Chapitre 30B: mai 1781

4 minutes de lecture

Gustavine se promenait avec le bébé dans les bras, tranquillement, elle lui racontait des histoires, le câlinait, jouait les petites mamans.
—Louise, je crois qu'il faut le changer. Me suggéra-t-elle
—Attendez un peu, je m'occupe des garçons. Remettez-le dans son berceau et préparez les langes en attendant.
Jacques continuait de chausser mes enfants, Gabrielle de supporter son mari alcoolique, Émile charriait toujours autant son frère, et moi, je rêvais.
Je rêvais souvent d'autres horizons. En regardant par la fenêtre de ma chambre, et voyant au fond les petites taches brunes que formaient les maisons lointaines, je me demandais ce que faisaient les gens qui y vivaient, au moment où je me posais la question.
Tandis qu'André grandissait, qu'il vivait des choses dont il ne se souviendrait jamais, que le temps passait sans jamais l'attendre, d'ailleurs, il n'attendait jamais personne, il me rongeait doucement, cruellement, de l'intérieur. Moi qui souffrais déjà du dos à trente et un an, je me demandais comment certaines femmes pouvaient mettre au monde et élever leurs enfants à quarante ans.
Je m'inquiétais lorsque mes lunes ne revinrent pas au bout de quelques semaines, tentant de me rassurer auprès de mon amie, sans éveiller ses mauvaises questions.
—Dites moi Gabrielle, au bout de combien de temps les lunes sont censées revenir ?
—Après un accouchement ?
—Non, normalement. Après les précédentes.
—Je ne sais pas, deux ou trois semaines. Pourquoi ?
—Oh, c'était juste pour savoir. Cela fait presque trois semaines.
—Ne vous tracassez donc pas Louise, cela m'arrive aussi qu'elles aient parfois du retard.
Heureusement pour moi, je n'étais pas enceinte. Mes lunes revinrent rapidement après cette petite discussion.
André tenait maintenant sa tête seul, aussi quand je l'allongeais sur le ventre sur le tapis du salon, il bavait, tout en se maintenant avec ses petites mains serrées. Il observait ainsi son environnement. Émile venait parfois le saluer, par un petit baiser, François faisait de même, et la plupart des enfants de passages à la maison.
André tournait la tête et me fixait de ses yeux bleus, moi, agenouillée avec le hochet près de lui, je m’extasiais.
—Comment donc mon petit Jeanjean me regarde t-il ? Et bien dites donc, vous avez l'air d'apprécier d'être ainsi au centre de l'attention, n'est-ce pas bébé ? J’agitais le petit jouet, il souriait tout en me regardant, dévoilant ses gencives luisantes et encore nues.
J'arrêtai de l'allaiter au moment où je sentis sa première dent percer sa gencive, à la fin du mois de juin. Je me mit à lui préparer des biberons au lait de chèvre, pour enfin me permettre de bander ma poitrine et me soulager énormément.
Quand je n'eu plus de lait, au bout de quelques jours, je lui permis de s'endormir en tétant mon sein.
—Maman ! Ma dent, elle bouge ! S'écria Émile les doigts dans la bouche, triturant sa quenotte et bavant comme son frère de quatre mois.
—Ah oui ? Vous allez donc bientôt recevoir la visite de la fée des dents ! En revanche, retirez-moi ces doigts de votre bouche, vos mains sont sales.
—Cela me fait mal maman…
—Et bien alors ? La faire remuer ainsi ne la fera pas tomber plus vite. Laissez - la donc.
Malou refusa de partir avec ses cousins cet été-là, comme je l'avais prévu depuis l'année dernière. Seulement, elle n'avait pas le choix, Léon l'y obligeait.
—Marie-Louise, vous partirez jusqu'à ce que je décide du contraire. C'est important pour vous de changer d'air et pour nous de nous reposer. Allez donc préparer vos affaires, votre oncle arrive dans deux ou trois jours seulement.
Ma nièce bouda un peu, mais la chose n'alla pas plus loin, elle savait très bien que les adultes avaient toujours le dernier mot et à quel point il était frustrant et ridicule de pleurer pour quelque chose que l'on n'obtiendrait de toute façon pas.
Mon frère arriva si tard au mois de juillet que l'on aurait pu souhaiter le huitième anniversaire de Léon-Paul avec seulement quelques jours d'avance.
Quand il arriva, Louis m'expliqua les problèmes fréquemment rencontrés lors de voyages comme celui-ci, d'environ quinze jours. Entre les chevaux qui perdaient leurs fers au fur et à mesure de la route, ceux qui ne supportaient pas la chaleur, les nombreux arrêts pour les abreuver et les nourrir dans les auberges, ou encore le mauvais temps qui rendait les routes glissantes, il était facile de prendre une semaine de retard sur la date prévue d'arrivée.
Je regardais mes petits quitter la maison avec envie, moi aussi, j'aurais adoré prendre des vacances chaque été, mais voilà, c'était tout bonnement impossible. J'avais moi aussi eu une enfance comme la leur, faites de jeux et de rires, et un jour aussi, ils regarderaient leurs enfants partir sans eux.
J'observais depuis un certain temps André faire de ce que l'on pourrait appeler de la comédie.
Assis, calé contre le mur, lorsqu'il ne me voyait plus dans la pièce, il se mettait à pleurer, puis, il s'arrêtait un instant pour voir si j'étais revenue, et comme ce n'était pas le cas, il se remettait à pleurer. Il babillait aussi un peu, faisant des sons divers, se rapprochant parfois de ''maman'', mais sans vrai sens. À première vue, on aurait pu penser qu'il était chauve, mais en observant son crâne, on pouvait distinguer les cheveux blonds qui poussaient timidement.
Lorsque j'y repensais, je pouvais me dire que mes trois fils représentaient à eux seuls toute la variété de couleurs de cheveux possible : du roux pour Léon–Paul, du brun virant vers le châtain pour Émile et du blond– blanc pour André.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Lanam ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0