Appartements royaux
Quand il le pouvait, Danny lui jetait un regard oblique. Une des 150 ! Le groupe initial ! Les vainqueurs de Bladel ! Et pas n’importe qui. L’aide de camp du commandeur, rien de moins. Elle le suivait partout, transmettait ses ordres, partait en reconnaissance, préparait le terrain. Sans titre particulier, tous lui obéissaient. Et c’est lui qui la conduisait chez la princesse.
Il aurait apprécié lui adresser la parole, mais sa fonction l’interdisait. On ne pouvait être reconnu sans s’en tenir aux règles. La sienne consistait à la conduire au lieu désiré, ensuite, il rentrerait au poste.
Des femmes qui battaient des hommes dans l’art de la guerre ! Il n’y aurait jamais cru avant de le constater lui-même. Pour assister fréquemment à leurs entraînements, il espérait un jour se mêler à eux. Volontaire, il l’était, il serait de ceux qui repousserait les Galiens, uni à l’ensemble des combattants du royaume. De ces ennemis qui le terrifiaient auparavant, il n’avait plus peur, il espérait seulement devenir comme les compagnons du commandeur, précis et fort.
Malgré la multitude de marches, la jeune dame ne fatiguait pas. Ce n’était pas le cas de toutes les personnes qu’il conduisait jusqu’aux appartements royaux, hommes ou femmes. Celle-ci tenait sa réputation.
— Nous sommes arrivés. Je vous souhaite une bonne soirée.
Elle se retourna, fit un signe de tête et le remercia. Le garde de faction fit tinter la sonnette.
.oOo.
Soline suivi la princesse dans tout ce qu’elle voulut lui montrer. Magnifiques, les appartements royaux ne représentaient pourtant pas la raison exacte de sa venue. Elle avait accepté l’invitation pour éprouver la véracité du chapitre que son hôte avait écrit sur elle, et appelé de son nom.
Grande et spacieuse, la chambre de Sara était aussi sa pièce à vivre. Des livres peuplaient les dessus d’armoires, plumes, encriers et parchemins parsemaient la table ronde. C’est là, autour d’un thé chaud et de biscuits fins, que Sara ouvrit un dossier contenant plusieurs feuillets.
— Mon roman ! fit-elle.
Soline feuilleta délicatement les feuillets parcheminés. De gros titres segmentaient le texte. L’écriture se révélait délicate et précise. Parfois, la première lettre des chapitres se trouvait richement décorée.
— Le chapitre te concernant est l’avant dernier. Si tu veux, tu peux y aller directement.
Impressionnée, Soline leva la tête.
— J’ai bien envie de tout lire. Mais je lis très lentement. Et parfois…
Elle s’excusait. Combien cette jeune fille avait eu de chance. Elle avait tant appris depuis sa rencontre avec ses amis gladiateurs.
— C’est normal, la dédouana Sara, justement, ça te fera du bien. Tu me signaleras les termes que tu ne comprends pas.
— Moi aussi je t’ai amené de la lecture.
Elle retourna auprès de la sacoche posée sur une chaise le temps de la visite pour en sortir plusieurs feuillets. Curieuse, Sara n’attendit pas de les avoir en mains.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Je veux voir en combien de mots tu comprends ce que ça représente.
Cette fois, pas de gros titre.
— Peuple d’Andalore. Le discours ?
— Deux mots, tu comprends vite.
— C’est le discours…
Soline vit combien la princesse était émue et pressée de lire. Elle se retourna, fit quelques pas feuillets en main, puis revint vers son amie.
— Chacun lit de son côté, d’accord ? proposa la princesse.
Ainsi, elle pourrait prendre tout son temps pour prendre connaissance de cette partie de l’histoire du royaume qu’elle avait manquée.
Peuple d’Andalore,
Ce n’est pas de mon fait si je me retrouve aujourd’hui devant vous. Pour défendre un miséreux, je suis entré en conflit avec le roi. Mais qui peut s’opposer à lui ? Le général Gauthier, ici présent, avec qui nous avons, dernièrement, refoulé les Galiens, aussi désireux que moi de défendre ce pays, m’a soutenu. Le maître des lieux s’est sauvé et nous pensons qu’un membre de sa garde personnelle l’a assassiné pour s’emparer de ses biens.
Pour éviter les changements brutaux, synonymes de désordre et de pauvreté, j’ai reconduit les responsables d’État dans leurs fonctions. Je me fixe maintenant deux objectifs.
Le premier concerne la défense du territoire. Les Galiens ont une revanche à prendre, il en va de leur honneur. La situation est urgente et une bonne partie de nos ressources seront dévolues à ce poste.
Quant au second, pour lequel j’aurais tout autant besoin de vous, il concerne un rêve, celui d’un peuple où chacun collabore au bonheur des autres. Pour y arriver, nous allons commencer par le bas pour remonter les strates de l’injustice, petit à petit, jusqu’à l’abolir. Je ne veux plus de miséreux ni de malheureux. En conséquence, toute personne sans moyens est appelée à se présenter. Nous lui fournirons travail, logement, de quoi se nourrir et se vêtir. Cela inclut ceux qui volaient pour survivre, qui seront, de fait, absous.
Arrivée à ce point, Sara leva la tête. Son rêve. Son rêve était en train de se réaliser. Elle avait failli ignorer l’événement en fuyant en Idrack.
Soline, elle, restait concentrée. Ses lèvres bougeaient pour former des mots. Toute son attention se portait à la lecture.
À ceux qui sont sans moyens, sans famille, incapables de se déplacer ou de travailler – je pense aux malades, aux invalides, à certaines veuves – l’État apportera son aide. Plus jamais aucun Andalorien ne doit rester seul et sans ressource.
Vous l’avez compris, notre premier combat consiste à gagner notre liberté, le second, à étendre les principes de justice et d’égalité. En conséquence, nous établirons une constitution dans laquelle nous inscrirons les droits fondamentaux que chaque être humain pourra revendiquer. Par concomitance, ces droits entraîneront des devoirs, dont le plus élémentaire concerne le respect mutuel, ce que chacun de nous doit aux autres. Droits et devoirs concernent chaque homme et chaque femme, riche ou pauvre, sans distinction.
Notre population n’est pas seulement décimée par les guerres et les pillages, mais aussi par la maladie. Il s’agit, là encore, d’un de nos sujets prioritaires. Des mesures seront prises pour vaincre celle-ci et renforcer corps et esprits.
Ce programme est vaste, sa mise en œuvre requerra du temps. Je demande à chacun de prendre patience. Nos priorités : préparer la guerre, vaincre la pauvreté et la maladie. Je souhaite à tous bonne et longue vie.
Sara ressentit le désir de rejoindre Krys pour l’embrasser. Elle se voyait descendre les escaliers quatre à quatre à toute vitesse, longer les couloirs, sortir du palais, prendre la direction du quartier général de la communauté. Mais elle se couvrirait de ridicule. Et elle ignorait où il se trouvait à cette heure.
Tant pis…
Elle se leva, se rapprocha de Soline. Celle-ci peinait à dépasser la première moitié de la première page.
— Tu as préféré commencer par le début ?
Elle hocha la tête, souriante. Son amie avait eu la bonne idée de situer le point de départ de sa biographie au premier combat de Krys, celui où il aurait dû mourir, celui où, en fait, tout a commencé. Son histoire à elle pouvait attendre.
La princesse laissa la lectrice face à son passé. Elle relut le discours et réfléchit aux implications. Droits et devoirs concernent chaque homme et chaque femme, riche ou pauvre, sans distinction. Tous avaient les mêmes droits. Mais qui avait compris ce que cela impliquait ? Tellement sûr de sa force, le commandeur n’avait même pas cherché à arrondir les angles. Il semblait ne pas craindre l’aristocratie. Si même le roi devait composer avec les forces en présence, il semblait bien que le nouveau dirigeant n’en ait cure. C’est ce qu’elle aimait chez lui. Il venait d’ailleurs. Il ne devait rien à personne. Sa liberté deviendrait notre liberté, la liberté de tous.
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