Chapitre 39 : La cité enfouie (2/2)
Tant qu’ils résistèrent, dans le sang et l’acier, la perturbation ne dicterait pas leurs gestes. Ils persistèrent quitte à décevoir leurs guides. Les flammes s’éteignirent en un ultime grésillement, mais du flux imprégnait encore l’air ardent. Horis ne cessa de le puiser, Nafda ne cessa de le contrecarrer.
Le mage déploya des cylindres lumineux qu’il envoya tel un inextinguible flot. Même en croisant ses lames, l’assassin en trimait davantage rien qu’à réduire la portée des sorts. À la prolifération des impacts s’endiguaient ses mouvements. Elle s’opiniâtrait pourtant envers et contre tout. Glissait et bondissait de part et d’autre de la plateforme. Tournoyait sans que Horis pût suivre ses mouvements.
Ainsi tu te bats, persuadée de m’épuiser à force. Tu te vantes d’abattre tes cibles en peu de temps, mais contre moi, tu es contraire de trouver de nouvelles techniques. Retranchée dans tes limites, décidée à m’abattre à l’usure. Moi aussi, je peux être endurant. Moi aussi, je sais me montrer persévérant.
Une telle quantité de magie au sein de cet environnement avantageait indubitablement Horis. Restait à triompher des effets de kurta, pour qu’enfin une salve engloutît l’assassin. Au lieu de quoi des torsades de flux la submergeaient sans succès avant d’emplir l’environnement, comme modifiés, comme purifiés. À force de le manier, Horis se sentait en phase avec ces souterrains. Il se serait épanoui si une intruse pensée ne le lancinait pas. Celle d’occire cette gêneuse au plus vite. Celle de surmonter l’obstiné obstacle. Quelque chose se situait au-delà, lui promettait les réponses tant attendues.
Plus loin que le feu miroiterait cette clarté tant désirée.
Il n’appartenait qu’à lui de la saisir, de s’accomplir quel que fût le moyen.
Hélas, il devait encore se préserver. Face à lui jaillissait une adversaire aux traits déformés. Elle sauta depuis une roche, et ses lames fondirent en une paire de véloce traits. Horis déploya un bouclier magique in extremis. À sa fin manquée, des pans entiers de son existence défilèrent devant ses yeux dilatés, tandis que les deux corps tressaillaient d’abondance.
Magie naturelle contre le fabriqué kurta. L’intensité de l’échange atteignait son paroxysme, si bien que l’intégralité de la plateforme menaçait de céder. Ni la compression de l’air, ni les vibrations qui secouaient les murs, pas même la coruscation des halos suspendus par-dessus le vide ne les interrompaient. Ils se fixaient dans toute leur profondeur, s’échangeaient un coup aux dévastatrices répercussions.
Jusqu’au moment où les voix tonnèrent derechef.
— Il suffit ! vociféra Niel. N’avez-vous pas écouté notre premier avertissement ? Il est temps de rencontrer votre destinée, et elle se matérialisera par-delà la brutalité de votre rencontre. Puisque vous ne daignerez pas y aller par vous-mêmes, nous vous y contraindrons.
Ils n’avaient guère réalisé. Si déterminés à triompher de l’autre qu’ils avaient à peine aperçu la lueur azur s’illuminer sous les contours de l’arche. Des ondes se propagèrent à la verticale le long d’un éblouissant mur de lumière.
Ils y furent projetés et y entrèrent malgré eux.
L’obscurité régna quelques instants durant. Avec elle, des tressaillements, tout comme une sueur glacée, et l’impression de se dissoudre dans le néant. Horis n’eut pourtant qu’à ouvrir les yeux et une perspective nouvelle se présenta devant lui.
Pénétrant de l’autre côté du portail, son corps réalisé une grâcieuse courbe avant de se fracasser sur une volée d’escaliers morcelés. Des pointes de douleur parsemèrent ses membres déjà entamés alors qu’il s’habituait tout juste à ce nouvel environnement. Le visage contre le rêche et vétuste pavé, les pieds calés sur la dernière marche.
Blessé mais entier. Je n’ai jamais entendu parler d’une téléportation pareille ! Se pourrait-il que…
Les lieux avaient beau être abandonnées, un lumière si vive l’illuminait que Horis savait en détailler chacun de ses contours. Aussitôt redressé, il se heurta à un décor d’ampleur démesurée, dépassant l’entièreté de ses espérances. Par-delà les escaliers s’étendaient deux identiques voies, le long desquelles se dressaient une multitude de maisons bâties en plâtre blanc ou en pierre ocre et safran. Un amas de poussière couvrait tant les toits voûtés que les murs morcelés. Quelques édifices s’incrustaient entre les habitations, reconnaissables à leur hauteur et aux pilastres s’élevant en leurs coins. Des mottes de terres défraîchies se glissaient entre les intersections de la route par surcroît.
Voici Sanak. Donc Leid et Niel ne mentaient pas, et j’ai la réponse à ma question. Où est Nafda ? Peut-être qu’elle n’a pas survécu à la téléportation. Ou bien si, mais elle est ailleurs. Je dois rester sur mes gardes.
Une once d’hésitation, une profonde inspiration, et Horis entama son exploration.
Des sentiments contradictoires bousculèrent le jeune homme au moment de se glisser dans les rues du souterrain. Tant la matière que l’agencement des constructions lui rappelaient les villages nichés au cœur du désert d’Erthenori, toutefois paraissaient-elles plus rustiques. Si Horis échouait à les dater, il notait qu’elles avaient admirablement résisté aux affres du temps, hormis celles coincées sous des amoncellements de sable et de roche.
Nulle végétation n’avait survécu, en revanche. Aucune existence ne foulait céans hormis la sienne, bien que de lointaines foulées l’avertissent d’éventuelles autres présences. Marchant vers l’inconnu, Horis avisait les ramifications d’un lieu aux multiples facettes, dont le relief l’enfonçait parfois vers de plus grandes profondeurs encore. Dans toutes les directions s’étalaient escaliers et échelles qui souvent s’implantaient dans la pierre.
Il se cala soudain sur les gravures. Plisser les yeux et puiser dans ses connaissances ne l’aidèrent guère à reconnaître la langue. Il nota juste quelques ressemblances avec le myrrhéen, mais face à son incapacité, il dut s’éponger le front et se détourner.
Quel âge a cette cité, exactement ? Depuis combien de temps est-elle morte ? D’après la configuration du sol, nous sommes dans le désert. Personne, au grand jamais, ne m’avait parlé d’un lieu de ce type avant Leid et Niel. Je ne comprends plus rien…
Horis s’évertuait à faire le vide dans sa tête, en vain. Cela l’exhorta à s’en inspirer afin percer les mystères qui s’épaississaient à chacun de ses pas. Une brume l’enveloppait même s’il apercevait ses environs avec netteté. Plus il progressait au sein de la cité et plus les charpentes s’enchevêtraient dans des limites mal définies.
Il parvint à une impasse.
En face de lui s’érigeait un mur. Une roche proéminente, fendue d’anfractuosités, révélait un cercle à l’intérieur duquel trois lignes se croisaient au milieu et se finissaient tels des crochets. Intrigué, Horis brûlait de s’en rapprocher, de palper la ciselure de ses propres mains.
Mais les foulées s’étaient alourdies et vrillaient ses tympans. Le flux déferlait de nouveau en lui.
Il n’eut pas besoin de se tourner entièrement qu’il avait déjà reconnu son adversaire, à qui il coula une haineuse œillade. Mes espoirs n’étaient pas fondés. C’est le contraire qui aurait été surprenant. Par-devers son ennemi, Nafda avait déjà plié les genoux et levé ses dagues, comme du sang séchait de part et d’autre de sa figure ravinée par leur récent duel
— La téléportation aurait dû te tuer, regretta Horis. Même pour les mages, un tel procédé peut être dangereux si on en abuse, alors pour toi…
— Un détail ! s’exclama Nafda. Tu ne te débarrasseras pas de moi facilement !
— Es-tu en train de dire que c’est à moi de t’achever ?
— Malgré tous les miliciens que tu as tués, je suis plus forte qu’eux. Tu trépasseras avant.
— J’en doute. Tu fais la fière, mais en réalité, ta soif de sang est limitée. Sinon tu aurais occis Médis quand tu en avais l’occasion. Peut-être qu’au fond de toi, tu as réalisé que Bennenike te manipulait. Qu’assassiner les mages en raison de leur nature est une terrible chose.
— La ferme !
Horis et Nafda fulminèrent, parés à une reprise. Le mage et l’assassin se fixèrent, prompts à verser de nouveaux jets de fluide vital. Ils s’étaient positionnés pour le combat, et d’un instant à l’autre, l’entrechoquement retentirait au-delà des parois souterraines.
Yuma, si une partie de ton âme existe encore, donne-moi la force de triompher de cette tenace opposante.
Tous deux s’élancèrent, tous deux hurlèrent.
Et s’arrêtèrent que le cercle se mit à briller. Une lumière aux nuances smaragdines parcourut chaque ligne du glyphe au rythme d’un net grondement. Tel un appel le son attira Horis et Nafda qui en baissèrent même leurs bras. Ils observèrent, bouche bée, le souffle ralenti. Concentrés sur le phénomène, focalisés sur l’abstrus.
Leid et Niel se téléportèrent entre la gravure et eux. Un air suffisant les animait comme ils se raidirent et joignirent leurs bras derrière le dos. Ils avaient pris de la hauteur par rapport au mage et à l’assassin bien qu’ils fussent au même niveau. Les jaugèrent au cours d’un silence cérémonieux durant lequel Horis et Nafda peinèrent à répliquer.
Ils se présentent encore. Je n’ai plus la patience de les écouter. J’exige des réponses et non des énigmes.
— Le moment tant attendu, déclara Leid. Vous êtes assez entamés des suites de votre duel. Décevant, mais c’est à vous d’assumer.
— Vous m’avez attirée vers mon pire ennemi et maintenant vous jouez aux étonnés ? Bien sûr que j’allais me vouer corps et âme à le transpercer de mes lames !
— Condamnée à échouer lamentablement.
Nafda grogna en les foudroyant des yeux, sans pour autant s’armer.
— Tu as réussi à traverser le portail car il a été conçu ainsi, éluda Niel. Les bâtisseurs de naguère souhaitaient que chaque personne puisse se téléporter d’une région du monde à l’autre. Sans danger imminent ni même d’effet secondaire.
— Est-ce seulement possible ? fit Horis. De ma vie, jamais il ne m’en a été fait mention ! J’ai pourtant exploré les recoins insoupçonnés de la magie avec Yuma !
— Tu ne connais pas tout, et Yuma non plus. La preuve se situe autour de toi.
— J’en ai plus qu’assez de vos interminables énigmes. Expliquez-vous ! Qui êtes-vous ? Quel est cet endroit ? Que faisons-nous ici ?
Niel et Leid éclatèrent de rire. Ce fut certes éphémère, pourtant prompt à irriter Horis et Nafda, lesquels se soutinrent au moins pour toiser les anciens espions. Si mes interrogations demeurent, s’ils continuent de nous mépriser en parlant de la même manière, je les attaquerai. Ces derniers se consultèrent quelques instants, puis ils s’avancèrent, mus par un inquiétant sourire.
— Ce sont les dernières traces de la civilisation locale avant l’avènement de l’empire, expliqua Leid. La résistante cité de Sanak. Là où se tapit une force ancestrale… que nous nous apprêtons à réveiller.
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