Chapitre 29C: mai - juin 1780
En revenant dans le couloir, si on se rapprochait de la chambre des garçons, on pouvait voir ma chambre. Une pièce simple, moins bien meublée que les autres, où le baquet du bain qui servait à toute la famille trônait au milieu de la pièce, mon lit quant à lui était au fond de la pièce, dans un coin, il avait été conçu pour deux personnes, mais il avait plus souvent reçu mes fils que mon mari. Il y avait une armoire, où j'entreposais mes robes, une coiffeuse, non pas celle de Camille, qui était au grenier, mais un cadeau de mariage, qui me servait de meuble pour poser draps, serviettes. Il y avait bien quelques peignes, poudres, et nécessaire de beauté, bien peu usité cependant. Sur ma petite table de chevet qui sentait le pin, une bougie éteinte, une Bible, et mon chapelet.
La chambre de Léon, si j'y allais seulement pour nettoyer les carreaux et faire la poussière, ressemblait à la mienne, il y avait une cage à oiseau vide, une armoire fermée à clef, un grand tapis, et un lit. Mon mari y passait très peu de temps, d'ailleurs je crois qu'il n'avait jamais rien fait d'autre que l'aller-retour jusqu'à son lit le soir et le matin et qu'il ignorait même la présence de cette cage à oiseau.
Mon mari avait aussi son bureau et sa bibliothèque, où je n'allais que pour faire le ménage. La bibliothèque n'était ni grande ni petite, aussi je savais en l'observant que mon époux était un grand admirateur de Jean-Jacques Rousseau. Entre ''Les lettres à d'Alembert sur les spectacles'', ''La Nouvelle Héloïse'', ''Émile ou de l'éducation'' ou ''Les confessions'', il y avait de la lecture philosophique. Sinon, je savais qu'il aimait Voltaire, mais j'avais du mal à comprendre qu'il se passionne pour la littérature osée de Diderot, notamment avec ''Les bijoux indiscrets'' ou encore ''Supplément au voyage de Bougainville''. Curieuse, il m'arrivait de fouiller un peu dans son bureau, j'avais trouvé des choses intéressantes, comme son acte de naissance, j'apprenais par exemple que sa mère portait un nom de jeune fille préjudiciable (elle s'appelait Pleindepoils), que Léon était né le neuf août 1741, à Paris, qu'il avait été baptisé à l'âge de trois jours, et beaucoup d'autres choses. Je trouvais aussi, c'était beaucoup moins intéressant, des lettres du notaire qui lui réclamait de l'argent, des factures en tout genre, et j'apprenais que la maison était encore loin d'être payée.
Émile arriva en pleurant ce jour de mai, m'enlaçant aussi fort qu'il le pouvait, je ne comprenais pas.
—''Que se passe-t-il donc trésor ? Le rassurais – je en l'embrassant
—''Maman… J'ai peur… J'ai très peur…
—''Mais enfin de quoi avez-vous peur?
—''Le monsieur il est comme les bêtes…
J'allais voir à la fenêtre, inquiète, mais comme je ne voyais rien, je sortais de la maison en imaginant tout et n'importe quoi. Lorsque je l’apercevais, je ne pouvais que m'écrier :
—''Seigneur! Un nègre!
Un nègre vêtu de haillons errait dans le village, l'air perdu. Je n'en avais pas peur, seulement cela faisait des années que je n'en avais pas vu. En retournant voir mon fils pour lui dire de ne pas le toucher, je priais pour que son propriétaire le récupère vite. Émile n'était plus là, mais Léon – Paul, qui n'avait pas reçu mes recommandations, était avec Charles et Lucienne en train de le palper, tous trois étonnés. J'accourais, et j'attrapais fermement par la main mon enfant pour le ramener à la maison. Il ne comprenait pas, aussi une fois que nous fûmes rentrés, je lui expliquais rapidement.
—''Ce ne sont pas vos amis que j'incrimine, mais c'est à cause de l'homme que vous touchiez, je ne veux plus que vous reproduisiez ce comportement, c'est clair ?
—''Oui maman. Mais pourquoi ? Est-il sale ?
—''Il est sans doute sale, mais plutôt à craindre, c'est une bête tout aussi imprévisible que… vous voyez notre chien Lion ?
—''Oui…
—''Et bien d'un seul coup tout est calme et tranquille, puis quand on s'approche… Bam ! Il vous saute dessus en montrant les crocs ! Vous comprenez ?
Suite à ce petit incident, j'apprenais que le nègre avait été récupéré par son propriétaire, qui vivait dans le village mais que je ne connaissais pas. Nos nouveaux voisins s'installeraient cet été d'après Gabrielle, qui me tenait de messagère et me tenait au courant des moindres nouvelles qui venaient à circuler à Montrouge. J'avais hâte.
Comme Michel progressait en musique à une vitesse folle et passait désormais ses journées sur le clavecin en attendant Joséphine, mon mari s'inquiétait.
—''Que fera-t-il de ses journées quand elle ne viendra plus ?
—''Pourquoi cela Léon ?
—''Elle a bien vingt – cinq ans, elle se mariera d'ici peu de temps.
—''Vous ne pouvez pas savoir. Peut-être est -elle déjà mariée ?
—''Elle n'a pas d'alliance et une femme épousée ne passerait pas ses soirées à donner des leçons de clavecin. Je pense qu'il faudrait que vous lui en dispensiez -vous même.
—''Mes derniers cours remontent à mes cinq ans Léon ! Je ne saurais rejouer la plus simple des mélodies et puis Michel adore Joséphine, il progresse si vite avec elle, vous ne pouvez pas la renvoyer.
—''Elle me coûte cher.
—''Léon, il ne fera pas d'études, vous lui devez au moins cela…
—''Je ne lui doit rien du tout, ce n'est même pas mon fils. Je ne la renverrais pas mais si elle venait à partir pour quelconque raison, je ne la ferais pas remplacer. C'est tout ce que j'ai à vous proposer.
—''Je tâcherai qu'elle reste. Merci Léon.
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