37. Doumah, Royaume du Cricks

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La chaleur était étouffante dans les rues désertes de Doumah, la cité Royale de Cricks. Elle était isolée dans les hauteurs des montagnes rocheuses du royaume. Forgée dans la roche de Doumah, une pierre brune, insensible aux agressions du temps ou du vent, c’était une cité impénétrable, une véritable forteresse. On l'appelait le Doumah, ‘‘pierre angélique’’ en galéein, car on disait que la cité avait été construite par les Anges Protecteurs du royaume.

Dans cette cité majéstueuse, les maisons semblaient comme suspendues, bâties en spirale sur la montagne immense. Les ruelles vertigineuses zigzaguaient entre les maisons. Si on suivait les rues jusqu’au sommet de la montagne, on arrivait au manoir royal. L’entrée était encadrée de chaque côté par deux gigantesques statues sculptées à même la roche : la statue de droite avait l’apparence d’un homme mis à part les deux énormes ailes qui s’étendaient sur son dos. La statue de gauche était une femme avec deux identiques ailes derrières son dos. Ils se tenaient la main, formant ainsi l’arc du portail de la forteresse. Leur autre main était tendue vers le ciel, comme un signe de la protection des anges sur la cité et le royaume.

Dans la salle de Baptême au manoir, la Reine Ofelia regardait l’abbé Mikhaïl expliquer aux deux parents devant lui, comment il allait procéder. La mère l’observait, effrayée, tandis que le père semblait attentif et serein. La reine avait vu défiler des centaines de parents venant accomplir le Baptême Sacré. Certains étaient anxieux, d’autres venaient le regard décidé, mais tous sortaient soulagés, heureux.

« Je vais plonger la petite quelques secondes dans le Lancère liquide » disait l’abbé Mikhaïl d’une voix douce et apaisante. « Et comme tous les enfants bénis par nos Anges, elle en sortira indemne. »

Ofelia sourit. Elle se souvenait comme si c’était hier de cette lune où elle avait été à la place de ces parents, son propre fils dans ses bras. Elle avait été si heureuse. À aucun moment, n’avait-elle douté. Comme son époux, elle avait toujours eu une foi inébranlable.

L’abbé pris la petite en larme dans ses bras et dit :

« Seigneurs dans l’Infinie Plaine, Renda, Vemir. Devant-vous, je présente cette enfant. Révélez-lui le chemin de la pureté, de la vérité. Montrez-lui la beauté et la laideur dans toute sa splendeur. Faites que cette enfant soit dénuée de toute noirceur. »

Il plongea le bébé dans une bassine transparente remplie d’un liquide gluant métallique et rapidement, sortit l’enfant. Pendant quelques instant, toute l’attention était suspendue sur la petite. Les respirations semblaient s’être coupées dans la salle. Ofelia se doutait déjà qu’il ne se passerait rien. Elle n’oublierait jamais la seule fois où elle avait vu le miracle des Anges : un bébé Impur qui avait brulé vif dans la bassine même. Seuls les êtres de Lunsor réagissaient ainsi au Lancère. Ce baptême obligatoire permettait ainsi de s’assurer qu’aucun Impure ne naitrait sur ces terres sacrées.

« Béni soit-elle. » Déclara enfin Ofelia dans le soulagement général. « Renda t’accepte dans ses bras et guidera ton chemin dans sa lumière éternelle. »

Le père prit sa fille dans les bras, les larmes aux yeux, après qu’on l’ait rincé dans l’eau. Ils remercièrent l’abbé et la reine et quittèrent la pièce, fous de joie.

Un garde s'arrêta derrière elle.

« Altesse, le guerisseur est là. »

Ofelia sentit son cœur s’arrêter. Elle s’excusa auprès de l’abbé et se précipita dans les chambres du roi. Malgrè son immensité, la pièce semblait désormai étroite, car tous les rideaux avaient été fermé ne laissant plus de lumière y pénétrait. Un vieil homme inspectait le Roi, penché sur lui, concentré. A coté Ofélia vit une autre personne : le prince héritier.

Elle se figea, un pincement au cœur. Le prince héritier n’était pas son fils. C’était le fruit d’une relation illégitime avec l’une des nombreuses maitresses du Roi. Ofelia ne savait pas laquelle. Personne à part le Roi ne savait. Le prince n’était pas souvent à Doumah. On ne savait pas où il allait, ce qu’il faisait mais Ofelia était certaine qu’il préparait quelque chose.

Le guérisseur prit un bout de scalpel et racla doucement la peau au niveau de ses mains rachitiques. Un sang noir en sortit. Ofélia eut un haut le cœur.

« Par les anges… Qu’est-ce que c’est que ça ? »

Le guérisseur se retourna vers la reine, le regard triste.

« Je suis désolé ma reine, mais le Roi a été empoisonné par de la Morodora »

C’est ce qu’elle craignait. Elle observa le prince attentivement, curieuse de voir sa réaction. Mais celui-ci semblait réellement surpris.

« En êtes-vous sûr ? » demanda le prince.

« Ce n’est pas la première fois que je vois ça, altesse. Ses effets sont uniques. C’est certain. Je suis désolé. »

« Combien lui reste-t-il de temps ? » demanda la reine, la voix tremblante d’émotion.

« Je ne peux pas vous répondre avec exactitude. Ça peut varier de quelques lunes à plusieurs cycles. Prions que Renda et Vemir veilleront sur lui. Un miracle est toujours possible. »

« N’y-a-t-il pas quelque chose que vous puissiez faire ? Un antidote ? »

Le guérisseur soupira, l’air fatigué.

« Je suis désolé, Altesse. La Morodora est un poison hors du commun et puissant. Personne n’y survit. »

Le prince s’approcha du guérisseur, lui lançant un regard accusateur.

« Ce n’est pas vrai. Le prince Samaël du Lyis a été empoisonné par de la Morodora il y a plus de dix ans. Il est pourtant bien vivant. »

Ofelia dévisagea le prince. Elle avait entendu parler de ces rumeurs. Et si c’était vrai ? Le guérisseur haussa les épaules.

« Vous pouvez partir, merci. »

Le guérisseur quitta la pièce en vitesse. Le prince se retourna vers elle, un regard assuré.

« Je vais me rendre à Lyisstad. Je suis sûr qu’ils sauront nous aider. »

« Pourquoi nous rendraient-ils un quelconque service ? Les séquelles de la guerre des dix-milles âmes sont toujours dans les esprits de tous. »

« Notre royaume a beaucoup à leur offrir. Je suis certain que je peux trouver un terrain d’entente commerciale. »

Ofelia baissa les yeux. Elle doutait fort que le Lyis accepterait de les aider.

« Nos conseillers n’accepteront probablement pas une telle demande. La fierté de notre nation est en jeu. »

« La vie de notre Roi est en jeu. Certainement les conseillers comprendront où sont nos priorités. »

La Reine acquiesça. Il avait raison. La vie du Roi était plus importante que tout à cet instant présent. Elle tourna la tête vers son époux une dernière fois. Il était si pâle et frêle. Son état s’était dégradé si vite.

« Nous devons trouver qui est derrière son empoisonnement. »

Le prince la dévisagea longuement, comme s’il ne s’était pas attendu à ce qu’elle dise ça.

« Bien évidemment, et nous l’arrêterons en temps voulu. Je pars pour le Lyis dans cinq lunes. »

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