Chapitre 10B: septembre 1760
Puis le jour du retour arriva, au matin du trois septembre, les malles furent rangées sur le toit, nous dîmes adieu, et nous montâmes dans la voiture.
Elle était plutôt exiguë et la route cahoteuse, et même si au début je trouvais cela drôle de glisser de la banquette, cela devint une torture. Incapable de trouver le sommeil, je me mis à prier pour que l’on s’arrête au plus vite dans une auberge.
Nous roulâmes ainsi la journée, nous arrêtant une ou deux fois pour laisser les chevaux et le cocher récupérer et accomplir nos propres besoins vitaux, puis dans une auberge à la nuit tombée, pour enfin dormir.
Si le lieu était plutôt insalubre, la gérante toutefois très aimable et je ne fis pas trop attention aux détails de ma chambre, sentant juste dans mon sommeil la poussière qui me chatouillait les narines et me fis plus d’une fois éternuer.
Au bout de trente jours, après un interminable périple du sud au nord, nous arrivâmes enfin à Paris.
Ce fus un immense soulagement pour nous tous, et notamment pour France qui retrouva sa fille ayant à présent plus d’un mois.
J'écrivis une épître à Camille, au vingt - neuf septembre, pour l'informer de notre retour en France. Elle me répondit presque immédiatement.
Chère Louise,
Ma vacance s'est agréablement déroulée, nous n'avons pas eu le droit de sortir à Paris malgré qu'il fasse un temps radieux dehors, alors nous nous sommes occupées comme nous le pouvions, en cousant, en faisant de la cuisine et en apprenant la Bible. J'ai pensé à vous souvent, lorsque mes amies racontaient des anecdotes concernant leurs petites sœurs, parfois étonnantes, ou même lorsque je m'ennuyais.
Alors comme cela l'enfant de France pleure beaucoup ? Je ne vous joindrais pas de fleur de lys, l'enfant ne se prénomme pas Anne, mais Thérèse-Anne, acceptez votre défaite.
Louise.
Camille,
Vous êtes bien pointilleuse, j'ai tout de même gagné, elle porte Anne dans son prénom...
Ma vacance aura été agréable comme je vous l'ai déjà dit, mais sans vous, plus rien n'a le bon goût d'avant. De surcroît, je pense que c'est fini, nous n'y retournerons plus.
Le voyage est trop long et trop difficile à chaque fois, nous perdons un mois de vacance rien qu'avec le trajet, et notre tante Alice refuse de venir sur Paris, ce qui agace Marguerite.
J'ai écris une lettre d'adieu à Maria, elle ne m'a pas répondu, mais je prends en compte la lenteur du transport du courrier. J'ai réfléchi a plein de choses, entre autres, si vous ne pouvez pas venir à la maison, alors pourquoi ne pourrais-je pas vous rendre visite au couvent ?
Je vous en prie... Posez au moins la question. J'ai repris depuis septembre mes leçons mais cela ne m'intéresse pas, je n'aime pas apprendre, même si ce ne sont plus des leçons théoriques, cela m'ennuie.
Bien à vous,
Louise
Chère Louise,
Je n'ai pas même à demander, vous ne pouvez pas venir, je ne suis pas en prison, il n'y a pas de visites.
Louise, je ne serais pas toujours là, sachez-le, détachez-vous de moi, c'est pour votre bien, je vous l'assure.
Écrivez-moi moins souvent, pourquoi pas une fois tous les deux mois ? Vous verrez, nous aurons plus de choses à nous dire.
Camille.
Camille,
Je ne sais pas ce qui vous prend, mais je pense que vous ne voulez plus de moi, alors je ne vous écrirais plus, et je suis désormais assez grande pour rester sur mes décisions.
Ce sera tant pis pour vous, et s’il vous arrive un accident grave, notre tante sera vite mise au courant et moi par la même occasion.
Par votre faute, je gaspille une feuille de papier, de l'encre et l'envoi d'une lettre, mais ce sera la dernière fois.
Louise.
Par la suite, je n'écrivis plus à Camille pendant assez longtemps, mais de toute façon elle ne voulait plus de mes lettres. La savoir soulagée de ne plus avoir à correspondre avec moi me faisais souffrir.
Par Célestin qui râlait devant son journal, j'appris qu'un important procès se déroulait à Toulouse.
—''Il est normal qu'il ait voulu empêcher son fils de se convertir, la réputation de la famille était en jeu. Se tourna t-il vers ma tante.
Celle-ci avait l'air contente de pouvoir donner son avis.
—''Je crois qu'il est innocent, son fils s'est sûrement suicidé, il a prévenu lui-même les gens d'armes...
—''Certains assassins font cela pour camoufler leur crime. Les juges ne croient pas au suicide car le garçon était étranglé sur le sol, mais il parait que Calas a volontairement détaché son fils pour lui épargner la claie.
Je m'imiscais dans leur conversation, curieuse.
—''Qu’est-ce que la claie ?
Célestin me répondit gentiment.
—''C'est une punition réservée aux suicidés. Alors vous allez me dire que les suicidés sont morts et qu'ils s'en fichent, mais c'est une réelle humiliation pour la famille de voir le corps de leur enfant ou parent traîné dans toute la ville jusqu’au lieu d’inhumation.
Ma tante espéra doucement.
—''Je prie pour qu'il soit innocenté, ce pauvre homme vient de perdre son fils...
—''Écoutez Marguerite, nous verrons bien ce que les juges en penseront. Quoi qu'ils en conclueront, ce sera le juste choix.
L'idée que Camille ait quinze ans en novembre me déclencha un sourire, j'étais fière d'avoir une grande sœur de cet âge. Elle me manquait, elle était toute ma vie, je n'avais plus qu'elle, ma sœur mon seul pilier, sans elle, je m'écroulerais.
En octobre, nous reçûmes une lettre de Charles. L’épître n’arriva cependant pas là pour le plaisir, les Montmorency n'avaient plus d'argent et rentraient vivre à Paris.
Marguerite fut complètement bouleversée. Ne pensant pas Charles de cet état d'esprit, elle l'attendait de pied ferme avec sa famille, non décidée à leur donner le moindre sou.
J'avais surtout hâte de revoir le petit. Ils arrivèrent à quatre, accompagnés de leur aîné de quatre ans Charles fils, et d'une toute petite fille née en avril de cette année.
Le garçon n'était plus un bébé, il parlait très bien, et répétait le prénom de sa sœur en boucle. C'est par lui que nous apprîmes qu'elle s'appelait Berthe.
Marguerite gifla Elisabeth, lui reprochant dans son geste les absences de nouvelles depuis deux ans, le fait qu'elle n'ait pas même envoyé de faire-part pour la naissance de sa fille, et qu'elle ait le culot de revenir pour lui demander de l'argent.
Ma cousine Élisabeth, son mari Charles et leurs deux enfants se retrouvèrent bien vite à la porte, il était hors de question de les aider. Tout juste Marguerite accepta t-elle de prendre les enfants à la maison s’ils ne trouvaient pas de logement, car eux n'étaient pour rien dans la situation. Les parents refusèrent de s'en séparer.
Cette fois, elle avait coupé les derniers liens qui la rattachait à sa fille aînée, c'était terminé, nous ne les verrions plus.
Nous étions en fin d'année, je restais pensive et mourais d'envie d'écrire à ma grande sœur, mais je devais tenir.
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