11. Samaël
L’obscurité était totale, remplissant le néant. Pourtant, malgré l’absence même de temps ou d’espace, la sensation terrifiante de chute vertigineuse était bien réelle. Samaël tombait dans le noire, engloutit sous l’océan de vide absolu. Dans ce monde perdu, il crut sentir une main apaisante l’agripper. Il eut envie de s’y accrocher et pendant un instant, il crut y arriver. Mais malgré ses efforts, la main de la Mort lui échappa.
Samaël émergea de son sommeil avec un hurlement.
« Tout va bien mon enfant. Tout va bien. »
Sa respiration était saccadée et il crut s’étouffer. Il vit sa mère à son chevet.
« Le même cauchemar encore ? »
Samaël acquiesça.
« Les Dieux sont durs avec toi… ils te rappellent encore et encore que tu as grâce à eux, échappé à une mort certaine,»
Il essuya son front transpirant et soupira. Il était fatigué de faire le même rêve horrifiant.
« Ils me rappellent surtout que je ne devrais pas être en vie. J’ai triché la mort. La Morodora… personne ne survit un tel poison. »
Depuis son attaque, il avait lu tout ce qu’il pouvait sur le sujet, déniché tous les ouvrages et livres qui ne fusse que mentionner la Morodora. Il n’en avait pas appris plus que ce que la plupart des gens savaient, c’est à dire que c’était un poison puissant, qui transformait le sang en un liquide sombre et toxique. Aucun antidote n’existait. Et pourtant il avait survécu et ne lui restait rien d’autre qu’une vilaine cicatrice qui encerclait tout son genou.
« Tu n’as pas triché mon cœur, tu es ‘le prince protégé par les dieux’, ‘le prince choisi’ ! »
Il leva les yeux au ciel. Samaël savait qu’il n’en était rien. Il se souvenait vaguement mais indubitablement du toucher de Lunsor de cet être qui l’avait sauvé : son Ange Protecteur, comme il l’appelait.
« Rendors-toi, mon enfant, le soleil ne se lèvera que dans trois heures. »
Elle déposa un baiser sur son front et quitta la pièce. Samaël se laissa tomber sur son lit, fatigué, mais incapable de se rendormir. Il en était persuadé : il aurait dû mourir cette lune-là. L’équilibre entre le monde des morts et celui des vivants était tout aussi important que celui entre la Lunsor et l’Alunsor. Mais alors, était-ce vraiment un Ange qui l’avait sauvé du précipice ou un Démon ? Quelque part, il le savait : une lune, il paierait le prix de sa tricherie.
Il se leva et contempla sa blessure au genou ayant laissé une hideuse cicatrice, plus sombre que sa peau saine. Il passa sa main dessus, sentant le relief irrégulier. Personne ne savait qui était derrière l’attaque qui avait failli lui coûter la vie. Son père soupçonnait les Royaumes voisins. Mais on n’avait trouvé aucune trace de son assaillant, aucune preuve les menant vers l’un ou l’autre suspect. Celui qui l’avait empoisonné s’était envolé dans la nature de la même façon que la personne qui l’avait sauvé.
Samaël soupira et ouvrit une fenêtre, respirant l’air frais de la nuit. Toutes étaient maintenant barricadée de grille, l’empêchant de sortir du palais. Bien sûr, cela n’arrêta certainement pas ses fugues occasionnelles. Seulement, avec l’âge, il avait appris à échapper plus aisément aux gardes qui ne s’apercevaient même plus de ses disparitions furtives. Il n'allait décemment pas rester prisonnier ainsi dans le palais royal. Comment pouvait-il apprendre quoique ce soit enfermé entre quatre murs ?
Cette lune-là, il retrouva Lira, Keelan et Baron, à l’extérieur du château. Ils avaient décidé d’aller dans une taverne au village voisin de Condort où ils se retrouvaient quelques fois par semaine.
Ils marchèrent, le pas assuré, vers la périphérie nord du Royaume. Ils connaissaient un tunnel secret pour quitter Lyisstad. Rapidement, le groupe se retrouva à l’extérieur de la cité royal sans que qui que ce soit ne les aperçoivent. Le village de Condort se situait à quelques centaines de pas de la capitale. Cette distance qui avait semblé infranchissable lorsqu’ils étaient petits, leur paraissait maintenant ridicule.
Ils arrivèrent rapidement à leur taverne favorite : Le Rikusentar. Ils s’assirent à leur place habituelle, au fond de la pièce principale. Avec cette pluie incessante, tous avaient une capuche couvrant leur visage et donc peu faisaient réellement attention à eux. Ils commandèrent la boisson favorite de la taverne, lui donnant son nom.
« Alors Keelan, remis des critiques de maître Dallor ? » demanda Baron en ricanant.
« Comme si la même chose ne t’était pas arrivé il y a quelques lunes ! »
« Certes mais au moins lui ne s’était pas retrouvé à genou, épée à dix pas de lui, lors de son duel contre Lira. » répliqua Samaël.
Baron et lui éclatèrent de rire en se remémorant ce qu’il s’était passé. Lira baissa les yeux et essaya de retenir son rire.
« La réalité est que vous vous retrouvez tous à genou face à moi » déclara-t-elle un sourire fier aux lèvres.
Baron se figea à ses paroles et Samaël s’étouffa sur son verre de Rikusentar, s’apercevant de la signification potentiellement double de ses paroles. En remarquant leur réaction, Keelan leva les yeux au ciel. Tous sauf lui étaient sous le charme de Lira. Elle était d’une beauté indéniable mais surtout, une étudiante brillante dans tout ce qu’elle faisait, particulièrement douée avec l’épée. Et comme si toutes ces qualités ne suffisaient pas, elle était issue d’une illustre famille, son père, le général Faris, étant le deuxième homme le plus puissant du Royaume. Mais au grand désarroi de Baron et de tant d’autres, elle ignorait toutes leurs avances.
« Vous sentez-vous prêt pour les épreuves de Transition ? » demanda Keelan après un moment.
« Oh m’en parle pas… La seule chose qui fait que je ne perd pas la tête c’est Molly, Fleur et Mathilda. »
« Qui… ? » commença Lira, interrompu par les éclats de rire de ses amis. « Ah. Les filles des maisons closes. »
Samaël soupira, perdant le fil de leur conversation. A l’âge de Transition, toutes les jeunes filles et les jeunes garçons du royaume devaient passer un nombre d’épreuves pour pouvoir être accepté dans les différentes Académies qu’ils désiraient rejoindre : l’Académie de l’armée Royale, des sciences, de commerce, des langues, des arts … il y en avait pour tout le monde. Le prince devait rejoindre, comme tous ses ancêtres avant lui, la Grand Académie de l’Armée. Les épreuves pour y accéder étaient particulièrement rudes : ce n’était pas qu’une question de force physique. Elles demandaient aussi une force mentale et intellectuelle. Samaël avait travaillé dur, s’étant entrainé jour et nuit pour y arriver.
« Je pense qu’on ne se sent jamais prêt face à des épreuves si importantes. Notre avenir est en jeu. » finit par dire Samaël.
Baron pouffa de rire.
« Notre avenir, pas le tien. Tu es le prince héritier ; quoiqu’il arrive tu deviendras roi. »
Lira et Samaël lui lancèrent tous les deux un regard noir. Il n’y avait en fait, nul laxisme pour lui simplement parce qu’il était le prince : il était traité comme tous les autres jeunes de son âge. Samaël ouvrit la bouche pour répondre mais Lira posa sa main sur son épaule lui faisant signe de la laisser s’exprimer. Elle dit :
« Ne soit pas stupide, Baron. Quelle crédibilité aura-t-il s’il échoue lors des épreuves de transition ? Personne ne le prendra jamais au sérieux. Les enjeux et la pression sont encore plus élevés pour lui que pour nous tous ici. »
Samaël baissa les yeux. Évidemment, elle avait vu juste. Il devait prouver à tout le monde qu’il était digne d’être leur futur roi. Surtout, il devait montrer à son père qu’il n’était pas simplement le garçon indiscipliné et prétentieux qu’il pensait être. Keelan tapota sur son épaule et dit :
« Tu n’as pas de raison de t’inquiéter. Nous nous entraînons pour ces épreuves depuis notre plus jeune âge. Tu as toujours été bon dans les tests d’orientation, de stratégies et tout le reste. Tu t’en sortiras très bien j’en suis certain. »
Tous acquiescèrent, le regard rassurant.
« Puis, tu connais déjà tes points faibles. » s’exclama Baron. « C’est simple, si tu vois Lira, court sinon tu finiras à genou. »
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