Chapitre 12F: février - avril 1764
Février fut si doux que les récoltes bourgeonnèrent trop tôt, et restèrent perdues à cause du gel, créant une nouvelle famine dans la ville. Je ressentais la faim encore une fois, le prix du pain augmenta de façon considérable, et il ne fut bientôt plus possible d'acheter du vrai et bon pain, celui-ci, trop cher, était remplacé par une horreur à base de sciure de bois et de fèves que je me refusais à manger. Ma grand-mère Marie–Anne décéda ce mois-ci, toute seule dans sa maison, nous laissant dans une immense tristesse, surtout Marguerite, qui perdit sa mère. Son enterrement rassembla un tout petit comité. A près de 76 ans, ma grand-mère n'avait plus beaucoup de monde sur qui compter.
Mars fut sans saveur, il faisait encore froid, et j'attrapais un vilain mal, qui me cloua au lit trois jours durant : mon ventre me faisait souffrir, j'avais très chaud, je vomissais tout ce que je mangeais et buvais, me trouvant dans une immense fatigue. Pour couronner le tout, j'avais une migraine terrible qui me brouillait la vue. Le médecin me donna à boire tisanes et remèdes de grand–mère, je fus chouchouté, si bien que je fini par retrouver ma pleine santé.
Le six avril furent célébrés les trois ans de Thérèse, la petite comprenait maintenant la signification de cette fête et était très impatiente d'ouvrir ses cadeaux : une belle orange et une de mes poupées. Elle sautait partout, mais ce qui était étonnant, c'était que dès que son regard croisait celui de son frère, elle fronçait les sourcils, et tournait la tête, une jalousie qui faisait peur lorsqu'on savait imminente la naissance de son prochain petit frère ou sœur. Tout le mois d'avril, nous attendîmes l'arrivée du bébé, et ce qui était frustrant, c'était de voir France qui s'occupait sans montrer aucun signe d'accouchement prochain. Puisque l'enfant n'était pas pressé de venir au monde, nous respections son choix, et nous l'attendions.
Alors que le doute s'installait sur la viabilité de l'enfant, par un après–midi particulièrement pluvieux du vingt-sept avril 1764, le bébé consentis enfin à venir nous rencontrer. Je savais la naissance imminente lorsque je trouvais la porte de la chambre fermée à clef. Au moment où un petit cri aigu venait s'y faire entendre, notre soulagement fus à la hauteur du bonheur des parents. France et Joseph nous présentèrent Adrienne le soir même, aussitôt qu'elle fut baptisée et reposée de sa naissance. Je fus surprise par la petitesse de ses membres, son tout petit corps et je comprenais ainsi qu'elle fut facile à mettre au monde. Bien au chaud dans ses langes, en sécurité dans les bras de sa maman, elle devait être le plus heureux des nourrissons. Tout en faisant des bulles avec sa bouche, elle dormait d'un sommeil profond, rêvant peut-être de la vie qu'elle mènerait plus tard, où celle qu'elle avait vécue avant. Dès le soir de la naissance, je m'empressais de prendre ma plume pour informer Camille de l’événement.
Chère Camille,
D'abord je vous souhaite une bonne fin d'études, avec une certaine hâte de vous revoir en septembre, même si notre rencontre sera succincte. C'est avec une immense joie que je vous annonce que la deuxième fille de France est née ce jour même (vendredi 27 avril), et je ne sais pas si je possède un don, mais elle se prénomme Adrienne. J'ai gagné mon pari, envoyez-moi votre foulard. Vous pourrez voir Adrienne au mois de septembre ainsi que Thérèse et Amédée, son frère et sa sœur aînés déjà âgés de trois ans et un an et demi.
Salutations ma sœur,
Louise
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