L'inconnu de la montagne
Quelque part dans la montagne, Lech, Autriche, 8 février 2012
Ni les rafales ni le bruit du moteur de l’hélicoptère, de l’autre côté de la montagne, ne suffirent à noyer les fastidieuses remarques du guide.
— C’est vrai, quoi ! Depuis quand une femme sait distinguer des tirs de carabine d’une fusée de détresse ou d’un pétard..., ajouta ce dernier, moqueur.
Charlotte ne s’occupa pas de lui, tant l’inconnu de l’hôpital l’intriguait. Elle était sûre qu’il s’agissait de la même personne. Des années de filature avaient développé ses capacités de physionomiste. Sa présence dans cet endroit, armé, n’était pas anodine. Qui plus est, il connaissait son état, ses faiblesses. Que signifiait ce coup bas ?
— Sauriez-vous les distinguer, vous ? lança-t-il d’un ton sec à Tom.
L’inconnu n’attendit pas sa réponse et se retourna vers le pic de Mehlsack. L’appareil s'éleva dans un vrombissement, tandis que, du sommet, trois minuscules silhouettes dévalaient la neige vierge.
— Ah, ouais ! Un moment magique, ça ! ajouta Tom, hâbleur. J’ai la chance d’avoir parcouru cette descente de nombreuses fois, les avantages d’un guide, vous savez !
Ni l’un ni l’autre ne l’écoutèrent. Charlotte observait, suspicieuse, l’inconnu de l’hôpital. Elle s’interrogeait toujours sur sa présence à cet endroit précis. Une idée saugrenue vint frapper son esprit : était-il là pour la même raison qu’elle ? Ou, pire que ça, en était-elle la raison ? Cette dernière hypothèse lui parut la plus plausible. Pour la première fois, elle considéra que finalement Tom n’était pas une si mauvaise compagnie.
De l’autre côté de la montagne, le trio de freeriders stoppa leur descente lorsqu’ils atteignirent un ensemble rocheux, à côté d’un panneau. Une crevasse ? Lentement, ils le contournèrent et repartirent de plus belle. Charlotte remarqua la mâchoire tendue de l’inconnu. Il semblait scruter les moindres mouvements du trio au moment de freiner, puis sourit en les voyant s’arrêter pour éviter l’obstacle.
« Étrange », songea-t-elle. Décidément, ce type lui paraissait bien cacher son jeu. Elle cherchait quelle question pertinente lui poser pour en savoir plus, mais il avait l'air pressé de déguerpir. Sans plus attendre, il enfila son sac à dos, accrocha la bretelle de la carabine à l’épaule, fit un discret signe de la main et s'en alla.
— C’est bon, partons ! lança-t-elle aussi.
— Mais on vient à peine d’arriver ! s’étonna Tom. Vous êtes...
— Oui, je suis sûre ! le coupa-t-elle, en accélérant.
Perdre de vue cet individu, armé, qui plus est. Certainement pas. Elle avança jusqu’à lui et cria, essoufflée :
— Attendez ! On peut faire le chemin de retour tous ensemble.
— Ah oui, bonne idée ! s'exclama Tom.
D’une glissade assurée, ce dernier les rejoignit et ajouta :
— Vous savez, il vaut mieux s’entourer d’un guide qualifié, comme moi. Le temps peut changer d’un moment à l’autre et il fera bientôt nuit.
L’individu stoppa et, après une brève pause, comme s’il cherchait les mots précis à utiliser en restant courtois, trancha :
— Je suis arrivé ici sans guide, je n’en ai pas besoin pour rentrer.
— Oh ! Des je n’ai pas besoin j’en entends à chaque fois que je dois intervenir auprès des imprudents, ajouta Tom, en cherchant des yeux la jeune femme. Je suis aussi secouriste de haute montagne, un héros en quelque sorte...
Il ponctua sa phrase d’un sourire, montrant ses dents parfaites, mais Charlotte ne le vit pas. Elle concentra son énergie à avancer au rythme de l’inconnu, qui en avait profité pour s’éloigner. Tom la rattrapa aisément et tourna autour d’elle en exécutant une sorte de figure pour l’impressionner, ce qu’elle fit semblant de ne pas voir.
— Ne vous fatiguez pas à le suivre, mademoiselle, je ne sais pas où il va. En tout cas, il me paraît prêt pour le biathlon. Ça vous dirait de découvrir cette discipline ? Il y a un parcours à la station, comme ça vous allez vraiment savoir à quoi ressemble le son d'un tir...
— Tom, ça vous dit de prendre un verre ce soir ?
Le jeune homme fut si décontenancé qu’il n’eut pas le temps de répondre avant qu’elle n’ajoute :
— Rattrapez-le et découvrez où il va.
Le guide s’esclaffa.
— Mais que lui trouvez-vous ? Ah ! C’est votre côté journaliste, hein ? Allez, c’est parti !
Elle le vit s’éloigner tandis qu’elle réfléchissait à sa situation. Son esprit lui jouait peut-être des tours ?
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