22. Aravel

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An 913 PTP

Aspirer. Souffler. Aspirer. Souffler. La fumée sortait de ses narines et de sa bouche puis rebelotte. Aravel tirait sur l’embout métallique de la pipe à eau, toutes les saveurs de fleurs de sureau et d’herbe médicinale se mélangeant élégamment dans sa bouche, sa gorge, ses poumons. Il n’y avait rien que le mage n’aimait plus que cette sensation relaxante de la pipe à eau, lui rappelant tant de souvenir de son enfance au Brahaum. Malheureusement, rares étaient les tavernes du Lyis qui proposaient cette invention venat du voisin au Sud, le mélange d’herbe étant resté mystérieux à travers les âges. Mais il en avait trouvé ici, dans cette taverne charmante aux terrasses fleuries de Peyroth, frontalière au Brahaum.

La belle cité, tristement surpeuplée de patrouilleurs, se situait sur une petite colline, résultant en une vue splendide sur le Mur du Lyis et les territoires enneigés par-delà. Aravel pouvait contempler ainsi sa terre natale avec un sentiment de nostalgie. C’est vrai qui ça lui manquait parfois… généralement lorsqu’il n’était pas sobre.

Le mage toussota de la vapeur qu’il avait avalé de travers. Il était temps pour lui de repartir. Il se leva et se retourna, s’apprêtant à partir, quand il aperçut un groupe de soldats qui revenait probablement du Mur. Certains d’entre eux portaient les insignes de l’Académie Royale de Lyisstad, lui rappelant encore sa visite récente.

« Cité de merde. » marmonna-t-il.

Aravel cracha par terre et sortit de la taverne. Après avoir quitté Lyisstad, il avait décidé d’aller le plus loin possible de la cité royale. Il n’avait pas voulu y rester une seconde de plus que nécessaire, trop de souvenirs qu’il préférerait oublier. Mais il ne regrettait nullement sa visite tant elle avait été fructueuse : il avait trouvé une fille avec la capacité de guérir un empoisonnement à la Morodora. Il n’avait jamais entendu cela. Il était communément admis qu’il était impossible de survivre à un contact avec ce poison létal. Tout ce qu’on pouvait faire c’était apaiser la douleur et laisser la victime mourir en paix. Il était absolument certain qu’il avait trouvé là la première trace de l’être qu’il recherchait. Il avait ainsi non seulement appris que celui-ci n’était pas un monstre dénué de conscience, mais en plus, il savait désormais que c’était une fille.

Aravel avait visité les villages autour de la cité Royale avant de repartir vers le sud du Royaume, sans rien trouver d’intéressant. Si ce n’est la pipe à eau, pensa-t-il en s’esclaffant.

Il était temps d’aller au nord-ouest du Royaume. Il visita la cité de Randad et le village de Nekta, sans succès. Plus au nord encore se trouvait Larne qu’il ne connaissait pas. Il n’avait jamais été dans cette région du Royaume auparavant. Il marcha le long de la rue principale du village, bordée par la rivière qui prenait source à la Mer Blanche. Il passa devant de nombreux vendeur de fruits, légumes et poissons mais les ruelles étaient étrangement vides. Arrivé sur la grande place du Larne, il vit les villageois se presser pour ranger les tables, ramasser les détritus par terre.

« Ah oui, les festivités du solstice d’hiver viennent de passer. » pensa-t-il à voix haute.

Il avait toujours trouvé ça curieux qu’on fête l’hiver dans un royaume où il ne faisait pas vraiment froid, où il n’y avait jamais de neige.

Aravel aperçut du coin de l’œil une dame dont l’aura de Lunsor attira son regard. Mais celle-ci n’était pas très frappante ; elle devait être un Kaaïn de faible rang. Elle leva les yeux vers lui et croisa son regard un instant avant de poser la corbeille de détritus qu’elle avait en main et de s’éloigner. Elle pourrait possiblement l’aider. Il la suivit sans accélérer la cadence et arriva dans une impasse un peu plus loin.

« J’espère que je ne vous ai pas effrayé. » dit-il en voyant la dame qui semblait l’attendre.

« Non, ne vous inquiétez pas. Je préférais simplement qu’on ne me voit pas parler avec un étranger. Les gens ici sont très curieux et aiment bien se mêler de ce qui ne les regardent pas. »

Il s’approcha et tendit sa main.

« Je suis Aravel, vous êtes ? »

Elle fronça les sourcils et lâcha sa main.

« Aravel, le Grand mage ? »

Elle croisa les bras en le voyant acquiescer.

« Qu’est-ce que le Chef de la Rébellion fait dans un petit village à l’opposé d’Adryana ? »

« Il n’y a pas vraiment de chef de la Rébellion. »

Elle resta silencieuse, attendant sa réponse.

« Je cherche quelqu’un, un Kaaïn puissant… »

« C’est à propos de la prophétie, c’est ça ? »

Aravel était toujours surpris lorsqu’on mentionnait la prophétie, n’étant pas toujours conscient de l’ampleur que celle-ci avait pris. Il hocha la tête.

« Par l’aura d’Asal Ahaan… » dit-elle d’un ton qui l’irrita tout de suite. « Écoutez, je vais être claire. Je ne veux rien avoir à faire avec vous ou votre rébellion. Je ne veux pas de vos complots, de vos manigances. Ma sœur et moi vivons ici depuis trente-ans, dans la paix et la sérénité la plus totale et je tiens à ce que cela persiste. »

Aravel resta impassible. Ce n’était guère la première fois qu’il faisait face à une telle animosité envers leur cause. Beaucoup de Kaaïns voulaient continuer à vivre leur quotidien paisible… jusqu’à que ce que les patrouilleurs leur tombent dessus.

« Et je souhaite de tout cœur que votre vie tranquille le reste. » répondit Aravel. « Mais je ne suis pas là pour vous. J’aimerais simplement savoir si vous aviez rencontré un Kaaïn puissant qui pourrait correspondre à la prophétie, une fille possiblement. »

Elle le dévisagea un moment.

« Il n’y a presque pas de Kaaïns dans la région. »

Le mage remarqua qu’elle n’avait pas répondu à la question et sentit sa frustration monter. Mais il garda son calme. Se mettre en colère contre cette dame ne lui servirait à rien.

« Comment cela se fait-il ? C’est plutôt calme par ici, je n’ai vu aucun patrouilleur. »

« C’est parce que la Tour Noire se trouvait à quelques centaines de pas d’ici, à Askapor. »

Aravel avait entendu parler de cette prison. C’était une des dix Tours anti-Lunsor du Royaume. À l’époque, Irène avait été détenu dans la Tour de Xizi, une cité à la périphérie de Lyisstad.

« Se trouvait ? »

« Huh, je pensais que les vôtres avaient quelque chose avoir avec ça… La tour a été détruite il y a plusieurs semaines. »

« Comment est-ce arrivé ? »

Elle haussa les épaules.

« Je ne sais pas. Comme j’ai dit, je croyais que vos rebelles étaient derrière ça. Après tout, la tour a été emporté dans un cratère, disparu dans les abysses comme si elle n’avait jamais existé. J’ignorais qu’une telle chose était possible. »

« Quoi ! Comment ça ? »

« Et bien vous devriez aller voir de vos propres yeux, c’est assez impressionnant. »

Il ignorait si c’était sa façon de lui dire de quitter le village ou si elle pensait vraiment que cela pouvait l’aider. Mais il n’insista pas ; il avait déjà l’impression de perdre son temps ici de toute façon. Aravel hocha la tête.

« Merci et excusez-moi de vous avoir importuné. »

Elle sourit mais son sourire n’atteint pas ses yeux, puis repartit vers la place. Aravel restait toujours attristé de rencontrer des Kaaïns si férocement contre son travail. Il ne comprenait décemment pas ce genre de personne.

Il arriva quelques heures plus tard à Askapor, qui se trouvait de l’autre côté de la rivière. Il sentit tout de suite une aura de Lunsor intense. Le mage s’arrêta un moment et ferma les yeux, essayant d’identifier plus précisément l’aura. Pendant un instant, il crut que son cœur allait s’arrêter. Il en était certain : cette aura, c’était la même que celle qu’il avait perçu à Lyisstad. Mais celle-ci était plus intense ; elle devait probablement être plus récente. Il y était presque, il le savait.

Le village était de la même taille que Larne, mais ses habitants semblaient plus modestes. Une énergie sombre et terriblement puissante saturait l’air. Aravel marchait dans les rues sales, observant toutes ces maisons délabrées. Des enfants jouaient dans les décombres, riaient à la vision de la poussière qui s’envolait devant leurs yeux.

Il remarqua qu’une bâtisse en particulier était totalement détruite, comme si elle s’était trouvée dans le cœur d’une tornade. Il se souvenait qu’il y avait eu un terrible ouragan il y a plusieurs cycles lunaires, au moment où il avait visité Lyisstad. Mais alors qu’il s’approchait des débris, il sentit une aura de Lunsor tout autour de la maison.

« Ce n’est pas la tempête qui a détruit cette maison. » Il inspira profondément. « De la Lunsor, puissante. »

Il fit rapidement le tour du village tant celui-ci était petit. Là où il allait, on l’observait étrangement mais il fit semblant de ne pas remarquer. Il s’approcha d’un marchand de fruits.

« Excusez-moi, savez-vous ce qu’il s’est passé ici ? » demanda-t-il en montrant la maison détruite à quelques dizaines de pas de là.

Le marchand le regarda un moment.

« Je vends des fruits et des légumes monsieur, pas des informations. »

« Si agréable ces gens du nord... » marmonna-t-il dans sa barbe.

Il marcha hasardeusement dans le village, errant entre les ruelles poussiéreuses et puant le poisson pourris. Dans un coin de rue, il croisa une vieille dame qui semblait avoir fait tomber un sac par terre. Il s’abaissa pour le lui ramasser.

« Merci bien, monsieur. » dit-elle avec un sourire étonnement chaleureux.

« Dites, sauriez-vous m’indiquer où se trouvait la Tour Noire s’il vous plait ? » demanda-t-il persuadé d’avoir croisé la seule personne amicale de la région.

Elle acquiesça et lui montra le chemin. Aravel la remercia avant de se diriger à l’extérieur du village.

Il arriva bientôt devant un vaste cratère noirâtre et observa, ahuri, la puissance de l’aura de Lunsor tout autour. Le mage se souvenait douloureusement de la Tour à Xizi. Si les prisons anti-Lunsor étaient toutes semblables, alors celle qui se trouvait ici aurait dû être énorme. Pour détruire un bâtiment pareil, il faudrait l’aide de plusieurs Kaaïns à la fois, ou celle d’une personne surpuissante. Il ferma les yeux, essayant de chercher d’autres auras de Lunsor. Il put en percevoir quelques-unes, discrètes, probablement ceux des prisonniers.

« Étais-tu toi-même détenue ici ? » se demanda Aravel.

Il fit le tour du cratère, ses sens en alerte, à la recherche d’indices. Il ne voyait pas le fond de ce trou sans fond.

« Non… personne ne peut s’enfuir d’une prison anti-Lunsor. Est-ce que quelqu’un qui t’était cher y était prisonnier ? Ou quelqu’un de l’extérieur t’a-t-il aidé... ? »

Peu importe ce qu’il s’était passé ici, il en était certain, la fille qu’il recherchait avait été là récemment. C’est elle qui avait fait ça. Il demeura là, bouche bée devant une telle démonstration de pouvoir et de violence. Il n’avait jamais rien vu de tel. Si elle avait fait cela toute seule, cela signifiait qu’elle avait un réservoir de Lunsor infini.

L’Oracle avait raison : cet être pouvait les mener à leur victoire. Mais aussi à leur perte.

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