Chapitre 20E: janvier - février 1772

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Le lendemain matin je n'avais qu'à penser à notre nuit pour me réchauffer. C'était la toute première fois que je faisais l’amour avec un homme, une des premières fois qu'on n'oublie pas. En me réveillant j'avais le sourire aux lèvres, j'étais fière et confiante. Mathurin se réveilla lui aussi content, et m'apporta une tranche de pain avec du saindoux, que je dévorais. Il me fallait rentrer, mon frère allait s'inquiéter, mais nous nous reverrons prochainement, lui promis - je. Après un ultime baiser, je quittais l'immeuble, pour rentrer chez moi, le chemin je le connaissais par cœur. Je fus plutôt mal reçue par mon frère.

—''Où étiez-vous passée ? Où avez-vous passé la nuit ?

—''J'étais chez mon ami.

—''Pourquoi n'êtes-vous pas rentrée hier soir ? Nous étions fous d’inquiétudes ! Madeleine vous a longtemps attendue.

—''Je suis désolée, nous avons discuté tard et il faisait nuit, alors je ne pouvais pas rentrer.

—''C'est ça, racontez-moi tous vos mensonges, prenez-moi pour un imbécile... Je vais être très clair avec vous Louise, moi je ne vous héberge pas pour le Saint - Esprit. Je ne compte pas vous nourrir, vous blanchir et vous loger trente ans durant, surtout que vous avez l'air de croire que mon appartement est un hôtel - restaurant. Avec Madeleine nous avons des projets après la naissance, j'ai été gradé supérieurement, alors écoutez-moi bien, si je ne peux pas vous marier parce - que vous ne méritez plus la robe blanche, ce sera au couvent que vous irez. C'est clair ? Est - ce que j'ai été clair ?!

—''Oui mon frère.

Je faisais profil bas désormais, j'avais abusé de l'hospitalité de mon frère et ma belle - sœur et je le regrettais, mais ce n'était pas pour autant que je comptais renoncer à voir Mathurin. Prise dans un élan d'angoisse et de colère, j'attrapais une paire de ciseau et je coupais mes cheveux terriblement longs jusqu'à ce qu'il ne reste qu'une longueur sur les épaules, tant pis pour l'usage. Madeleine s'étonna de me voir avec les cheveux si courts, elle se demanda ce qui avait pu me passer par la tête. Fatiguée et proche de l'accouchement, elle ne manquait pourtant pas à ses devoirs d'épouse. Dès le matin tôt je la voyais préparer le déjeuner, nettoyer l'appartement. Mais elle espérait que tout ceci ne serait bientôt plus à faire, car une dizaine de bonnes à tout faire défilaient chaque jour chez elle, sans pour autant la convaincre.

Quelques jours après les premières douleurs de Madeleine, une miséreuse vint frapper à notre porte. Vêtue d'une pauvre robe de toile, un nouveau - né accroché au sein, elle cherchait un emploi de nourrice et avait su par bouche à oreille que l'on en employait justement une a cette adresse. Par simple charité, Madeleine étant au lit, je la fis entrer. Contre toute attente, elle me proposa de faire la cuisine, qu'avais - je à perdre ? Son bœuf aux légumes était délicieux. Elle nettoya les carreaux, passa le balai après le repas, et bientôt l'idée de l'engager n'était plus si lointaine. J'en parlait vite à ma belle - sœur qui me répondit simplement :

—''Engagez la, engagez-la, nous n'avons plus le temps de toute façon. L'enfant va naître d'ici quelques jours.

En effet le surlendemain de sa visite, deux février 1772, alors que j’attendais la naissance pour engager la femme, laquelle je faisais venir tous les jours faire à manger contre quelques pièces, Madeleine mis au monde son enfant, au petit matin, sans même que je ne m'en aperçoive. Ce n'est qu'à mon réveil que je su par l'anxiété de Louis qu'elle était née. A peine quelques heures après sa naissance, on présenta le nouveau - né au sein de la nourrice, qui bût goulûment : elle fut engagée. Nous ne savions pas ce qu'elle avait fait de son nourrisson, mais qu'importe, Madeleine avait trouvé juste à temps. Françoise était le premier enfant de mon frère, un beau poupon rose et dodu que la nourrice trouvait '' mignonnet'' et promenait dans les rues de Paris vêtue de ce tablier noir et blanc et du foulard que mon frère lui avait payé.

J'allais oublier ma sœur, ma chère sœur pour qui tout ne fus pas aussi simple. Le six au matin les douleurs terribles revinrent la tenailler, elle hurlait en se tenant le ventre de ses deux mains, impuissante, je ne savais que prier. Le médecin accouru, et déclara la naissance imminente. En effet dès le soir trois sages - femmes arrivèrent, et tout en tentant de calmer Camille, l'assirent sur la chaise pour la naissance. Pour ma sœur, rester assise était un supplice qui lui déchirait les entrailles, pourvu que cet enfant naisse vite, priais-je. Nous nous battîmes durant toute la nuit du six et les journées du sept et du huit pour l'accouchement, quand en début de cette journée une grande victoire égaya nos âmes fatiguées et meurtries : l'enfant apparaissait enfin, mais par les pieds, signe d'un grand malheur puisque les morts sortaient de chez eux dans cette position. Nous sûmes alors que rien n'était encore gagné. Camille avait perdu plusieurs fois connaissance et j'avais le devoir de la réveiller à chaque fois, ce qui me faisait mal, sans doute la douleur lui était alors épargnée et en la réveillant je la ramenais à la souffrance. Quand enfin dans la soirée le huit février, le enfant naquit, il était tout bleu, ayant manqué d'air trop longtemps. Camille ne souffrait presque plus, elle fut ramenée dans son lit et s'endormit en paix, harassée. Michel Joseph fus ondoyé le soir même avec peu d'espoir qu'il passe la nuit suivante. Le lendemain j'accompagnais son baptême, il était chétif mais bien vivant, grâce à Notre Seigneur nous en étions certains.

Depuis la naissance de Françoise, je ne voyais presque plus ses parents, Madeleine écrivait et lisait dans sa chambre et Louis, qui venait d'être gradé et occupait durant la journée son poste de garde royal. Le midi je mangeais seule avec la nourrice et ma belle - sœur, mon frère ne rentrant plus que le soir.

Tout se passait désormais sans encombres chez ma sœur, sortie du lit dix jours après l’accouchement : Auguste et Malou avaient bien accepté ce petit frère, bien qu'ils n'y prêtent pas beaucoup d'attention. Je m’inquiétais en revanche pour la vision de Michel, qui ne bougeait pas ses yeux, même quand je passais ma main devant, il ne réagissait pas à la lumière, avait le regard vide. Lorsque j'en parlais autour de moi, on me répondait souvent quelque chose comme : ''C'est un nouveau - né Louise ! '' ; Ne vous inquiétez donc pas, cela viendra", ou encore : '' cessez vos constatations qui ne valent rien'' . Cela ne me rassurait pas. Était - je donc seule à m'inquiéter de la santé de cet enfant ?

Ma sœur se rendit à l’église pour son amessement quarante jours après la naissance de son fils, comme elle avait pris l’habitude de le faire après la naissance de chacun de ses deux aînés.

Devant tant de refus d'accepter la réalité parfois difficile, je me réfugiais chez Mathurin. Il y faisait toujours aussi froid, mais j'avais apporté des couvertures et j'avais pu porter le manteau neuf que j'avais commandé, un chaud manteau de fourrure douce où j’aimais enfouir mon visage. J'avais terminé le livre qu'il m'avait prêté, j'adorais les histoires d'amour et celle-là m'avait touchée.

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