Chapitre 34A: mai 1785
Les difficultés commencèrent lorsque je recevais cette lettre en mai.
Louise,
J'ai appris que vous vous étiez mariée. Félicitations ma sœur, pour votre discrétion. Moi qui vous entretenait encore, j'ai été naïf. Vous êtes belle, jeune, j'aurais dû me renseigner plus tôt, en me doutant que vous retrouverez rapidement un mari. Moi qui ait perdu trois de mes quatre filles à quelques mois d'intervalle, il est sûr que vous allégez ma peine. Henriette et Anne sont parties quelques mois après leur sœur, de la même maladie, qui était en fin de compte contagieuse. Elles n'avaient que sept et neuf ans. Vous me rembourserez au plus vite l'argent que je vous ai versé après votre mariage. J'en ai besoin. Si vous ne le faites pas avant le mois d'août, je cesse de financer la concession de Camille, que je paye depuis douze ans maintenant. Notre sœur partira en fosse commune, comme une indigente. De mon côté, je ne me rends plus sur sa tombe, et je trouve que douze ans, c'est largement suffisant pour faire correctement son deuil. Mais cela n'effacera pas votre dette pour autant, sachez - le.
Sur ce, bonne continuation. Et bonne année.
Paniquée, j'en parlais a André le soir même.
—'' Mon frère me réclame de l'argent. Hors, nous n'avons pas d'argent.
—'' Beaucoup?
—'' Je ne connaît plus exactement le montant, mais c'est une somme conséquente.
—'' Oh... Pourquoi vous avait-il donné de l'argent?
—'' Pour nous permettre de vivre, André. Si nous avons encore un toit sur la tête en ce moment, et que les enfants dorment dans leur lit, c'est grâce a lui. Je n'ai plus rien de mon ancien mari, et vous ne gagnez pas assez pour nous faire vivre. Si je ne paye pas avant le mois d'août, il m'a menacé de faire exhumer les restes de Camille, et de les mettre en fosse commune. C'est lui qui paye la concession.
—'' Qui était Camille?
—'' Ma sœur, décédée il y a douze ans. Ce soir, je vous laisserait compter ce qu'il nous reste, j'espère que ce sera suffisant pour terminer le mois et nourrir les petits.
Louis me réclamait de l'argent exprès pour me faire peur. Je savais qu'il n'en avait pas besoin. Ce n'était pas cela qui allait lui rendre ses filles, dont les décès successifs m'attristèrent et durent avec son épouse le déchirer.
En fin de compte, nous avions assez pour terminer convenablement le mois de mai. Je devais le solliciter pour qu'il accepte de continuer a nous entretenir, sans quoi nous finirions comme des mendiants sur le trottoir, ce que je redoutait.
Louis,
Je suis désolée de ne rien vous avoir dit, mais comprenez moi, cet argent nous servait a vivre, et a garder un toit sur notre tête. Mon frère, je suis éplorée du décès de vos filles, déchirée même, mais je doute que l'argent que je vous rembourserait ne soulage votre peine. Je vous promet de rembourser au plus vite, mais je vous en conjure, par la bonté du Seigneur, ne nous laissez pas mourir de faim sur le trottoir, qui nous attend dès le mois prochain si vous ne faites rien. Donnez nous ne serait - ce de quoi payer le loyer jusqu'en décembre, je me débrouillerais avec le tout petit salaire d'André pour nourrir les enfants. Je sais que vous avez bon cœur, au fond. Bonne santé a votre petite Victoire, à votre épouse, et à vous même. Paix aux âmes des petites défuntes.
Louise.
Je ne recevais aucune réponse, ni même de l'argent, comme je l'espérais tellement fort. Le soir, je pleurais d'angoisse, et de chagrin, de savoir la misère si près de nous. L'argent s'épuisait au fil du temps, et bientôt, je n'avais plus a aller au marché. André travaillait dur pour pouvoir payer le loyer. Malheureusement, même si avant, c'était assez pour financer chaque mois son petit logement miséreux d'une pièce en haut de l'immeuble, ce n'était pas assez pour payer l'appartement de trois pièces que nous occupions tous les cinq. Lorsqu'il me voyait pleurer, mon petit André venait s'asseoir sur mes genoux et embrassait mes joues trempées, c'est salé, disait t-il. J'avais peur pour lui, je ne voulais pas qu'il connaisse la misère. Misère que je n'avais pas connu dans mon enfance passée dans l'abondance et la richesse chez mon oncle et ma tante, mais que j'avais connu durant trois ans chez ma nourrice. Chaque soir, pendant que j'avalais ma soupe maigre qui ressemblait d'avantage a un bouillon d'eau, je guettais la porte en craignant une visite du propriétaire, que les rumeurs disaient sans pitié et sans gêne pour s'incruster chez les gens sans frapper.
La nuit, je cauchemardais a l'idée de voir mes enfants mourir de faim sur le trottoir, devant la porte de l'immeuble où ils avaient passés tant de bons moments. Et puis, j'allais peut - être trop vite. Mon mari travaillait, il avait un maigre salaire, mais c'était de l'argent tout de même. Nous devrions déménager, c'était sûr, mais tant qu'André travaillait, nous ne serions pas à la rue.
Gustavine lisait le journal, lorsque elle s'interrogea. J'étais au moment même en train de faire les comptes, persuadée que l'on pourrait louer un logement dans le quartier avec le salaire d'André, si je faisait quelques travaux de couture.
—'' Dites Louise, quand pourrais-je partir faire ma formation?
Je levais les yeux en baissant mes lunettes, intriguée.
—'' Votre formation? Vous voulez dire l'école de sage - femme?
—'' Oui. Ils acceptent les élèves dès dix-huit ans, et comme je les aurais en février prochain, je me disais qu'on pourrait commencer a y réfléchir.
Je baissais de nouveau mes lunettes sur mon papier rempli de chiffres.
—'' Ce ne sera pas possible.
—''Pourquoi? Demanda t-elle très étonnée
—'' Écoutez Gustavine, si vous vous trouvez un mari qui accepte de vous la payer, alors allez-y. Mais André ne pourra absolument pas vous l'offrir.
Elle s'approcha de moi.
—'' Je suis beaucoup trop jeune pour me marier. Je n'ai même pas dix-huit ans. Je vous en prie...
—'' Faites des travaux de couture, du repassage, du ménage chez des particuliers. Renseignez vous sur le prix de la formation et débrouillez-vous. Vous avez un rêve depuis longtemps, alors donnez vous les moyens d'y parvenir. Sur ce, je fait les comptes, alors j'ai besoin de calme. Occupez donc André qui a l'air de s'ennuyer ferme. Tenez, cherchez les petites annonces dans le journal, certaines familles riches recherchent des nourrices non allaitantes pour s'occuper de leurs jeunes enfants.
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