Chapitre 34B: mai - juin 1785
Gustavine nota les quelques annonces qui l’intéressait. Déterminée, elle comptait bien se rendre chez certains pour tenter d'obtenir un travail. André, lorsque je lui en parlais, était un peu inquiet pour elle.
—'' N'est t-elle pas trop jeune pour ainsi se rendre chez des inconnus et garder leurs enfants?
—'' Non. Le temps qu'elle trouve une famille qui l'accepte, je vous promet qu'elle aura dix-huit ans. Elle aime les enfants, et avec un peu de chance, ils la garderont ! J'ai lu quelque part, l'histoire d'une jeune femme qui était arrivée dans une famille vers vingt ans, morte vers soixante ans en étant toujours au service de cette famille. Elle avait donné sa vie a ces gens. C'est rare mais tellement beau. Vous ne trouvez pas?
—'' Si elle aime les enfants. Après tout.
Avec André, nous cherchâmes des appartements dont le loyer convenait a son salaire. Il fallait faire très vite car déjà, nous étions en fraude au niveau des mensualités de cet appartement, puisque nous ne pouvions plus le payer. C'était difficile, et tout ce que nous trouvâmes, c'était des pièces uniques dans des immeubles miteux. Suite a une lettre de réclamation du propriétaire de notre appartement pour le loyer, nous nous décidâmes rapidement pour une pièce non loin de là où nous vivions actuellement. Il n'y avait rien a visiter, il fallait juste envoyer une lettre au propriétaire de l'immeuble pour qu'il accepte de nous le louer. Contrairement a Léon, André prenait en compte mes choix. Cette pièce, nous l'avions choisie a deux, pour y élever je l'espérais seulement quelques mois les enfants qu'il considérait comme les siens.
Je remplissais les malles de nos affaires personnelles, en laissant les meubles qui avaient toujours été là. André ne comprenait pas pourquoi nous déménagions, il me suivait dans l'appartement tandis que je déplaçais les malles. Agacée, je tentais de faire en sorte qu'il cesse.
—'' Allez faire un dessin André. Pour André, il sera content vous verrez.
—'' Pourquoi vous remplissez les caisses maman?
Occupée, je tentais de lui répondre en rangeant les affaires.
—'' Parce-qu’on va déménager. On va partir d'ici, pour aller dans un autre endroit. Maintenant, laissez - moi.
—'' Mais moi je veux pas partir. Je veux pas quitter André.
Je me penchais vers lui, pour qu'il comprenne que son beau - père ne le quitterait pas.
—'' Écoutez mon garçon. On va aller dans un autre logement qui ne sera pas loin d'ici. On ne va pas quitter André, il vient avec nous. Allez voir Gustavine, elle va vous occuper.
Il avait l'air rassuré, et il trottinait vers le salon, tandis que je suait, en plein mois de juin, c'était d'autant plus fatiguant. Mon mari devait travailler tous les jours et c'est moi qui organisait donc le déménagement. Il n'y avait que le dimanche après - midi où il pouvait m'aider. Nous laissâmes beaucoup de nos affaires, car ce serait très petit dans notre nouveau logement. Enfin, après une ultime visite du propriétaire qui nous adressa l'ultimatum, nous quittâmes l'appartement. Avec assez de regrets, car c'est là où mon fils avait grandi, j'y habitais depuis plus de trois ans, mais désormais, nous n'avions plus le choix.
Nous transférâmes les trois malles qui contenaient nos affaires personnelles. J'hallucinais en voyant pour la première fois là où nous vivrons. Une minuscule pièce où l'on étouffait littéralement. Au fond, une petite fenêtre qui fermait mal donnait sur une cour boueuse où galopaient des rats. Sous la fenêtre, les anciens locataires avaient calé un lit deux places, près duquel un vieux berceau demeurait. Il y avait un petit meuble non loin de l'entrée, et un minuscule lit d'enfant aux couvertures poussiéreuses, où avait sans doute dû coucher plus d'un petit. Apeurée a l'idée qu'il n'y ait rien pour prendre nos repas, je trouvais a mon grand soulagement sous le meuble un petit réchaud a bois. Ça sentait les vieux livres, bien qu'il n'en ait pas un ici, cette odeur de poussière et de temps passé qui prenait le nez comme un parfum mis en trop grande quantité.
André, excité de découvrir son nouveau logement, couru d'abord vers le petit lit d'enfant, avant que nous ne décidâmes d'y coucher Gustavine et Léon-Paul. André dormirait avec nous deux. Elle irait prochainement voir plusieurs familles pour passer un entretien. Si elle était engagée, elle serait assurément notre salut.
Pour faire la cuisine, il fallait sortir le réchaud, couper les légumes sur un morceau de papier journal par terre, faire cuire la soupe, et manger assis par terre, l'assiette posée sur les genoux, sur le parquet gonflé d'humidité. C'était horrible. Chaque jour, je priais pour que ma belle-fille soit engagée au plus vite.
Le soir, je me déshabillais en priant pour que tous gardent les yeux fermés, c'était un jeu pour André, qui n'avait pas encore assez de pudeur pour penser a ne pas se promener nu comme un ver dans le logement. Nous nous lavions sommairement, un gant de toilette pour le corps, et les cheveux mutuellement dans un seau avec un peu de savon. Nous n'avions pas froid, en ce mois de juin, mais je craignais l'hiver. Il n'y avait ni poêle ni cheminée, et le toit, puisque nous étions au dernier étage, présentait d'inquiétantes fissures dont mon mari me disait de ne pas me faire de soucis.
André avait vendu la voiture de Léon contre un modèle plus modeste, conduit par un seul cheval, peu de temps après le déménagement. Il s'en servait pour se rendre à la cordonnerie, tous les matins, alors j'effectuais mes trajets a pieds.
Gustavine se rendait a son premier entretien quelques jours après notre emménagement. Elle avait mis sa plus belle robe, j'avais coiffé ses cheveux en espérant le mieux pour elle. Elle avait quitté l'appartement assez anxieuse, elle était rentrée deux heures plus tard, le sourire aux lèvres.
—'' Alors? Que vous ont-ils dit?
—'' Vous ne devinerez jamais Louise. Je suis engagée!
Elle me sauta dans les bras, trop heureuse.
—'' Si vite? Je suis tellement heureuse pour vous! Oh Gustavine...
Plus tard, elle m'expliqua calmement en quoi consisterait sa tâche.
—'' Je serais logée, nourrie, blanchie si je m'occupe de leurs petits enfants. Payée si je fait le ménage et la cuisine en plus de cette tâche. Ce sont quatre orphelins. Trois garçons et une fille, que je n'ai pas encore vu. Je commence dès demain.
—'' Je prépare vos affaires?
—'' Faites moi une malle avec mes vêtements et mes bibelots. Je partirais demain après-dîner. Ils vivent a trois quart d'heure de marche, dans un appartement cossu, au deuxième étage.
Gustavine passa une dernière nuit avec nous, avant de nous quitter, le lundi quinze juin après-dîner, André avait emmené la malle la veille, pendant son unique jour de repos de la semaine. J'avais été étonnée qu'elle soit engagée si vite, en l'espace d'une heure, mais c'était simplement l'affaire de chance, elle avait trouvé la bonne famille au bon moment. Nous étions désormais quatre ici, mais bientôt, j'en était sûre, nous quitterions cette horreur. La nuit, André partageait notre lit, il couchait entre nous deux. Il bougeait sans cesse, défaisant la couverture parce-qu’il avait trop chaud, ou la remettant sur lui parce-qu’il avait un peu froid.
—'' Oh... Arrêtez de gigoter. Râlais-je dans un demi sommeil
—'' J'ai trop chaud maman.
—'' Eh bien retirez la couverture, mais ne la remettez plus.
Annotations
Versions