Chapitre XIII : La voie du Dédale
Le lendemain, Arion fut tiré par le bruit d’un bien étrange carillon, émanant de l’extérieur de la maison. Le jeune homme avait passé une nuit difficile, ballotté par ses rêves. Assis au pied de la paillasse, Paflos dormait d’un sommeil assez profond pour ne pas avoir été éveillé par le carillon. Doucement, Arion quitta le lit et s’approcha de la persienne couvrant la seule fenêtre de la pièce. Cette dernière était si rigide que le jeune sorcier eut tout le mal du monde à la faire bouger, et finit par l’ouvrir dans un vacarme terrible. Se dévoila alors tout le quartier, illuminé par les milles éclats des cristaux couvrant la voûte de la caverne. Dehors, la ville s’animait dans un vacarme urbain encore bien neuf pour Arion. Au centre de l'immense voûte de pierre se dressait une tour similaire à celle que les deux hommes avaient croisée la veille. Si le souvenir des explications que Paflos lui avait apporté était bon, il devait être neuf heures du matin passé de quelques minutes. Bien vite, le jeune homme s’installa sur le rebord de la fenêtre, se perdant dans toute l’agitation de la ville, rythmé par les mouvements de cette grande horloge.
Paflos s’éveilla vers dix heures moins dix, et s’installa bien vite à côté de son ami, à la fenêtre. Les deux hommes n’échangèrent pas un mot. Arion n’était de toute manière pas sûr d’avoir envie de parler. Il n’en voulait pas à son ami, mais aurait été incapable de verbaliser ce qu’il pensait. La simple présence de Paflos à côté de lui ramena son dernier souvenir de la veille, accompagné de la myriade de sensations qui s’étaient entrechoquées et qui s’entrechoquaient encore en lui. Doucement, le jeune homme regarda son ami. Ce dernier, accoudé à la fenêtre, paraissait serein. Pourtant son regard fuyant et son comportement de la nuit dernière laissaient aisément comprendre à Arion qu’il était aussi perdu que lui. Ainsi les deux hommes gardèrent le silence, se contentant de regarder la ville. Pourtant, doucement, Arion laissa sa tête descendre contre l'épaule de Paflos, jusqu'à s'y laisser reposer. En réponse, l’homme d’armes passa vint tout aussi doucement passer son bras derrière la nuque du plus jeune. Les deux restèrent ainsi longuement, sans rien dire, sans se repousser, laissant la cité naine vivre autour d’eux.
Le reste de la maison ne s’éveilla que sur les coups de onze heures. Dans la pièce mitoyenne, qui servait de dortoir commun à toutes les pensionnaires, était perceptible quelques bribes de conversation en langue naine. Vingt minutes plus tard, une des filles de la maison toqua à la porte du cagibi. Surpris, comme extirpés de leur songe, les deux hommes se décolèrent l’un de l’autre, avant d’inviter la jeune femme a entrer. C’était une petite halfeline qui ne semblait pas bien éveillée. Elle regarda, d’un air un peu ahuri, les deux hommes, avant de leur dire :
–La patronne m’as demandé de vous prévenir que si vous voulez manger, le déjeuner est dans le salon…
Puis aussi vite qu’elle était entrée, elle se volatilisa derrière le panneau de bois. Quelques minutes plus tard, les deux hommes quittèrent à leur tour leur chambre et descendirent dans le salon de l’établissement. Au milieu de la pièce, les canapés, repoussés contre les murs, avaient laissé place à une grande planche posée sur tréteaux, sur laquelle se dressait une marmite fumante. Assises autour de la table improvisée, les pensionnaires de la maison discutaient entre elles. En voyant arriver les deux hommes, elles ne purent retenir un pouffement, qu’elles calmèrent immédiatement après un regard sur la mezzanine. Arion, étonné, osa jeter un regard à son tour. Là-haut, la maquerelle regardait la tablée avec un mélange de sévérité et de paternalisme. Doucement, la femme vint rejoindre ses filles au rez-de-chaussé.
–Ne restez pas planté là comme deux plots. Venez vous installer à table. fit la maquerelle à l'attention des deux hommes. Je ne l’ajouterais pas à votre notes, si cela peut vous convaincre.
Aussitot, la femme s’installa en bout de table, a la gauche de Fleur d’Epine. Elle fut rapidement imitée par Arion et Paflos, qui s'installèrent, eux, à la gauche de la matronne. Une fois tout le monde assis, une vieille domestique, debout devant la marmite, commença à remplir des assiettes, qui passèrent les unes après les autres de main en main, jusqu'à ce que tous ceux assis autour de la table en aient reçu une. Elles étaient remplis d’un pot-au-feu plus qu’appétissant, qui changeait bien Arion des éternelles bouillis de céréales de son ami. Les portions, en outre, étaient étonnement copieuses.
Rapidement, on entama le repas. Les filles, qui n’avaient probablement rien mangé depuis la fin de leur service de la veille, dévoraient leur repas avec avidité. L’ambiance, malgré la présence de la tenancière, était plutôt bonne enfant. Les filles n’hésitaient pas à rire, parler, plaisanter en langue naine. Même si certaines recevaient le regard noir de la maquerelle à certaines de leur paroles, cette dernière semblait laisser à ses filles le loisir de se détendre. Finalement, une fois le repas englouti par la tablée, la maîtresse de maison se tourna vers les deux hommes et leur dit :
–Maintenant que ma maison à su vous montrer son hospitalité, parlons de votre départ.
–Patronne c’est peut-être un peu sec ? demanda Fleur d'Épine, à côté d’elle.
–Ajoute de l’eau dans ton plat et ne nous dérange pas plus, ma fille. répondit sèchement la matrone avant de continuer. Mes informateurs sont formels, personne ne peut entrer ou sortir de ce quartier.
–Je vous préviens, il est hors de question que nous payions un surcoût pour dormir dans cette cage à poule. rétorqua en grognant Paflos.
–Ne soyez pas aussi sec je vous en prie.
–Vous voyez bien...
–Kjaf ! Tu n’as pas déjà assez payé d'amendes comme ça ? Cesse d'être impertinente, on parle entre gens de bonne extraction.
La félidée fusilla sa patronne du regard avec une haine que Arion n’avait jamais vu chez qui que ce soit, et se recula sur sa chaise. La naine repris :
–Silverberg est une gigantesque termitière. Ce que vous voyez, ces vastes cavernes communicantes, n'en sont que la partie visible. Sous nos pieds courent des dédales de galeries, vestiges de l’ancienne et intense exploitation minière de la montagne. Aujourd’hui la majorité de ces tunnels ont été oubliés, condamnés, et ont subi le passage des siècles. Mais aux voyageurs aguerris, les tunnels de Silverberg savent montrer tous leurs secrets, les conduire où bon leur semble, aussi bien à l'intérieur qu’hors de la ville.
La naine sortit alors un vieux parchemin de son corsage et le déplia. Y était tracé anarchiquement au fusain tout un ensemble de traits de diverses couleurs, figurant le dédale des galeries de Silverberg. Les deux hommes le regardèrent quelques instants, avant que la matrone ne les coupe dans leur lecture en repliant et remisant la carte.
–Cinquante. fit-t-elle alors.
–Je vous demande pardon ? s’étonna Paflos.
–Je peux vous révéler les secrets de cette carte pour cinquante pièces.
–De bronze ?
–D’argent.
–Mais vous pensez autrement que par l’argent et la fesse ?! s’emporta le maître d’armes.
–Ce n’est pas cher payé pour un secret aussi important.
–Si nous ne sortons pas nous ne pourrons pas vous payer. précisa Arion
–Ma première solution est toujours possible, je suis sûr que mes clients en seront bien plus satisfaits.
–C’est hors de question ! grogna Paflos.
–Alors je vais ajouter ces cinquante sur la note que payerons vos “amis”.
–Dix !
–Quarante-cinq.
–Quinze !
–Trente et soixante-dix pièces de bronze.
–Vingt et vingt de bronze !
–Trente et quarante de bronze.
–Vingt et quarante de bronze !
–Vingt-cinq et trente de bronze.
Paflos marqua alors un temps de pause et grogna bruyamment. Il semblait prêt à dégainer son épée et trancher la vieille naine en deux. Jamais Arion n’avait vu son ami aussi énervé, même lors de leurs disputes. En face d’eux, la maquerelle le regardait d’un air imperturbable. Finalement, Paflos desserra les dents, et fit sèchement :
–Espèce de vieille écornifleuse… Marché conclu.
–A la bonne heure, je vais m’empresser d’ajouter cet argent sur votre note.
–Sauf votre respect, m’dame, se manifesta Fleur d'Épine, vous allez vraiment leur donner notre carte des tunnels ?
–Le simple fait que tu puisses penser cela de moi me désole, ma pauvre fille. soupira la tenancière. Bien sûr que non, mais ils seront accompagnés par une personne de confiance qui, elle, aura la carte.
–Une personne de confiance ? Mais le gros Flerick est dans le nord du Dwergald, non ? Et Moso le fou est pas genre… mort ou un truc du genre ?
–Mh, oui, et alors ?
–Bah vous allez envoyer qui comme personnes de confiance si ce sont pas vos… Hommes de confiance ?
–Eh bien en l’absence de Flerick et de Moso, je crois que tu es la plus indiquée pour cette mission.
–Hein ?! s’exclama la jeune femme en se redressant brusquement
–Tu sais te défendre, tu sais donner de ta personne et tu as montré une assez grande fidélité pour que je te fasse confiance. Et de toute manière tu n’as pas le choix. Ça ne me fait pas plaisir de ne plus avoir l’une de mes meilleures filles pendant quelque jours, mais je préfère cela à ne plus l’avoir définitivement. Si tu vois ou je veux en venir.
La félidée se tut et retourna se caler au fond de sa chaise, les bras croisés. Son regard se chargeait de noirceur et de mépris pour sa patronne. Elle n’avait d’autre choix que d'accepter, si elle ne voulait pas finir à la rue, ou pire.
–Merveilleux, ma fille. répondit avec un entrain cynique la matrone. Je savais qu’entre nous la question de ta fidélité ne se poserait pas. Ne reste pas planté là sur ta chaise, va te préparer pour ce voyage. J’ai un fournisseur qui doit venir à quinze heure, je veux que vous soyez partit avant.
Après un dernier soupir, Fleur d'Épine se leva et prit la route de l’escalier. De leur côté de la table, les autres pensionnaires chuchotaient entre elles en langue naine. Sans doute commentaient-elles la tournure des évènements. Paflos, lui, serrait toujours la mâchoire et le poing, non sans dévisager la maquerelle. Cette dernière, qui ne semblait pas plus dérangée par cela, se leva de table et regagna sa mezzanine puis son bureau. Rapidement, les autres filles gagnèrent elles aussi leurs occupations d’avant leur service.
–Tu es sûr que ton ami pourra payer tout ça ? osa demander Arion au plus vieux.
–Il pourra… répondit simplement Paflos
Arion acquiesça silencieusement, sans quitter son ami du regard. Ce dernier perdait le sien sur le siège vide de la matrone. Il semblait cependant se décrisper doucement. Le jeune sorcier tenta de lui parler de ce qui s’était passé dans cette chambre, la veille et ce matin. Mais avant qu’il ne concentre tout son courage, son ami répliqua :
–Vient, on ferait mieux de se préparer à partir.
–Mh, oui, tu as raison… répondit doucement Arion
L’homme d’armes se leva alors, et gagna l’escalier. Le plus jeune, de son côté, soupira doucement. Il avait perdu en quelque seconde toute sa volonté de parler de cette palette de sensations qu’il peinait encore à cerner. Alors, silencieusement, il suivit son ami.
*****
Le carillon du quartier sonnait quinze heures. Les deux hommes et la félidée, fin prêt pour leur voyage, avaient été réuni avec leur paquetage par la matronne, et attendait sa venu dans la cuisine. Paflos et Fleur d'Épine étaient tous les deux assis sur un long banc, dos à une grande table, et contrôlaient une dernière fois leurs affaires. Arion, lui, était accoudé au manteau de l’épaisse cheminée qui trônait contre l’un des murs de la pièce. Cette dernière était taillée dans la roche, comme tout le premier étage de la maison. Cependant elle avait un un aspect très brut, qui détonnait avec l’élégance et la subtilité des décorations et des sculptures du reste de l’établissement. Finalement, au bout de quelques minutes, la matrone entra prestement dans la pièce. Elle tenait dans ses mains plusieurs parchemins.
–Parfait, mes enfants, vous êtes là. Je vais être brève, mon fournisseur m’attends. Pour commencer, voici votre note.
Aussitôt, elle tendit le premier parchemin à Paflos. Ce dernier s’en saisit et le consulta. Alors que son visage se refermait, il fusilla la matrone du regard, et siffla.
–J’ai connu des sangsues moins avides.
–Très bien très bien. répondit la maquerelle sans vraiment faire attention. Ma fleur, voici le plan des galeries. La voie du dédale est marquée à l’encre rouge.
–Merci, patronne… fit la jeune femme en prennant l’un des parchemins qu’on lui tendait.
–Ah, et… Si tu souhaites rentabiliser le voyage…
La matrone glissa alors son dernier parchemin dans le corsage de la jeune félidée, avant de venir le tapoter avec paternalisme. La félidée ne montra aucune réaction, se contentant de baisser les yeux, les poings serré. La naine ne s’en formalisa pas et s’approcha de la cheminée. Étonné et sur ses gardes, Arion se redressa. La femme s’arreta face a lui et, tout en le fixant intensément, lui demand de se déplacer par un geste de main méprisant. Bien que perturbé, Arion s’exécuta et quitta les environs de la cheminée. La naine s'avança dans l'âtre, et pressa d’un même geste deux excavations au fond du foyer, avant de s’éloigner aussitôt. Un flot de cendres tomba sur les braises alors que, dans un tremblement, le fond de la cheminée pivotait, dégageant un escalier. Les trois futurs voyageurs regardèrent cette ouverture avec le même étonnement teinté d’émerveillement. La matrone, qui s’était détournée de la cheminée, était allée s’essuyer les mains couvertes de suie dans un chiffon posé sur la table.
–Fint. N’oubliez pas de refermer le tunnel derrière vous. fit la naine, sans quitter des yeux sa besogne.
Sans oser ni vouloir répondre, les trois voyageurs se regardèrent, avant d’entrer l’un après l’autre dans le tunnel. La félidée prit la tête, suivit d’Arion et laissant le soin à Paflos de fermer la marche. Mais alors que l’homme d’armes allait franchir le seuil de la cheminée, la maquerelle ajouta :
–Que Hiyet vous garde.
Paflos, étonné d’entendre le nom d’un dieu autre que Kerda dans cette maison, se tourna vers la femme et, en forcant un sourire poli, répondit :
–Merci, madame.
Puis sans plus de circonvolution, il s’engouffra à son tour dans le tunnel, alors que la femme retournait a ses affaires. Une fois passé, l’homme d’armes poussa le panneau de pierre. Ce dernier, par un jeu de ressort, retourna à sa place, fermant l’accès et plongeant les trois voyageurs dans le noir.
–Eh, lumière ! J’ai pas allumé la torche ! intervint la félidée.
–Vous auriez pu prévenir ! Par tous les dieux, comment s’ouvre ce passage…
–Attendez, je peux vous aider… fit alors Arion.
Ce dernier se concentra alors et tendit légèrement sa main devant lui. Il l'avait déjà fait plusieurs fois, s’était entraîné pendant des jours à Alpénas. Il n’y avait aucune raison que ça ne fonctionne pas… Entre ses doigts, quelques étincelles de magie pure se mirent à virevolter, avant que quelques flammes couleur grenat ne s’allument autour d’Arion. Ce n’était pas suffisant pour éclairer leur chemin, mais elles permirent à la félidée d’avoir assez de visibilité pour allumer leur torche. Leur environnement immédiat s’éclaira alors de la chaude lueur d’une lampe de mineur. Devant eux ne se dessinait pour le moment qu'une seule route, descendant par un escalier semblant s'enfoncer dans les profondeurs de la montagne. A peine allumée, Fleur d'Épine tendit la lampe au jeune sorcier.
–Tiens, môme. Porte moi ça. fit la félidée.
Arion s’exécuta, laissant à Fleur d'Épine le soin de sortir de son corsage la carte des galeries. La félidée passa quelques minutes à regarder sous tous les angles la carte, tout en marmonnant quelques mots dans une langue plutôt gutturale, similaire à l'accent quoique léger qu’elle avait. Une fois qu’elle eut déterminé leur emplacement, elle se mit en marche et s'enfonça dans les entrailles de la montagne, suivie par les deux hommes.
Les galeries qui couraient sous Silverberg formaient un réseau d’une densité incroyable. Chaque tunnel se croisait, se croisait, s'entrecroisait dans l’anarchie la plus complète. Certaines s'enfonçaient encore plus profondément vers le centre de la terre, d’autres semblaient remonter, mais la majorité ne paraissaient mener nulle part. Parfois, la lueur de leur torche se réverbérait sur les parois des galeries perpendiculaires, la faisant réapparaître au croisement suivant, comme marquant la présence fantomatique d’un arpenteur perdu depuis l’éternité. Comme terrifié par cette atmosphère de mort, le groupe semblait éviter le moindre bruit. Seules quelques infiltrations d’eau, de temps à autre, osaient transpercer ce silence, lorsqu’il prenait au plafond d’offrir une goutte à quelques flaques.
De sa main libre, Arion avait couvert son nez. L’air était vicié, chargé des odeurs mêlées des entrailles de la terre et de l’eau croupie s'amassant au sol. Devant lui, la galerie se perdait dans la pénombre, l’isolant lui et ses deux compagnons dans un réduit de lumière au milieu du néant. Le temps semblait s’étirer exponentiellement, alors que les croisements, les virages, les escaliers s'enchaînaient. Soudain, un courant d’air vint effleurer le visage du jeune sorcier. Il en sursauta, comme s’il venait de prendre un coup. Rapidement, leur galerie déboucha sur une gigantesque caverne, semblable à une faille large d’une vingtaine de mètres, et dont les deux extrémités n’étaient pas perceptibles. Le tunnel avait débouché sur un pont, traversant la faille et conduisant, de l’autre côté, à un escalier descendant plus profondément.
Fleur d'Épine s'arrêta à l'entrée de la passerelle, regardant quelques instants sa carte, puis fit signe au groupe de reprendre la route. Mais alors qu’ils arrivaient de l’autre côté, un étrange son se fit entendre, mélange entre celui d’un éboulement et d’un cor. Ce bruit, se maintenant de longues minutes, semblait avoir briser suffisamment longtemps le silence qui imposait sa loi au groupe pour laisser Arion demander :
–Qu’est ce que c’est que ces bruits ?
–Des Navenlos… répondit Paflos, en se penchant légèrement au-dessus du vide, comme pour les distinguer.
–Manquait plus qu’eux… soupira la Félidée, sans s'arrêter.
–C’est quoi, des Navenlos ?
–Des sales bêtes. compléta la félidée. Vous arrêtez pas.
–Des êtres des profondeurs. Ils vivent dans les entrailles de la terre, à la recherche de tout ce que la montagne daigne leur donner a manger.
–C’est dangereux ?
–Non, pas à cette distance… Mais évitons de trop nous approcher.
–On a pas la journée, vous vous grouillez oui ou merde ?
La félidé accéléra alors, passant la dernière marche de l’escalier et s’engouffrant dans un nouveau tunnel. Paflos et Arion, restés un peu en arrière, n’eurent d’autre choix que de presser le pas eux aussi. Sous leurs pas, la cavalcade des Navenlos commençaient à se perdre en écho dans la faille.
Le mince courant d’air que sentait Arion s’était renforcé en entrant dans le nouveau boyau, dissipant quelque peu la désagréable odeur des tunnels. A mesure que ce filet d’air devenait de plus en plus prégnant, le groupe accéléra, comme forcé par leurs instincts à fuir ce lieu infâme. Soudain, au détour d’un virage apparu une source de lumière naturelle, au bout du tunnel. Voyant cela, la félidée soupira de satisfaction, et accéléra une nouvelle fois son pas, étant à présent proche du trottinement. Elle fut vite imitée par les deux hommes. La bande déboucha alors dans une sorte d’antichambre, légèrement baignée de la lueur de l’extérieur par deux meurtrières au sommet du mur face à eux. Entre les deux ouvertures se trouvait un encadrement finement taillé, semblable à une porte murée.
–Et maintenant ? demanda Arion. ne me dites pas qu’on a fait tout ce chemin pour arriver a un cul de sac.
–Ce serait une belle ironie, alors que nous sommes aussi proches du dehors… soupira Paflos en croisant les bras
–Aidez-moi au lieu de chouiner… grommela la félidée en s’approchant de la porte murée.
Cette dernière le regarda de longues minutes, s’attardant sur l'entrebâillement, le mur l’entourant, avant de descendre son regard sur le sol. Soudain, elle s’exclama.
–Ca doit etre ca…
A ses mots, elle pressa le pied sur ce qui semblait etre une pédale métalique sur le coté droit de l’encadrement de la porte. Un cliquetis se fit entendre. Puis la porte murée pivota sur elle-même, ouvrant l’accès vers l’extérieur. Bien que le soleil de cette fin de journée soit passé au-delà des montagnes, la lumière naturelle éblouit de longues minutes les trois voyageurs. Mais plus que la lumière du soleil, ce fut un grand courant d’air qui s’engouffra dans le tunnel, qui balaya d’un revers toute la puanteur des galeries. Une fois leurs yeux habitués, Fleur d'Épine leva le pied du mécanisme, pour l’y remettre aussitôt. La porte ne restait ouverte que tant qu’elle maintennait son pied sur la pédale. La femme soupira, et fit :
–Passez devant, je sortirai en dernière.
Les deux hommes acquiescèrent. Paflos s'avança en premier vers la sortie. Arion, de son côté, ouvrit alors sa lampe de sûreté et la souffla. Puis, sans bien savoir pourquoi, il jeta un dernier coup d'œil derrière lui. Ce n’était peut être qu’une impression, mais il jurerait entendre, dans les méandres du néant, le son d’un cor raisonner.
–Grouille toi, môme !
–J’arrive…
Arion se détourna alors des ténèbres, avant de franchir la porte. La félidée le suivit, alors que le mur reprenait sa position habituelle, replongeant les tunnels de Silverberg dans leur obscurité et leur silence. Les trois voyageurs avaient débouché au pied d’une des gigantesques statues des rois nains cerclant l’entrée de Silverberg. Face à eux s'étendait à présent s'offrait à eux la vaste plaine s’étalant au pied de la cité naine. Pendant quelques secondes, tous les trois restèrent immobile, semblant tous profiter de leur retour dans le monde du dessus. Puis, sans dire mot, ils prirent la route du Nord, afin de rallier Tursil Ansar.
*****
–On est maudit.
–Arrête de te plaindre cinq minutes…
–On est maudit, je te dis. Le Maître ne nous pardonnera pas de les avoir à nouveau laissé échapper.
Sur les hauteurs de la grand-porte de Silverberg, plusieurs silhouettes encapuchonnées suivaient des yeux trois petits points s’éloigner des contreforts de la cité naine et partir vers le Nord. L’une d’entre elle, assise sur un créneau, faisait tourner frénétiquement tourner son index autour de son pouce. Un autre chaperon était quant à lui appuyé sur le créneau d'à côté. D’une voix ironique, ce dernier fit :
–Qui aurait pu prévoir qu’ils sortiraient par les entrées de services…
–Par pitié, Astria, tais toi…
–Quoi ? C’est pas de ma faute.
–Le maître ne nous le pardonnera jamais…
–Et alors ?
–Tu veux ma mort, pas vrai ?
–Bah oui, et ?
–Espèce de sale garce…
–C’est bon, maintenant que tu t’es bien plaint comme il faut, on peut rentrer ?
–Non.
La silhouette assise se leva, fixant intensément les trois tâches s’éloignant.
–Au vue de leur allure, si on suit les routes de montagne au pas de gymnastique, on pourrait leur tomber dessus demain dans l’après midi, au carrefour du vieux moulin…
–Si tu y tiens, après tout c’est sur le chemin de Tursil Kranor.
Semblant ne pas entendre son interlocutrice, l’ombre se tourna vers ses autres hommes, et d’une voix ferme, leur dit :
–Pressons nous, lavons l’affront qui nous a été fait et ramenons ce gamin au maitre.
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