Chapitre 16B: juillet 1767
Après de longues accolades, je pu suivre ma sœur pour monter. Dès que nous eûmes franchi le seuil du deuxième étage, une mélodie au clavecin, encore mal jouée, me surpris : c'était Thérèse, six ans. Tout le monde vint ensuite me saluer, France, Joseph, et les trois enfants, qui me baisèrent la joue docilement, tandis que les bébés dormaient. A ma grande surprise, Célestin ne me sermonna pas : je n’avais pas pensé au fait que Camille serait mariée plus tôt si je rentrais de cette même façon. J'allais ensuite voir Marguerite, alitée, elle berçait doucement sa petite fille, un petit ange. Tandis que Philippe, réveillé par mon arrivée, s'agitait, je me rendis à son berceau : il n'était pas beau du tout. Le nourrisson avait les joues creuses, les oreilles décollées et pour couronner le tout, des boutons sur les joues. Malgré cela, je l'aimais déjà. Je m'autorisais à le prendre dans mes bras, il était léger comme une plume, je réajustais son bonnet. J'allais voir France, pour qu'elle lui donne le biberon, elle récupéra son fils et s’assied dans le fauteuil du salon, Georges et Amédée vinrent s'attrouper autour d'elle pour assister au nourrissage.
—''Voyez mes fils, votre frère est encore très petit, mais un jour, il sera aussi grand que vous.
Puis je les laissais et m'en allais retrouver Camille, dans sa chambre qui était aussi la mienne. J'entrais, elle était assise à son bureau.
— '' Quelles activités vous occupe Camille ?
Elle tourna la tête en souriant.
—''Je lis, pour passer le temps. Dites-moi, pour quelle raison êtes-vous rentrée plus tôt que prévu ?
—''J'ai fait une bêtise, ne m'en voulez pas...
—''Ah oui ? Qu'avez vous donc fait ?
—''Je me suis sauvée du couvent une nuit avec des amies pour aller faire une bataille d'eau. On s'est faites attraper.
—''Ah sacrée Louise, on n'en fera jamais deux comme vous... Vous avez apprécié ces années ?
—''Pas trop... Vous m'avez manqué... Sinon, savez-vous à qui Célestin va vous marier l'an prochain ?
J'avais frappé à l'endroit douloureux, mais je ne m'en apercevais que lorsque son visage s'assombrissait et qu'elle ne trouvait qu'une chose à me dire.
—''Sortez !
—''Mais...
Je n'insistais pas, même si c'était aussi ma chambre. Cela faisait mal à Camille que l'on parle de cela, car elle avait peur.
Le soir même, nous partageâmes le souper autour d'une grande table, cela me fit du bien de retrouver la chaleur d'un repas en famille. Après la prière, récitée sans fautes même par Georges, qui n'avait que deux ans, nous mangeâmes la soupe et nous allâmes nous mettre au lit. Je décidais de coucher dans une autre chambre inutilisé et après un temps de réflexion, je dénouais le nœud qui tenait mes cheveux, brossais longuement ma chevelure qui tombait jusqu'au sol, me nettoyais le visage, j'enfilais ma chemise de nuit, récitais ma prière et me coucha.
J'entendis un des jumeaux pleurer cette nuit-là, mais je ne me réveillais pas pour autant. Je crois que France alla le consoler car ensuite il se tût. Le matin, surprise de ne pas voir ma sœur au déjeuner, je m'empressais d'aller la voir dans sa chambre : la tête sur l'oreiller, elle pleurait et je me doutais bien de quoi.
Je me disait à ce moment-là que Camille m'avait tant consolé dans ma petite enfance, qu'il était désormais mon tour de lui apporter un peu de chaleur. Je m'approchais d'elle et lui levais la tête.
— '' Camille, même si ce n'est pas facile à accepter, vous devez vous conformer à sa décision. Je serais toujours là pour vous, quoiqu'il vous arrive, je ne vous laisserais pas tomber. Entendez-moi, nous allons aller voir Célestin, pour lui demander s’il peut vous accorder une année supplémentaire de répit.D'accord ?
—''Oui...
Doucement, Camille se leva de son lit, elle avait le contour des yeux rouges et ses larmes trempaient son visage. Elle attrapa son mouchoir brodé et se tamponna les yeux. Nous allâmes voir Célestin.
Il lisait son journal assis dans son fauteuil, au salon. Je l'interpellais.
—''Oui Louise - Victoire, que se passe t–il ?
—''Camille aimerait vous demander une faveur...
—''Allez - y donc !
Camille s'approcha de Célestin, et lui lança sèchement :
—''Voulez – vous donc gâcher ma vie ?! Vous croyez pas que je n'ai pas assez de problèmes comme ça ? Je vous préviens, si vous accordez ma main à ce buffle, je me passe la corde au cou ! Espèce de connard !
Camille était allée trop loin, et sitôt après ces paroles, elle plaqua ses mains contre son visage. Célestin se leva brusquement, et l'attrapa par les cheveux. Il la conduisit dans la chambre et claqua la porte derrière lui. J'entendis ces paroles noyées dans les flots de larmes et de cris :
—''Vous allez voir si je ne vais pas vous marier, moi !
Les coups allaient pleuvoir comme ils n'auraient jamais dû l'être, et c'était de ma faute. Les larmes me montèrent aux yeux, Camille allait peut-être mourir derrière cette porte, et je serais impuissante. Je tapais à la porte, et cela me rappela mon enfance, lorsque je prenais sa défense face aux coups, mais cette fois, c'était trop insupportable.
Au bout de dix minutes, Célestin sortit de la pièce l'air satisfait. En voulant aider ma sœur, je l'avais détruite. Étendue à terre, elle était inconsciente. Je lui versais de l'eau sur le visage et elle revenait à la conscience, les bleus sur sa figure étaient incalculables. Après l'avoir ramenée dans ma chambre, je la couchais sur mon lit, et pansais ses plaies. Peut-être aurions-nous pu négocier si Camille n'avait pas dérapé ?
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