Chapitre 30A: mai 1781

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En mai, alors qu'André avait bien grandi, affichant déjà deux mois de vie, les premières chaleurs arrivèrent. Il connaîtrait bientôt son premier été, avec, j'espérais à la fin, un passage au biberon.

La nuit, il continuait de me réveiller mais c'était moins régulier, j'étais moins fatiguée.

Un soir, en évoquant un de ses amis de Paris vivant modestement, Léon m'avait fait prendre conscience de ma vie, du fait que je respirais dans une sorte de bulle coupée de la réalité de l'époque, désastreuse et miséreuse en vérité.

J'avais une belle vie, mes enfants, jamais affamés, fêtaient chacun de leurs anniversaires, et partaient deux mois l'été chez leur oncle, soit une vie incroyable par rapport à la situation de l'époque.

Si nous étions aisés grâce au métier de mon mari, à vrai dire, je n'avais jamais connu une situation où l'argent manquait, et encore moins, dans ma jeunesse ou ailleurs, la misère.

Mon frère était riche, j'avais pu faire des études, et j'espérais que mes fils aient les mêmes chances dans la vie. Leurs disputes quotidiennes me rassuraient sur leur insouciance et leur bonheur.

—''Ahhhhh ! Émile rendez - moi mon livre ! Maman !

—''Que se passe-t-il ici ? Émile ! Rendez le livre à Léon – Paul !

Emile s'énerva.

—''Mais c'était le mien ! Il était à moi maman ! Il va le déchirer !

Léon-Paul frappa du pied.

—''Arrêtez de mentir ! Vous ne savez même pas lire ! Il suce son pouce le bébé !

—''Calmez - vous Léon–Paul, laissez votre frère en paix. Émile, lâchez ce pouce.

—''Il se moque de moi…

—''Chuuuuuuut… Vous ne voyez pas que votre petit frère dort ? Vous êtes tous deux ridicules, avec vos histoires de bébé. Émile c'est la dernière fois que je vous le dis, lâchez ce pouce. Sinon j'en parlerais à Léon, et vous verrez ce ne sera pas le même discours.

—''Non maman s'il vous plaît…

—''Bon alors. Écoutez–moi et obéissez.

Mes petits soucis quotidiens étaient bien peu par rapport à ceux de Gabrielle.

D'abord, elle ne se sortait pas d'une grippe attrapée en battant son linge sous la neige l'hiver dernier, je lui avais pourtant assurée qu'elle serait malade, mais elle ne m'avait pas écoutée. Comme si ça ne suffisait pas, son toit pourtant récemment installé avait déjà des fuites, et son mari s'était mis à boire, frustré de ne pouvoir la toucher, leur fils de cinq ans et demi dormant dans leur chambre.

Deux ans avant encore, cela ne lui posait pas de problème, mais à présent, elle ne pouvait plus se laisser faire. Elle me parlait de ses problèmes-là sans soucis, comme si la seule pudeur qu'elle tenait à garder de sa vie malheureuse, c'était vis à vis de son petit garçon, pour le protéger des adultes.

Je tentais de la rassurer, car elle avait peur de l'avenir, de ce que deviendrait son fils unique, son trésor précieux. C'était pour lui qu'elle se faisait du souci car elle m'avait dit un jour que c'était pour lui et lui seul qu'elle voulait vivre, et que si François n'était pas né, il y longtemps qu'elle ne serait plus là pour me parler.

Sur le petit cahier brun de Léon – Paul, en tournant un peu les pages, j'avais trouvé des mots, écrits dans les marges, en minuscule. Les prénoms de ses frères, je ne sais pourquoi il avait besoin de s'en souvenir, et ceux de petites filles, dont une certaine Lucienne qui revenait souvent. Il la connaissait depuis un certain temps, ils avaient fait les quatre cents coups ensemble, avec Charles, qu'il côtoyait toujours.

Je n'aimais pas trop que Léon-Paul s'égare dans ses cahiers, préférant qu'il suive assidûment ses leçons, mais je pouvais relativiser, il restait un brillant élève. Soeur Emilie me félicitait, elle qui rapportait les propos de la mère supérieure au cloître de Montrouge, qui lui faisait la classe.

Sur les études de son fils aîné, mon mari était toujours très sévère. Il l'avait déjà giflé parcequ'il semblait ptrop fatigué pour réciter son poème devant lui. Léon-Paul avait déjà une forte pression sur les épaules, alors qu'il n'avait pas huit ans. Les seules informations sur le travail de notre garçon nous étaient régulièrement transmises par les Sœurs, qui venaient alors à la maison pour me féliciter du travail de mon fils.

J'étais fière et j'espérais qu’Émile fasse du moins tout aussi bien.

Michel tomba malade, ce mois–ci. C'était grave, il vomissait sans arrêt et ne mangeait plus.

Une nuit, après des jours de souffrance et dans sa faiblesse extrême, il chuta de son lit dans un bruit sourd et horrible à entendre.

Je me levais en catastrophe, affolée, et je le trouvais, inanimé, étendu au pied de son lit, mort.

Si je pleurais longtemps sur son corps, je crois bien avoir été la seule. Sa sœur fut beaucoup touchée, et toute la famille aussi bien sûr, mais il n'y eu que mes larmes à l'enterrement. Son père ne répondit même pas à ma lettre pour l'informer du décès de son fils, quant à mon mari, c'était un monstre.

—''Michel me manque. C'est tellement dur de le savoir parti.

—''Que serait -il devenu de toute façon ? Aveugle, il n'aurait rien fait de sa vie.

—''Que sous–entendez-vous Léon ?! Dites-moi ! Vous êtes heureux de le savoir mort ?!

—''Arrêtez Louise, cessez de vous emporter pour des broutilles à chaque fois.

—''Des broutilles ? Mais c'était mon neveu ! Le fils de ma sœur! Vous n'avez pas le droit de dire ça, vous êtes un monstre et ça fait huit ans que je vous supporte ! J'en ai marre de vous Léon ! Vous comprenez ?!

—''Cessez maintenant. Allez donc récupérer André, il m'insupporte avec ses pleurs. Allez.

Je quittais le salon en renversant un vase de ma main, excédée par cette attitude monstrueuse. Je pleurais longtemps, mouillant mes draps de ces larmes trop rares pour un petit garçon aussi extraordinaire. Partir aussi vite à neuf ans, voilà qui était bien trop triste. Je pouvais seulement me dire pour tenter de me consoler que j'avais fait de mon mieux pour qu'il soit heureux.

Le plus touchant était de savoir ce clavecin prendre la poussière, imaginer Michel laisser glisser ses doigts sur les touches et se dire que non, il ne reviendrait pas pour s'asseoir et jouer.

Émile, redevenu incontinent depuis l'an dernier, était très pénible. Depuis l'arrivée d'André, je lui donnais moins d'affection, mais il avait cinq ans et je considérais qu'il ne souffrait pas de ce léger manque d'attention. Je ne savais pas quoi faire pour y remédier, était–ce de l'anxiété, ou faisait-il exprès pour accaparer mon attention ?

Léon–Paul boitait toujours, sa jambe n'ayant pas guérie, mais son asthme avait complètement disparu.

Ses longues boucles rousses emmêlées tombaient devant ses yeux comme la pluie du ciel. Je lui coupais les cheveux trop rarement et les poux s'y installaient rapidement. Émile y passa aussi.

Il les avaient moins bouclés que son frère, mais tout aussi long.

—''Pourquoi vous ne coupez pas les cheveux d'André ? Riait Émile tandis que je m'affairais autour de lui.

—''Mais voyons Émile… Lui répondis - je sans trop d'humour

Léon – Paul me coupa.

—''Il n'a pas de cheveux !

—''Oui et puis il est beaucoup trop jeune. Émile réfléchissez avant de poser vos questions s'il vous plaît. Je sais que vous aimez en poser des inutiles, mais bon.

—''Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler Émile !

—''Bon Léon – Paul, occupez-vous de peigner vos cheveux.

—''J'y arrive pas maman. Ils sont trop emmêlés.

—''Je vous les aient coupés pourtant, cela ne suffit pas ?

Je lâchais mes ciseaux avec Émile pour peigner les cheveux encore bien emmêlés de Léon–Paul.

—''Non. Aïe ! maman vous me faites mal… Ahhhhh…

Je tentais de gérer mes deux garnements.

—''Arrêtez de bouger ! Émile restez assis, je n'ai pas terminé ! Patientez deux minutes que je m'occupe des cheveux de votre frère.

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