—'' Je réfléchis, mais je ne connais personne de mon entourage qui aurait des enfants du même âge qu'André. Chez Berthe, non, chez Adélaïde ils sont trop grands, Gabrielle, il faudrait que j’aille lui rendre visite mais François a dix ans, peut-être Jules, son petit dernier a six ans. J'irais le voir, il m'a donné son adresse, il vit dans le quartier.

—'' C'est un de vos amis ?

—'' Oui. Je le connais depuis toujours, mais je ne l'avais pas vu depuis mon mariage, il y a douze ans. Il s'est récemment installé dans le quartier avec ses quatre enfants et son épouse. Il était venu me rendre visite quand Léon-Paul et André étaient malades. Dites-moi André, n'avez-vous pas de famille proche sur Paris ?

—'' J'ai deux frères et une sœur, avec qui je ne parle plus depuis des années. Mon frère aîné est prêtre, mon deuxième frère aîné est veuf depuis dix ans, ma sœur cadette est mariée et elle a trois enfants, si elle est toujours en vie.

Nous nous rendîmes donc avec mon benjamin chez Jules, pour qu'il puisse passer un peu de temps avec le petit Mathurin, et s'échapper de sa solitude. Dans l'appartement on ne peut plus petit que ce qu'ils possédaient autrefois, Clémence m'accueillait plutôt froidement. Elle devait avoir la petite quarantaine, brune, sans prétention, elle n'était pas très proche de ses enfants. André resta accroché a ma robe sans vouloir accompagner Mathurin jusqu'à sa chambre, qui le tirait pourtant gentiment par la main. Leur mère était sévère avec eux et Mathurin se figea littéralement lorsqu'elle le sermonna de ne pas laisser mon fils tranquille.

Marie - Josèphe était dans la cuisine, jeune fille silencieuse, elle préparait du haut de ses dix ans un gâteau dont l'odeur parfumait le petit logement. Au milieu de l'après-midi, alors qu'André s'était un peu enhardi, et qu'il parlait avec Mathurin dans la chambre, qui ne possédait aucun jeu, elle apporta telle une petite bonne le goûter sur un plateau. Sa mère, au lieu de la féliciter comme je l'aurais fait pour sa servitude, se contenta de lui dire qu'il était trop sec. Je me demandais bien où étaient passés Jean-Robert et Jules-Clément, mais je n'avais guère ma réponse, puisque André allait rentrer et que le souper devrait être prêt pour son retour. Nous n'étions pas prêt de remettre les pieds dans ce logement aussi froid, où les enfants n'avaient même pas de quoi s'amuser, et où la seule fille, qui n'avait que dix ans, était déjà réduite à une petite ménagère docile et taiseuse, qui avait appris a ne jamais se plaindre. Cela m'étonnait beaucoup d'eux, surtout de Jules, un homme chaleureux que j'avais du mal a imaginer laisser faire ça.

Le soir, mon mari me critiquait négativement, en me disant que ce n'était pas parce-que sa mère la laissait faire un simple gâteau qu'elle était forcément réduite a une bonne, mais pour moi, on ne critiquait pas la cuisine d'une enfant de dix ans, même si elle n'avait pas fait cela de bon cœur et que son gâteau était trop sec, comme c'était le cas pour Marie - Josèphe.

Le deux novembre 1786, ma sœur aurait eu quarante ans. Parfois, j'en avais assez de calculer les âges des morts, qui de toute façon, n'en avait plus. Mais cela me détendait d'imaginer Camille au milieu de ses enfants devenus de jeunes adultes, comment aurait -elle été ? Vieille, avec des cheveux blancs, aux côtés de son mari qui l'était encore plus, a quarante - cinq ans. Ils auraient sans doute eu d'autres enfants après Michel, un, peut-être deux, allez savoir. Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'aurait pas cessé de râler après son mari, de le détester, cet homme qu'on lui avait imposé a vingt et un an. Mais Camille n'existait plus, son squelette même devait être en mauvais état sous la tombe. Celle avec qui j'avais passé mon enfance avait disparue de la surface de la Terre, comme si les quelques années qu'elle y avait passé s'étaient volatilisées.

La Saint-Nicolas de cette année fut triste. André était encore une fois malade et nous eûmes particulièrement faim et froid, car l'argent de Gustavine ne parvenait pas a nous, sans doute a cause de la neige sur les routes qui immobilisait les voitures et bloquait l'avancée du courrier. Par grande chance, peu de temps avant la nouvelle année, nous reçûmes la précieuse lettre, pour pouvoir payer le loyer qui était déjà en retard, avec un petit mot qui ne me fit pas fort plaisir.

Chère Louise,

Je vous annonce avec joie que vous ête conviée a mon mariage, le 21 mars 1788 en l'église Sainte- Geneviève de Paris. Une réception sera organisée le midi après la cérémonie et le soir chez les parents d’Étienne.

Bien affectueusement,

Gustavine.

Ma belle-fille avait du culot, d'ainsi m'annoncer ses noces, mais au-delà de l'aspect financier, j'étais plutôt heureuse pour elle. Nous trouverions une solution pour pallier le manque de son salaire, et puis, la belle - famille pourrait toujours nous aider financièrement.

—'' Maman ! Me réveilla t-il un matin. Quand j'aurais six ans, je pourrais apprendre à lire la Bible ?

J'ouvrais les yeux, émergeant de mon sommeil.

—'' Bien sûr Jeanjean. C'est important pour vous, la religion ?

—'' Oh oui beaucoup. Je voudrais mon déjeuner s'il vous plaît.

—'' J'arrive.

Il parlait bien maintenant, c'était un grand garçon et non plus mon bébé tout timide. Il aimait toujours autant son beau - père, lui sautant dans les bras à chaque fois qu'il rentrait de la cordonnerie. André lui ramenait souvent une petite sucrerie, que je ne l’autorisais à manger qu'après le souper. Le jour de son sixième anniversaire, qui tombait bien heureusement un dimanche, mon benjamin souffla toutes ses bougies d'un coup.

J''étais fière de lui, mon petit bonhomme.