Chapitre 9A: mai 1760
J'attendais tant de ces dix ans, ils ne furent que désillusion.
On ne me le souhaita jamais, sauf Camille et France.
Je célébrais ma première communion le six mai, en robe blanche. Tenant une petite bougie, j'alla embrasser ma sœur et ma tante, contre mon gré.
A ma grande surprise, mon frère Louis était présent, un jeune homme de dix–sept ans, souriant, et qui me baisa les joues chaleureusement. Il avait changé de caractère, de physique, j'apprécia beaucoup ce moment, cela faisait tant de temps que je ne l'avais pas vu !
Je m'attendais logiquement à ce que l'on parte au Portugal en juin, mais ce fus clairement impossible. Ma sœur devait entrer au couvent à la fin de l'été, ma cousine se marier au milieu du mois de juin, alors ce n'était pas du tout le bon moment d'après ma tante.
Marguerite m'avait menti, je lui avais fait confiance, et écris à Maria pour lui dire que nous venions. Elle serait sûrement déçue, je l’étais déjà.
Ma cousine épousa le dix-huit juin 1760 le marchand Joseph Ramon, un homme de quatre ans son aîné, qui faisait commerce d'esclaves sur le port de la Seine. France était resplendissante dans sa robe blanche, ses cheveux de blé surmontés d'une fleur rouge, elle avait un peu peur, mais sûrement pas autant que sa sœur des années auparavant. Après la cérémonie, Joseph nous invita dans l'appartement qu'il occuperait désormais avec son épouse, un joli logement dans Paris, pas trop loin de chez nous. Nous soupâmes, puis en fin de soirée nous rentrâmes.
Le lendemain, France vint nous rendre visite. Elle était tellement heureuse qu'elle en oublia de nous saluer, mais ça n'avait pas d'importance, la voir radieuse comme ça faisait plaisir !
L'été se déroula bien, je suivais toujours mes leçons de cuisine, de couture et de bonnes manières, cela ne me passionnait pas, mais je tentais de suivre, tandis que Camille relisait sa Bible et ses oraisons, pour arriver déjà dans le ‘’bain’’ au couvent. C'était curieux mais j'avais peur de ne pas la reconnaître lorsqu'elle rentrerait, elle aurait dix–huit ans, serait une jeune femme.
Il ne se passa pas grand-chose cet été. Nous avions chaud, comme tous les ans à cette période, et j'attrapais un coup de soleil au cou, une brûlure très douloureuse qui m'empêchait de bien dormir, et faisait se décoller ma peau en lambeaux. Nous allâmes une fois à l'opéra, mais je n'aimais pas, je trouvais cela trop ennuyeux, contrairement au théâtre, que je préférais largement.
Nous testâmes en août le premier système de boite à lettre. Il suffisait de placer l'enveloppe à l'intérieur pour qu'elle soit envoyée au destinataire, alors qu'avant, il fallait la confier à un porteur, qui parcourait parfois la France entière pour apporter la lettre.
Un soir d'en août, Camille, me fit la promesse qu'elle m'écrirait tous les mois.
— '' C'est promis ?
—''Oui Louise, c'est promis.
Et je l'embrassais.
Lorsque ce fus le grand jour, au premier septembre, Camille, après avoir rassemblé ses affaires dans un gros sac, quitta l'hôtel. Elle partait pour quatre ans à compter de ce jour. Les au revoir furent presque comme des adieux, car nous saluions une dernière fois notre chère enfance ensemble.
La prochaine fois que nous nous verrions, nous serions des adultes, elle aurait dix – huit ans, moi quatorze.
Elle m'embrassa longuement en me demandant de prendre soin de moi, ma tante, Célestin, puis elle monta dans la voiture, qui, dans un hennissement des chevaux, disparue vite de notre vue.
A présent seule avec ma tante et Célestin, sans défense, je me devais d'être exemplaire.
Je me mettais à travailler mes cours avec assiduité, à être irréprochable sur mon comportement, et j'étais si sage que Célestin m'offrit une petite bourse de cuir où je pu glisser, non peu fière, ma première pièce d'un louis d'or, qui valait déjà assez d'argent pour l'achat d'une petite babiole.
Ma tante m'accompagna dans une boutique où j'acheta un bel illustré pour Camille, que je comptais mettre dans la prochaine lettre que je lui enverrais.
Célestin m'avait assuré que je recevrais une pièce le premier de chaque mois, si je restais très sage bien sûr. Finalement, il n'était pas si méchant que cela. En fait, très influençable, il me suffisait d'un cadeau pour pardonner toutes les blessures qu'il m'avait engendrée.
A partir du moment du départ de Camille, je décidais de relater les faits qui me marquaient au travers des lettres que nous nous écrivions mois par mois.
La toute première que je lui envoyais.
Ma très chère Camille,
Depuis votre départ, la vie est monotone, mais elle continue malgré tout. Vous me manquez, j'espère vous revoir plus tôt qu'il n'est prévu, dans des circonstances heureuses dans mon espoir. Célestin est gentil avec moi, et m'a récemment offert une petite bourse de cuir (qui ne sent pas bon du tout !), dans laquelle j'ai pu glisser une belle pièce d’un louis. Il m'en offrira une chaque premier du mois, si je garde mon comportement exemplaire. Nous sommes allés au milieu du mois de septembre assister à une représentation théâtrale intitulée '' Le malade imaginaire'', je pense que vous connaissez, c'est une pièce de Molière. J'ai beaucoup apprécié, mais l'avare, la pièce que nous avons été voir en juillet, m'a davantage touchée. Je suis triste Camille, car mon cador a sauté dans la Seine il y a quelques jours. Au début il a apprécié la fraîcheur de l'eau, mais, incapable de remonter sur la berge, il s'est épuisé jusqu'à se noyer. Je vous joint à cet épître l'illustré que j'ai payé avec la pièce donnée par Célestin, j’espère de tout mon cœur qu'il vous plaira.
Voilà ma sœur, bien à vous,
Louise.
Louise,
Tout d'abord je tiens à vous faire part de mon plaisir quant à la lecture de votre lettre, mais aussi de votre bel illustré, cela me touche beaucoup que vous ayez précipité vos économies dans un présent à mon égard.
Ici au couvent, l'ambiance est froide, mais je me suis trouvée de nombreuses amies, et les sœurs sont bienveillantes avec nous, malgré leur sévérité. Votre présence me manque, mais j'ai hâte de vous revoir adulte et mature, et vous verrez quelle joie nous ferons de se retrouver !
Quel dommage que votre bon cador ait sauté dans le fleuve, était-il d'un tempérament suicidaire ou dépressif ?
Enfin, je tiens à vous dire que je vous trouve bien influençable, vous dites trouver ce Célestin bon et gentil, alors qu'il vous a battu à vous briser une dent, mais ne nous disputons pas.
Je vous dis bien à vous ma chère Louise.
Camille.
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