un sourire aussi arrogant que carnassier. Et il avait toutes les raisons de se montrer aussi fier. Un seul bras le rendait déjà plus dangereux que bien des hommes. Difficilement, Paflos passa devant son ami, l’épée en main, prêt à affronter l’ex-Manchot.
Les deux hommes se toisèrent sans un mot, se jaugeant l’un l’autre. Paflos serrait entre ses mains la poignée de son épée, prêt à frapper au meilleur moment, au moment où ce sourire prétentieux allait devenir juste assez grand pour dissimuler le danger à propriétaire. Alors Paflos frappa, se jetant sur son adversaire. Sa lame percuta le bras de son adversaire dans une volute d’étincelles. L’ex-Manchot parvint à repousser Paflos et chargea, de son autre main, une orbe d’énergie, qu’il lança sur Paflos. Ce dernier due reculer pour l’esquiver, permettant à son adversaire de fondre sur lui. Les griffes acéré de sa prothèse se plantèrent dans l’épaule de Paflos, qui hurla. Pourtant il ne lâcha pas son épée. D’un coup de tête bien envoyé, il sonna son rival, qui recula à son tour, lâchant l’homme d’arme. Ce dernier, d’un croc-en-jambe, parvint à faire tomber. C’est alors que les deux autres mages, envoyé dans le décor par Arion, refirent surface.
–Arion, part devant, je me charge de les retenir ! cria Paflos
–C’est hors de question ! Je ne te laisserai pas à l'arrière !
–Par tous les dieux, arrête de faire l’enfant et cours !
L’un des deux mages lança alors un trait d’énergie, qui frôla la tête d’Arion. D’un coup d’épée, Paflos parvint à repousser les deux assaillants, avant d’asséner un violent coup de pied dans le visage de l’ex manchot, pour le maintenir au sol. Le jeune sorcier se retourna, et tomba nez-à-nez avec le quatrième mage, celui dont il avait brûlé la main. C’était un colosse, plus grand que Paflos, juste à hauteur pour permettre à Arion de lui envoyer un violent coup de genoux dans l’entrejambe. L’homme tomba au sol en injuriant le jeune sorcier.
–Maintenant ! hurla Paflos en envoyant un coup de pommeau dans le visage d’un des sorciers.
Avec résignation, le jeune sorcier se mit à courir pour s’éloigner du combat. Paflos n’avait pas l’air de mal se débrouiller seul, et de toute manière Arion serait plus utile à l'arrière, sans doute. A terre, l’ex-Manchot roula sur le côté, échappant à un nouveau coup de talon de Paflos, puis se releva, avant de hurler au mage presque castré :
–Qu’est ce que tu attends, bougre d’imbécile ? Attrape-le !
L’homme, se relevant difficilement, se mit à courir vers sa cible. Voyant cette masse foncer sur lui, Arion se mit à fuir, s'enfonçant sur la route. Le jeune sorcier avait une belle avance, et courait aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Derrière lui, il pouvait entendre la lame de Paflos et le bras de l’ex-Manchot s’entrechoquer. Les foulées de son poursuivant se rapprochaient, mais Arion ne pouvait pas courir plus vite. Ses jambes le brûlait. L’adrénaline seule lui permettait ne pas s’effondrer au sol. D’un rapide coup de tête en arrière, il chercha son poursuivant du coin de l'œil. Il était juste là ! Arion tenta d’accélérer, mais ses jambes refusèrent de coopérer. Pire que ça, il sentit qu’il ne les contrôlait plus, comme si elles était devenu aussi molle qu’un bout de tissu. Perdant l’équilibre, il s’écrasa lourdement au sol. Son poursuivant se jeta alors sur lui, avant de l’agripper par les cheveux et de le tirer en arrière, le forçant à se relever.
–Va y, essaye de me bruler avec tes cheveux, gamin. darda son agresseur avec mépris.
Arion se débattit, ses yeux brûlait tant de colère qu’ils auraient pu carboniser son agresseur. Mais le jeune sorcier, épuisé par sa course, ne parvenait même pas à concentrer assez d’énergie pour seulement espérer faire lâcher l'homme. Ce dernier le traîna presque au sol, par les cheveux, et le ramena au lieu du combat. Seul Paflos et l’ex-Manchot était encore en état, et s’affrontaient avec une grande violence. Chaque coup porté par Paflos s’écrasait lourdement sur le bras de son rival, qui n’était en retour arrêté que par la lame du premier. Voyant qu’Arion était de retour, Paflos poussa un rugissement de colère, et lança un violent coup de tranche sur l’ex-Manchot. Mais ce dernier le parra de son avant bras, avant de lancer un sort de son autre main, qui percuta le torse de Paflos. L’homme d’armes fut projeté en arrière, et s’écrasa à nouveau au sol.
–Ca, c’est pour le genou-en-terre… grogna l’ex-Manchot.
D’un coup sec, l’homme qui traînait Arion par les cheveux le remonta et le maintint à sa merci en serrant son cou en clé-de-bras. L’ex-Manchot s’approcha alors, et passa l’une de ses griffes d’acier sur la joue d’Arion. Un sourire victorieux déchirait son visage.
–Plus coriace que prévu, toi et ton petit-ami. Je m’excuse par avance. Le Maître veut te voir, mais ton ami ne sera pas du voyage. fit l’ex-Manchot en faisant teinter les griffes de sa prothèse les une contre les autres. Je me demande si ton âme répondra encore quand j’aurai arraché son cœur sous tes yeux.
–Euh, chef ? demanda l’homme retenant Arion, sur un ton débonnaire.
–Qu’est ce que tu as bougre d’im–…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’un violent coup de pommeau dans la tempe le fit basculer sur le côté.
–Et ça, c’est pour le coup de pommeau… grogna Paflos.
Le mage retenant Arion le lâcha alors, et envoya un trait de magie vers l’homme d’armes. Ce dernier l'esquiva, lâcha son épée et se jeta sur le colosse, le renversant au contact. Arion en profita pour s’échapper, et courut à nouveau hors du combat, alors qu’il cherchait à concentrer l’énergie nécessaire pour aider Paflos. Derrière lui, le bruit des violents coups de poings qu’infligeaient Paflos à son adversaire résonnaient entre les arbres.
–Au pied ! Hurla alors l’ex-Manchot.
En quelques secondes, Arion entendit derrière lui un bruit de chaîne, puis quelque chose de froid lui agrippa la jambe, et le tira en arrière. Sans comprendre ce qu’il lui arrivait, le jeune homme se retrouva trainé vers son ennemi. Sa main d’acier, reliée au reste du bras par une chaîne, était vissé au mollet d’Arion. Malgré tous ses efforts, la prothèse refusa de lâcher, le ramenant inexorablement vers l’ex-Manchot, qui arborait son sempiternel air vantard, jusqu'à finir à ses pieds.
–Je te remercie pour la distraction, gamin. Mais tes petits tours commencent à me les briser menu. Si le Maître ne te voulait pas, j'aurais pris un plaisir incroyable à te tuer. A défaut, je vais au moins te faire souffrir. Regarde.
De son autre main, l’homme montra Paflos. Ce dernier était à présent retenu par le colosse, qui le maintenait au sol. Les deux autres magiciens, remis de leurs commotions, les entouraient, un couteau à la main. l’homme d’armes tenta de se libérer, mais la prise de son adversaire était bien trop importante.
Le cœur d’Arion accéléra, tout comme sa respiration. Il essaya à nouveau de s’échapper, mais plus il bougeait, plus la main se resserrait autour de son mollet, s'enfonçant froidement dans ses chairs. Au fond de lui, Arion sentit ses dernières forces magiques, celle du désespoir, remonter, bouillonner. Il tenta autant que possible de se focaliser dessus, de les concentrer. Il devait le faire, pour sauver Paflos, c’était leur seule chance. Mais alors qu’il sentait cette énergie monter en lui, et que ses yeux reprenait une teinte plus rouge, il sentit la main se resserrer encore plus, déchirant son pantalon et le faisant abondamment saigner. Arion hurla de douleur, sentant sa magie se dissiper à nouveau. L’ex-Manchot ricana :
–Mais quel vilain garçon. Qui t’as élevé pour que tu te comportes ainsi. Jouer avec sa magie alors que le spectacle va commencer. Tu devrai avoir honte.
De son autre main, l’homme tira le visage d’Arion, le forçant à regarder la scène se jouant devant eux. L’un des deux magiciens armés d’un couteau s’approcha de la gorge de Paflos.
–Tu vois ? repris l’ex-Manchot. Je ne suis pas un monstre. Je vais juste le saigner comme un porc. Il ne souffrira pas. Pas trop longtemps, du moins.
L’homme se tut. La lame s’approchait du cou de Paflos. Arion ne put retenir un sanglot.
–Je suis navré, fit l’ex-Manchoit, je crois que tu devrais me remercier pour la bonté dont je fais preuve en épargnant quelques fines tortures à ton ami et en le tuant sur le champ. Pourtant je n’entend rien. Je t’en prie, remercie moi.
La lame était presque contre le cou de Paflos. Arion pouvait presque sentir cette lame froide sur le coup de son ami. Il chercha à baisser les yeux, à échapper à cette scène devenue inéluctable. Mais L’ex-Manchot le maintint en position.
–Remercie-moi !
Arion, le visage noyé par les larmes, essaya de balbutier quelque chose, qui s’apparentait à des remerciements. Comme si naïvement, cela sauverait Paflos de son exécution. Mais alors qu’il s’appréta à ouvrir la bouche, le son d’un cor retentit dans la forêt, si fort qu’il dispersa les quelques oiseaux venus assister à cet affrontement. Terrifié, les mages relevèrent la tête comme un seul homme. La prise sur la tête du jeune sorcier se relâcha, comme celle sous le cou de Paflos. Un second coup de cor fut donné, tétanisant les quatre magiciens, qui cherchaient de leurs yeux terrifié un ennemi invisible.
–Le cor de Windskeep… grogna l’ex-manchot, ne cachant qu'à peine sa terreur. Tuez-le bretteur !
Reprenant ses esprits à l'ordre de son chef, le mage au couteau tenta d'asséner un coup dans la carotide de Paflos. Mais une flèche vint se planter en plein dans la tête de ce dernier, le faisant tomber en arrière. Pris de panique, les deux autres sorciers laissèrent Paflos et s’enfuirent. Jurant, l’ex-Manchot fit de même et relâcha Arion avant de se fondre dans les fourrés. Immédiatement, Arion tenta de se relever, avant de pousser un cri de douleur. Son mollet le faisait atrocement souffrir. Paflos, après avoir récupéré son épée, vint l’aider à se mettre debout.
–Tout va bien, Arion ?
–J’ai mal… Mais ça devrait aller…
–Tu peux marcher ?
Mais avant qu’il n’ait sa réponse, une douzaine de halfelins en armure arrivèrent. Bien que n’arrivant même pas à l'épaule d’Arion, qui n’était déjà pas bien grand pour un homme, ces soldats étaient assez impressionnants, assez pour rassurer les deux hommes. L'un d’eux, portant un casque serti d’une grande plume bleue, hurla quelque chose dans la langue de son peuple, pointant avec son épée les fourrés environnant. Quelques-uns de ses hommes s’y jetèrent, traquant visiblement les trois fugitifs. Puis il se tourna vers Arion et Paflos, et leur dit :
–Vous avez de la chance. Si la route des montagnes ne s’était pas effondrée, vous y seriez passé.
Le Halfelin parlait avec un accent étonnant, très chantant, mais semblant faire l’impasse sur les [r]. Ce dernier continua.
–Je suis Alfor Bearncrown, gouverneur de Windskeep. Et vous etes ?
–Je me nomme Paflos. Et mon ami, Arion.
–Vous n’avez pas l’air d'être de simples paysans, vous n’auriez pas survécu aux fanatiques du Tyran Rouge. D'où venez-vous ?
–D’Alpénas. répondit Paflos.
–Au-delà du Pélargis, is naht hit ?
Les hommes revinrent alors, bredouille, expliquant probablement à leur chef que les trois sorciers leur avaient échappé. Ce dernier beugla quelques ordres, avant de dire, en langue humaine.
–Votre ami m’a l’air salement blessé. Suivez-nous, nous avons d’excellents soigneurs à Winskeep.
Arion et Paflos suivirent Halfelins, qui quittèrent le champ de bataille. Le jeune sorcier, la jambe en sang, s’appuyait sur le bras de son ami pour marcher. Les deux hommes étaient dans un sale état, marqué l’un comme l’autre par leur affrontement. Arion, outre sa jambe, avait le dos endoloris et la chemise déchirée à force d’avoir été traîné au sol. Son ami avait lui l’arcade sourcilière gauche ouverte et le visage en sang. Leurs provisions avaient quant à elles été perdues, piétinées, détruites par l’affrontement. Mais malgré tout, l’un comme l’autre était encore en vie. C’était l’essentiel.
Lorsque la troupe sortit de la forêt, le soleil avait sérieusement décliné, et aurait éclairé le paysage de sa lueur dorée si les nuages ne le dissimulaient pas. Curieux, demanda au chef des Halfelins :
–Pourquoi étiez-vous dans la Forêt ? Je croyais que…
Arion se tut, craignant de vexer son interlocuteur en lui répétant ce que Paflos lui avait dit au sujet du comportement de Windskeep. Ce dernier répliqua aussitôt :
–Que nous, Halfelins, nous fichons du sort des autres races ? Oui, c’est malheureusement vrai. Notre bon roi n’apprécie guère se mêler des affaires des autres royaumes d’Ilderaas. Je ne suis qu’un simple soldat, je me dois d’obéir à ses ordres. Mais lorsque j’ai appris que la route des montagnes s'était effondrée, j’ai décidé d’envoyer une patrouille, pour protéger le chemin passant par la forêt.
–C’est grâce à vous que nous sommes encore en vie… Je ne saurai comment vous remercier. répondit Arion.
–Vous n’avez pas à le faire, my boy. De la sûreté des voyageurs passant par cette route dépend celle de la passe de Windskeep, et par là de tout le royaume d’Eorlship.
Arion se contenta d’un sourire, et n’importuna pas plus longtemps le halfelin. La troupe traversa les derniers kilomètres les séparant de leur point d'arrivée en une petite heure, si bien qu’ils attinrent la forteresse au crépuscule. Windskeep était une forteresse en pierre grise construite sur l’un des pans d’une petite passe entre deux montagnes, d’un peu moins de cinq cent mètres de large. Partant d’elle, et ralliant l’autre versant du vallon, se dressait un mur assez haut, percé en son milieu d’une grande entrée à Herse. Devant le mur et le château avait été creusé des douves, sur lesquelles seuls deux pont-levis permettait le passage. L’un, relevé, permettant d’accéder à la porte dans la muraille, l’autre, abaissé, donnait accès directement à la forteresse.
A peine la porte du château passée que le pont-levis en referma l'issue. Les deux hommes étaient arrivés dans une grande cour intérieure, au milieu de laquelle avaient été dressées plusieurs tentes, autour desquelles s’affairaient des humains, qui dépassaient de deux bonnes têtes tous les halfelin du fort. Voyant l’étonnement de ses hôtes, Alfor leur dit :
–Des habitants de la vallée. Ils sont venu demander protection après la destruction de leur village. Je ne pouvais pas leur refuser l’hospitalité, pas après ce qu’il leur est arrivé… Enfin bref. Je dois vous laisser, j’ai à faire. Mes hommes vont vous conduire à l'officine de notre guérisseur. Reposez vous, nous reparlerons de votre situation demain. En attendant, wilcume à Windskeep.
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