Chapitre 29L: mars 1781
Le lendemain matin, je fus réveillée par ses mouvements sur le lit. Il gigotait ses petits pieds dans ses langes, ses yeux bleus grands ouverts scrutaient le plafond, un filet de bave coulait de sa bouche au drap immaculé. Je m'étais endormie près de mon enfant, même si l'on m'avais raconté tout un tas de drames causés par des mères qui avaient étouffé leur bébé dans leur sommeil en dormant tout près de lui.
Mon retour de couche fut plutôt calme, pour cette quatrième grossesse, j'avais connu bien pire. André n'était plus du tout malade, il s'éveillait tout doucement, sous ma bienveillance et celle de ses frères, cousins et cousines.
Chaque dimanche, après la messe, nous nous rendions sur les tombes de Simon et Jacqueline, deux enfants qui ne grandiraient jamais. Simon serait rentré à l'école cette année si Dieu n'en avait pas décidé autrement, il n'avait même pas laissé le temps à mon fils de faire ses premiers pas. Léon – Paul et Émile posaient parfois des questions sur cet enfant, petit frère oublié pour l'un et grand frère jamais connu pour l'autre, mais c'était plutôt rare.
Le samedi soir les enfants pouvaient veiller un peu plus longtemps que d'habitude, n'ayant pas cours le dimanche, c'est là que Michel jouait ses douces mélodies au clavecin et que Léon – Paul chantait. Parfois la musique était gâchée par les graves paroles de mon mari lorsqu'un des enfants faisait une bêtise ou, plus rarement du fait de leur âge, un caprice. Je détestais cela.
Malou se mit une fâcheuse idée dans la tête, après avoir entendu Gustavine me parler de la fin de ses études primaires. Ma nièce et filleule, qui n'avait jamais aimé l'école, voulait arrêter de s'y rendre.
—''Je ne veux plus aller aux études. Je veux rester à la maison avec vous.
—''Que me dites-vous ? A dix ans et demi, ce n'est pas vous qui déciderez, et puis vous continuerez de vous y rendre jusqu'à vos quatorze ans révolus. Point final.
—''Mais Louise s'il vous plaît… Je déteste l'école… Cela ne me sert à rien de plus…
—''Quelles sont ces histoires Malou ? Vous ne comprenez donc pas que ces études sont pour vous le seul moyen de rester près de moi ! Voulez - vous retourner vivre chez votre père, pour servir de petite bonne et vous marier à quinze ans au premier badaud venu ?
—''Non… Si j'arrête, il n'en saura rien. Je vous le promets…
—''Il doit tout savoir sur vos études. Sinon, il vous récupérera. Je lui envoie régulièrement des lettres pour l'informer. C'est très important de poursuivre vos études Malou, pour vous.
—''Je vous en prie… Pourquoi continuer à lui écrire ? Il se fiche bien de moi et mon frère, combien de fois a-t-il répondu à votre courrier ? Dites-moi !
—''Malou écoutez… Je ne peux pas lui mentir… Plus vous resterez près de moi et plus vous serez en sécurité. Jamais il ne vous battra, jamais il ne vous insultera, seulement c'est un homme et vous êtes encore une petite fille, aussi d'ici une dizaine d'années vous serez épouse et mère de famille. Vous comprenez ? Allez, faites un effort Marie… Vous avez énormément de chance de pouvoir suivre des études, alors cessez vos petits caprices d'enfant.
J'en parlais à Léon le soir venu, il me conseillait de la rendre à son père si elle persévérait dans sa volonté d'arrêter ses études. Seulement j'en aurais été bien incapable, je m'étais depuis toujours profondément attachée aux enfants de ma sœur, j'aurais eu l'impression d'abandonner Malou en la rendant à son père.
—''Maman ! André refuse de lâcher mon doigt ! Riait Émile devant ce petit bout de chou qui agrippait son petit doigt de sa minuscule main moite et dodue.
—''C'est vrai qu'il a de la force. Allez André, lâchez mon doigt bébé... Voilà.
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