Chapitre 20D: janvier 1772
Après encore bien des promenades sous la neige, des défilés de nourrices chez mon frère, des caprices d'Auguste fils et de Malou, nous arrivâmes à la nouvelle année. Pour l'année 1772, contrairement aux autres années ou je n'en avais pas pris, j'avais une bonne résolution : cesser de remettre à plus tard ce que je pouvais faire de suite, en particulier demander à Louis de l'argent pour me racheter une robe et un manteau (en effet je n'avais plus beaucoup de vêtements, mais l'idée de me rendre à la boutique, prendre les mesures et attendre la couture me fatiguait d'avance). Enfin je lui demandais lorsque je trouvais un énorme trou dans ma robe préférée, il me tendit une bourse avec dix louis, et j'allais d'un pas nonchalant chez la couturière de la rue commander mes vêtements.
Celle - ci, qui ne m'avait pas vu depuis longtemps, pris mes mesures et je choisissais mes tissus, en sachant que je ne récupérerais pas ma commande avant plusieurs semaines. J'avais commandé une belle robe de damas rose et un manteau. En ressortant, je croyais apercevoir Mathurin, et bientôt mon incertitude se transforma en certitude, c'était bien lui. Je m’arrêtais de marcher et le regardait : il était avec une femme plutôt âgée, et son frère Jules, mon ami de longue date à qui je n'avais pas parlé depuis des lustres. Mon cœur battit lorsque Mathurin me vit : il dit quelques mots à son frère qui continua son chemin sans lui et se dirigea vers moi avec un sourire. Arrivé près de moi il me chuchota.
—''Mon dieu c'est bien vous... cela fait si longtemps...
—''Je ne pensais pas que l'on se reverrait un jour. Vous m'avez manqué...
—''Vous aussi Louise, jamais je n'aurais pu vous oublier... Célestin ne vous punira-t-il pas si vous faites un détour par chez moi ?
—''Il est mort depuis déjà quelques années, ne vous en faites pas pour moi. Je serais ravie de voir de nouveau votre chambre sous les toits.
—''Suivez-moi alors, j'ai des choses à vous montrer ! dit-il en me prenant par la main.
Nous montâmes chez lui. Rien n'avait changé, hormis le poêle qui avait été déplacé. Je m'installais à ma place habituelle, sur le lit, pour contempler les œuvres colorées qui tapissaient les murs. Mathurin me présenta quelques une de ses œuvres qu'il avait peints récemment, de très belles toiles abstraites qui représentaient chacune un symbole cher à son cœur : la liberté, l'égalité selon les classes sociales ou encore l'affection d'une mère a son enfant, avant de s'asseoir près de moi et me tendre un vieux livre à la couverture rouge abîmée.
—''C'est une histoire d'amour. C'est le seul livre que je possède ici, mais j'en ai quelques uns d'autres chez ma mère si tu veux. Je retournais le livre, et ouvrais la première page.
—''Je crois l'avoir déjà lu plus jeune, mais je ne m'en souviens plus. Merci.
Il m'embrassa sur la joue, et caressait doucement mes cheveux.
—''Comment ai-je pu te laisser tant de temps... mon dieu pardonnez-moi...
Mathurin vérifia ensuite si le réchaud fonctionnait bien, sur lequel il avait mis une casserole de soupe, et s'en retourna vers moi.
—''Tu as faim ? Il me reste de la soupe, du pain. Sinon, j'ai un peu de viande de porc et des navets, que je peux te faire bouillir...
—''Un bol de soupe je t'en prie. Lui répondis - je en me frottant les mains pour les réchauffer.
Mathurin me tendit le bol brûlant dans lequel il avait mis la soupe. Une soupe épaisse, qui coupa mon appétit et me réchauffa.
Un peu plus tard, alors que nous parlions et que lui expliquais la raison pour laquelle je vivais chez mon frère, je jeta un coup d’œil par la fenêtre de toit : dehors, il faisait nuit noire. Comment allais- je rentrer ?
—''Reste ici cette nuit, il est trop tard pour que tu rentres. Me conseilla-t-il soucieux.
Alors qu'il était minuit environ et que le sommeil nous rattrapait, nous nous couchâmes lovés l'un contre l'autre dans ce petit lit grinçant d'une place. Au bout d'une heure à peine, je me réveillais : j'avais trop froid malgré le poêle, et je claquais des dents. Énervée et fatiguée par ce réflexe incontrôlable, je ne savais quoi faire et regardais Mathurin dormir, avant qu'il ne se réveille à son tour, sans doute à cause du bruit des ressorts du lit quand je bougeais pour me réchauffer. Encore somnolant, il se leva du lit dans un grincement pour aller vérifier la flamme du réchaud, bien dansante mais insuffisante. Il revint bien vite se mettre sous les couvertures.
—''Que pourrais - je faire pour te réchauffer ? Je n'ai plus de couvertures, et le réchaud fonctionne.
Il me frottait le dos vigoureusement et m'embrassais dans le cou, sur les joues et sur la bouche. Cela n'en finissait plus et bientôt, sa main effleura ma peau sous la chemise : un soupçon de désir me traversa le corps et mon cœur se mis à battre de plus en plus fort. Nous oubliâmes vite le froid dans nos élans passionnés. Par plusieurs fois, je me ressaisissais en me posant des questions sans doute bêtes : Si les voisins du dessous nous entendaient ? Et si j'avais mal ? Mais à chaque fois, mon amour me faisait oublier mes doutes.
—''Laisse - toi aller, laisse - toi faire. Me chuchota t -il.
Il retira ma chemise tout en m'embrassant langoureusement, me laissant nue sur le lit et toute à lui. Je l'aidais aussi à retirer sa robe de nuit. Le désir devenait si fort que mes pensées se vidèrent. Nous étions éclairés à la seule lueur de la bougie, le lit était très petit et si grinçant que je venais à douter de sa solidité, le silence presque pesant, le seul bruit était celui du lit et de nos respirations fortes. Jamais je n'avais autant aimé un homme, je me délectais de ses baisers dans mon cou, il caressait mes cheveux, nos deux peaux chaudes l'une contre l'autre et bientôt, ses vas et vient dans mon corps me procurèrent un plaisir indescriptible. Après cette si forte étreinte, nous nous endormîmes lourds de sommeil, toujours serrés l'un contre l'autre.
Annotations
Versions