50. Samaël
Quelques lunes plus tard, le prince se réveilla avec un mal de crâne terrible. Sa mère était assise à son chevet. Dès qu’elle vit ses yeux s’ouvrir, elle fit passer le message aux gardes qui s’empressèrent à l’extérieur de sa chambre. Sa mère retourna près de lui, le regard inquiet.
« Comment te sens-tu ? »
« Ah, tu es réveillé » dit son père, en entrant dans la pièce.
Samaël se redressa tant bien que mal.
« Je vais bien. Comment suis-je arrivé ici ? »
« On nous a prévenu que tu étais là-bas, inconscient. » répondit son père. « Personne n’a vu ce qu’il s’était passé. Il y avait beaucoup de sang et deux corps. C’est toi qui les as tués ? »
« Oui. Ils étaient six. Je n’ai rien pu faire d’autre. »
Il chercha la moindre trace d’émotion dans les yeux de son père. Mais rien. Il avait perdu espoir d’une lune entendre son père prononcer des mots encourageants.
« Écoute-moi Samaël, ce que tu as fait est extraordinaire. » répliqua sa mère en lançant un regard sévère vers son père. « Personne n’aurait pu se défendre contre six hommes seuls. Et pourtant te voilà, sans la moindre égratignure. Je suis fière de toi. »
Le prince força un sourire et la remercia. Son père lui resta silencieux un moment puis quitta la pièce sans un mot. Samaël lança un regard de dégoût vers la porte et soupira.
« Repose toi bien mon fils. » murmura sa mère en déposant un baiser sur son front.
« Attends, mère. »
Elle se rassit.
« Oui, qu’y a-t-il ? »
« Je sais qu’on a toujours eut une certaine méfiance envers les Kaaïns. L’Histoire ne leur donne pas raison, certes, mais… pourquoi les haïr tous ? Qui nous dit qu’ils sont tous si terrible ? »
« Pourquoi poses-tu cette question maintenant ? Était-ce des Kaaïns qui t’ont attaqué ? »
« Non, non… pas du tout. Je me demandais juste. »
« Tu dois comprendre, mon fils, les Kaaïns sont ce qu’ils sont par le pouvoir qui coule dans leur veine. Celui-ci finit inexorablement par les rendre fou. »
« Est-ce la raison pour laquelle le vieux guérisseur, Aravel, ne travaille plus ici ? »
Sa mère se crispa.
« Par l’étoile de… » marmonna-t-elle. « Cet homme… Ce monstre est la représentation même de la folie des Kaaïns. » Elle se releva. « Ce n’est pas le moment pour parler de cela. Repose-toi, mon fils. Nous en discuterons quand tu iras mieux. »
Elle s’en alla précipitamment, devant le regard confus de Samaël. Il n’avait jamais vu sa mère réagir de façon si abrupte. Il secoua la tête et inspecta à nouveau la zone qui aurait dû être touchée : il regarda son ventre, toucha son dos. Il n’y avait rien, pas même une cicatrice. Il se souvenait pourtant de tout. La sensation de la lame transperçant ses reins puis son ventre. Ayah avait soigné ses blessures en quelques instants alors qu’il était sur le point de mourir. C’était donc elle, son ange Protecteur. Il avait enfin trouvé celle qui lui avait sauvé la vie, par deux fois maintenant. Il n’y avait pas de dieu qui le protégeait, seulement son amie.
Il se leva et se dirigea précipitamment vers la Citadelle. Il devait lui parler. Comment remercie-t-on quelqu’un a qui l’on doit la vie ? Il avait toujours rêvé de ce moment, le moment où il retrouverait son mystérieux sauveur. Ayah.
Il sortit discrètement du palais, ne voulant pas se faire remarquer maintenant plus que jamais. Il arriva rapidement à la Citadelle. Il gravit les marches difficilement puis demanda au Feis Nona qu’il voulait voir Ayah.
« Je suis désolé, altesse. Madame est occupée, elle ne désire voir personne. »
« Dites-lui que c’est moi, Samaël. »
« Encore une fois, je suis désolé mon prince. Elle ne veut voir personne » répéta le Feis Nona en insistant sur le dernier mot.
Il ne comprenait pas. Peut-être était-elle épuisée après ce qu’elle avait fait. Mais il devait à tout prix la voir. Il s’assit sur les marches de la Citadelle et attendit. Elle finirait bien sortir.
Pendant des heures, il resta là à attendre. Plusieurs fois il s’assoupit. Parfois, il se retourna vers le Feis Nona qui hochait la tête, réitérant toujours la même réponse. Le soleil se coucha, et Samaël retourna au château pour ne pas inquiéter ses parents. Il reviendrait le lendemain. Il se moquait bien de rater les entrainements et les leçons de ses maitres d’Académies. Il devait la voir.
Le lendemain, il repartit à la Citadelle. Il renouvela la même opération pendant plusieurs lunes, persévérant, revenant sans cesse sans jamais perdre espoir. Il n’y avait pas de raison qu’elle ne veuille pas lui parler. Ça n’avait aucun sens. Elle venait de lui sauver la vie, pour la seconde fois. Elle devait seulement être très occupée.
Au bout de la quatrième lune, le Maître de la Citadelle sortit et vint s’assoir à côté de lui. Pendant un moment il ne dit rien, demeura assit là, à côté de lui, sans mot. Puis il demanda :
« Mon prince, puis-je savoir ce qu’il se passe ? » demanda-t-il. « Votre présence attire de l’attention et vous pouvez comprendre que j’aimerais éviter ça ici ».
« Je veux voir Ayah. C’est important. »
Le maitre le dévisagea un moment. Il était incapable de deviner ce qu’il pensait. Le maitre était quelqu’un de totalement imprévisible.
« Écoute-moi bien, Samaël. Ayah est sous ma protection, sous la protection de la Citadelle. Elle ne sera pas emprisonnée sous aucun prétexte, suis-je bien clair ? »
Samaël le dévisagea, abasourdi. C’était totalement inhabituel qu’on lui parle ainsi. Personne si ce n’est ses proches ne l’appelait par son prénom ni le tutoyer. Il décida néanmoins de ne pas le signaler et se concentra sur la raison de sa présence. C’était plus important à cet instant précis.
« Emprisonnée ? Pourquoi serait-elle … »
Samaël se figea. Bien sûr. C’est pour ça qu’elle restait cachée dans la Citadelle. Elle pensait qu’il la dénoncerait aux patrouilleurs. Il se sentit soudain si stupide. Elle était une Kaaïn. Ses craintes étaient parfaitement légitimes. C’est pour cette raison qu’elle lui avait menti la première fois qu’ils s’étaient rencontrés. Elle avait simplement peur. Comment avait-il pu être aussi naïf ?
« Maître, je pense qu’il y a eu un grave malentendu. Je ne désire en aucun cas faire emprisonner Ayah. Bien le contraire. Je lui dois la vie. Pourquoi lui voudrais-je du mal ? Laissez-moi entrer. »
Le maitre le regarda, surpris, cherchant dans ses mots la moindre trace de mensonge. Puis il se leva et pendant un instant, il sembla hésité.
« Très bien. Suis-moi. ».
Le maitre lui montra la chambre d’Ayah et s’en alla. Lorsqu’il entra, il la vit assise sur son lit, à côté d’une petite fille qu’il ne reconnut pas. En l’apercevant, Ayah se figea, terrifié. Elle se leva d’un bond. La petite fille s’interposa aussi tôt devant elle.
« S’il vous plait, ne lui faites pas de mal, elle n’a rien fait ! »
« Je ne veux pas… » Commença Ayah. « Je ne peux pas être enfermée, pas en... S’il te plait ! Aie pitié ! »
« Ayah, je ne te veux aucun mal, je te le promets. » Il essuya ses larmes de ses mains tremblantes. « Je ne pourrais jamais te remercier assez pour ce que tu as fait. Tu m’as sauvé… Deux fois ! »
Il s’approcha d’elle et la petite le dévisagea d’un regard inquiet. Elle finit par s’écarter et il enlaça Ayah aussitôt.
« Je ne sais pas pourquoi ça m’a pris autant de temps… mais je me souviens de tout maintenant. Je te dois la vie. »
« Mais tu sais ce que je suis … » répondit-elle la voix tremblante.
« Oui je sais ce que tu es : mon ange protecteur » répliqua-t-il, un large sourire aux lèvres.
« Je ne suis pas un ange, je suis un Kaaïn. »
Samaël sourit.
« Je m’en fiche, Ayah. Crois-moi, jamais je ne voudrais te faire du mal. Jamais je ne te ferais du mal et jamais je ne laisserais quiconque te faire du mal. Après tout, ma vie en dépend ! »
Ayah le regardait, ébahie. Il la prit encore dans ses bras, heureux d’avoir enfin trouvé son ange protecteur.
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