43. Samaël
C’était l’heure de l'entraînement. Le prince se réveillait tôt chaque lune. Le maître des épées, maitre Dallor, se chargeait personnellement de sa formation. Il était grincheux et intransigeant mais même si c’était le meilleur dans son domaine, Samaël voulait plus.
Le prince s’entraînait souvent avec Lira. C’était l’une des meilleurs apprentie patrouilleurs. Elle était très rapide, souple. Lui avait des gestes précis mais lents, sans doute car il était trop grand de taille. Si beaucoup le surpassait en matière de vitesse, il magnait l’épée avec une dextérité saisissante. Il s’entraînait d'ailleurs souvent avec deux épées en même temps.
Un garde s’approcha de maître Dallor, chuchota quelque chose à son oreille. Le maître congédia le garde.
Samaël poursuivit son échange avec son adversaire. Tous les deux dansaient, synchronisés, tournant en cercle l’un face à l’autre. Il aimait le style de Lira au combat. C’était violent et élégant en même temps. Un moment, il feignit d’avoir perdu l’équilibre. Il prit Lira par surprise et parvint à la désarmer en un coup de coude sur l’épaule. Alors que Samaël se crut vainqueur, elle sortit une dague de sa manche gauche, et pivota. En un clin d’œil, elle était derrière lui, une main sur sa gorge, tenant la dague de l’autre.
« Otih » murmura-t-elle, un grand sourire aux lèvres.
‘‘Mort’’ en Lyissien ancien. Sentant son souffle sur sa nuque, il frémit. Il pria qu’elle ne reste pas collée à lui trop longtemps. À son grand soulagement, elle recula, le libérant de sa prise.
« Bien Lira » affirma maître Dallor. « Mon prince, il faut encore beaucoup de travail. Ce n’est pas bon, pas bon du tout. »
Samaël baissa la tête, déçu par lui-même.
« Encore une fois » dit-il à Lira.
« Non, le roi demande après vous » déclara maître Dallor.
Samaël soupira et repartit vers le château, toujours escorté par ses gardes. Il n’aimait pas interrompre son entrainement, mais il n’avait pas le choix. C’était rare que son père demande après lui.
Il se changea rapidement et arriva devant la tour de commandement. Les portes s’ouvrirent à son passage. Son père était là, entouré de ses conseillers et de la reine. Samaël aperçut le maître de la Citadelle qui lui sourit. Il n’aimait pas cet homme, et ne lui faisait pas confiance. Il était une mine d’informations qui sortait du contrôle de son père. Il prétendait être fidèle au royaume mais personne ne savait ce qu’étaient ses intentions réelles.
« Assieds-toi » lui dit son père en lui indiquant une place à ses côtés. « Continuez. »
« Comme je disais, le convoi est entré dans notre territoire hier au matin. Il arrivera ici dans quatre ou cinq lunes suivant la vitesse à laquelle ils avancent. » déclara la femme assise à droite de Samaël.
C’était Dana, le capitaine de la garde Royale. Samaël l’appréciait bien tant elle lui faisait penser à Lira. Elle avait été à son époque la meilleure de l’Académie Royale, détenant le précédent record de l’épreuve de Transition. Certains de ses duels étaient encore étudiés aujourd’hui et beaucoup rêvaient de suivre son exemple, comme Lira. Samaël n’avait aucun doute que son amie ferait elle aussi de grande chose une lune. Peut-être serait-elle générale, succédant à son père. Non ! Qu’est-ce que tu racontes ? Elle ne peut pas être générale ET ma reine ! songea-t-il. Il l’imagina tout d’un coup dans la tenue du chef des armées, seulement, elle ne portait rien sous le veston bleu du général… Samaël avala difficilement sa salive.
« …Accompagné de trois hommes et quatre femmes qu’on a identifié comme étant les membres de la garde rapproché du prince. Nous connaissons de nom certains d’entre eux mais sans plus : une certaine Lucrezia et Dali. Il y a aussi sa femme, Maya. Rien ne semble inhabituel dans le convoi. »
« Rien d’inhabituel ? » réagit un homme assis en face d’elle, d'un ton outré.
Il était petit, sa peau sombre et couverte de cicatrice. Samaël le surnommait « Ary le paranoïaque » tant la méfiance était une deuxième nature chez lui. Mais cet homme au physique peu attrayant, était le commandant de la Légion des faucons, une unité de l’armée dont le seul but était de collecter des informations, surveiller le territoire et espionner les Royaumes voisins.
« Sa simple venue ici est inhabituelle. Vous n’étiez pas née la dernière fois que le roi, son père, est venu. Ça a failli se terminer en un bain de sang. »
Capitaine Dana leva les yeux au ciel et ne daigna pas lui répondre. Des remarques condescendantes sur son jeune âge ; elle en avait entendu des milliers, ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Mais Samaël n’aurait pas laissé passer ce genre de remarque s’il était à la place de son père. Le manque de respect était quelque chose qui l’insupportait au plus haut point.
« Ils nous haïssent encore pour leur défaite lors de la guerre des dix-milles âmes. Quand est-ce qu’ils tourneront enfin la page ? »
« Absolument, ma reine, sans parler du fait que de nombreuses personnes pensent qu’ils sont derrière l’empoisonnement de notre cher prince »
Samaël connaissait bien cet homme assis à côté d’Ary. C’était Faris, le général de l’Armée Royale du Lyis, et le père de Lira. Il ne lui ressemblait guère ; un homme gras plus que costaud, le crâne rasé, les traits grossiers et agressifs.
« Ce ne sont que des soupçons, Général, nous n’avons aucune preuve » répliqua le maître de la Citadelle, le regard sérieux. « Ne jetons pas de telles accusations à la légère. »
« Bien sûr que tu vas les défendre, tu travailles probablement pour eux. » répondit Faris.
Samaël sourit, satisfait de savoir qu’il n’était pas le seul à douter sa loyauté.
« Général, nous avons déjà eu cette conversation. Encore un mot sur le sujet et vous serez bannis de cette pièce. »
Le géneral n’était visiblement pas d’accord avec le roi mais il hocha la tête, silencieusement. Le prince lança un regard interrogateur vers son père. Il laissait passer une insulte à moitié cachée contre capitaine Dana mais grondait quelqu’un quand on s’en prenait au maitre. Il ne comprenait décemment pas pourquoi il lui faisait autant confiance.
« Que savons-nous sur ce prince ? » demanda le Roi.
Tout le monde resta silencieux, se regardant les uns les autres.
« On peut vous dire beaucoup de choses sur le roi de Cricks, mais on ignore tout du prince héritier. » répondit finalement le maître en se tournant vers le commandant Ary pour confirmation.
« Tout ce que la Légion sait de lui c’est qu’il est peu présent à Doumah. Ce qu’il fait, son rôle dans la politique du royaume, est peu connu. »
Samaël n’était nullement surpris. Si on posait la même question à son propos dans un autre royaume, on dirait probablement des choses similaires si ce n’est que lui était toujours dans la cité royale, à son grand désarroi. Quant à son rôle politique, il était tout simplement inexistant. Son père ne le laissait pas faire grand-chose, ce qui rendait Samaël furieux.
« Je ne suis pas dupe. Les relations entre nos deux royaumes n’ont jamais été des plus cordiales » déclara le roi. « Mais j’ai l’espoir que le prince ne soit pas comme son père. Bien évidemment, je préfère m’attendre au pire. Je veux que la sécurité soit maximale. Vous fouillerez leurs convois méticuleusement. Général, maintenez les hommes aux frontières, cette visite pourrait être une diversion, je ne veux pas de surprise. »
« Si je peux me permettre, majesté, j’ai une information qui pourrait vous être utile » affirma le maître. « De nombreuses rumeurs courent depuis quelques temps à propos du Roi de Cricks. Il serait gravement malade. Je reviens à peine d’une visite à la cité de Myriat, au nord du royaume de Cricks. Zakariah, l’un des sept dirigeants de la cité, m’a affirmé avoir vu de ses propres yeux le Roi, mourrant. Il m’a dit, sans certitude cependant, qu’il aurait ingéré de la Mordora. »
Samaël se figea en entendant ces mots. La Morodora : c’était le poison qui avait failli le tuer lorsqu’il était enfant.
« Pouvons-nous nous fier à cette source ? » Demanda la reine.
« J’ai reçu des renseignements similaires. » affirma Ary. « Un nombre non négligeable de mes hommes se trouvant actuellement à la cité royale de Crick, a rapporté des récits semblables. »
« Si ces informations sont correctes, il serait raisonnable de penser que le prince viendrait ici en personne pour demander de l’aide » Ajouta le maître. « Ce n’est malheureusement un secret pour personne que notre prince ici présent, a été attaqué par le même poison. Peut-être pensent-t-ils que nous avons trouvé un antidote. »
« Mais, cher maître, il serait tout aussi raisonnable de s’attendre à une attaque, s’ils pensent que nous sommes derrière cet empoisonnement, en guise de représailles »
« Une attaque avec seulement un petit groupe incluant le prince héritier lui-même ? Avec-vous perdu la tête, Géneral ? » ricana Dana.
Ary sourit, amusé. Comme lui, il pensait que c’était une théorie surréaliste.
« Avons-nous des signes de mouvements de troupes anormaux dans leur territoire ? »
« Pas à ma connaissance, ma reine. » répondit Ary.
« Et du coté de Brahaum ? » Demanda Samaël.
Tout le monde se retourna vers lui, le dévisageant comme s’ils avaient oublié qu’il était présent. Son père resta impassible, presque comme s’il n’avait pas entendu ce qu’il avait dit. Le maître de la Citadelle cependant, lui sourit. Samaël s'empréssa de s’expliquer :
« Nous savons tous que le royaume de Brahaum est au bord du précipice. Leur réserve en or s’épuise et leurs dernières récoltes ont été désastreuses. Ils sont désespérés. Il ne serait pas totalement fou de penser qu’ils se soient alliés au royaume de Crick et qu’ils préparent ensemble quelque chose contre nous. »
Son père lui lança un regard curieux, mais Samaël n’avait aucune idée ce qu’il pensait de son idée. La pièce était soudain silencieuse.
« C’est effectivement une possibilité » répliqua enfin le maître. « Mais nous connaissons suffisamment bien la reine de Brahaum et s’il y a bien une chose qu’elle n’est pas, c’est un fin stratège. Cela me surprendrait qu’elle puisse avoir l’idée d’une telle alliance. Ni elle, ni ses conseillers. »
« Sans parler du fait que les tensions entre le royaume de Cricks et de Brahaum sont pires que celles avec nous. » ajouta Ary.
« Je pense qu’il ne faut sous-estimer personne, et surtout pas lorsqu’ils sont désespérés » affirma la reine.
Samaël remercia sa mère dans sa tête. Il savait qu’il pouvait toujours compter sur elle pour le soutenir. Après tout son idée n’était pas si stupide…
« Dans les derniers rapports, mes hommes n’ont rien signalé d’anormal au Brahaum. Je demanderai des informations plus récentes. » déclara Ary.
Toutes les têtes se tournèrent vers le roi, attendant sa décision finale.
« Très bien. En attendant, je veux que le prince soit accueilli comme il se doit. S’il cherche de l’aide, nous pourrions en profiter. »
Sur ses mots, le roi se leva, suivis par tous les conseillers, et sortit de la pièce. Le maître de la Citadelle s’apprêtait à lui suivre, lorsque Faris vint lui barrer le passage.
« Qu’est-ce que vous faisiez au royaume de Cricks ? »
Le vieil homme lui jeta un regard fatigué.
« Je n’ai aucune raison de vous répondre, général. Je ne suis pas un de vos soldats. »
Faris ne bougea pas, bloquant toujours son chemin. Il y avait de la haine dans son regard.
« Je vous conseille vivement de vous écarter de mon chemin, général. »
« Serait-ce une menace, vieillard ? » répondit Faris, prêt à sortir son épée à tout moment.
Dana s’interposa et lança un regard sévère à ce dernier.
« Général, les ordres ont été clairs : le maître est l’un des nôtres. Si le roi a son entière confiance, alors... »
Samaël sortit de la pièce avant d’entendre la suite de la conversation, lassé par ce conflit. Il n’aimait pas la politique, mais à son grand malheur, il savait qu’il ne pouvait pas y échapper. Une lune, il prendrait la place de son père.
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