54. Journal du dragon bleu
Journal, je suis pétrifié par la peur.
La déesse m’a dit que j’étais prêt à enfin sortir, mais je ne me sens pas prêt. L’obscurité de la grotte est réconfortante. C’est ma maison, mon refuge. Sa fraicheur est apaisante et j’y suis en sécurité puisque personne ne peut m’atteindre ici. Ma déesse protectrice est là, avec moi. Dehors, je suis face au Monde, ce monstre terrifiant.
Je ne suis pas prêt, je ne suis pas prêt !
Je tremblais. J'aurais aimé hurler que je ne voulais pas affronter le soleil, la lune, l’air, le vent. Plus que tout, je ne voulais pas affronter les bêtes qui habitent ce monde. Mais ma voix n’est toujours pas revenue. Ma voix a peur, et comme moi, elle se réfugie au fond d’une grotte obscure.
" Viens, n’es pas peur, mon enfant " : la voix pleine de Lunsor de ma déesse m’apaise. Mais pouvait-elle me protéger du Monde ? Il est sadique et cruel. C’est lui qui m’a fait souffrir. C’est le Monde qui m’a brisé, avec ces créatures démoniaques qu’il a créées ; les humains. Si je pouvais, je les détruirais tous. Si mon monstre pouvait, il détruirait tout. Mais je ne peux pas le laisser sortir.
J’ai peur. Le monstre en moi, lui, ne craint rien. Il ne ressent que la haine, la violence ; il veut les détruire. Moi, je tremble.
Journal, je dois te raconter ce qu’il s’est passé lorsque j’ai enfin vu la lumière du jour.
Dehors, j’ai découvert un ciel d’un bleu sublime, des arbres aussi haut que des montagnes. Le Monde est si beau. On pourrait presque croire qu’il est innocent. Mais sa beauté est trompeuse car le Monde est le maître des humains.
Je voyais les corbeaux sur les arbres me lancer des regards menaçants. Le serpent était là aussi, guettant, tapis dans l’ombre. Je savais qu’ils voulaient ma mort. Tout ce que mon esprit hurlait c’était : j’ai peur, je veux fuir, je suis faible, je suis un lâche, je n’ai pas la force.
Le serpent pouvait sentir ma peur, je le savais. Je le voyais m’observer alors qu’il s’approchait. J’ai reculé. Il continuait de se rapprocher. Je ne pouvais pas. Je voulais rentrer, me réfugier. Je me suis retourné mais la déesse m’a arrêté en me disant : « Tue-le. Tu peux le faire. »
Ce n’étaient pas des mots pour m’encourager. C’était un fait. Je peux le faire. Je ne devais pas la décevoir. Je ne voulais pas la décevoir. Mais je tremblais toujours. J’avais l’impression que le serpent devenait plus gros à chaque fois que mes yeux se posaient sur lui. Il se rapprochait lentement puis tout d’un coup, il a fait un geste brusque et dans ma terreur j’ai perdu l’équilibre. Le serpent en a profité pour me sauter dessus. Alors que j’étais à terre, sans même m’en apercevoir, des ailes sont apparues, mes ailes, se déployant en un éclair, et ont tranché le corps du serpent.
Il gisait là sans vie, coupé en plusieurs morceaux, un atterrissant près de moi. J’avais brisé cet animal féroce sans le moindre effort. Tu sais, journal, j'ai pleuré à chaude larme, comme un bébé. J’ignorais pourquoi. Étais-ce la satisfaction d’avoir tué le serpent ? D’avoir momentanément vaincu ma peur ? Était-ce de l’effroi, du dégout, de la lâcheté ? Je l’ignore.
Tout ce que je sais, c’est que je ne parviens pas à faire cesser les rires de mon monstre au loin.
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