Chapitre 35F: décembre 1785
Alors que je pensais que le lendemain matin serait morose, il ne ressassait même pas, me parlant comme si de rien n'était, comme si je n’avais jamais évoqué cette école, au point que je venais a douter de mes propres paroles.
Pour me rendre chez Gabrielle, je devais retrouver le papier sur lequel était inscrite l'adresse que j'avais comme une idiote payée une fortune à la bonne femme de Montrouge. Après avoir littéralement retourné ma besace, et au passage retrouvé un vieux mouchoir en tissu aux plis collés et une médaille contenant une mèche de cheveux d'un de mes enfants, j'allais demander à mon fils, occupé à dessiner allongé sur le ventre, sur le sol de sa chambre.
—'' Vous n'auriez pas vu un petit morceau de papier sur laquelle était inscrite une adresse ?
Il me répondit sans même détourner les yeux de sa feuille de dessin.
—'' Non maman.
—'' Merci pour l'aide. J'en ai besoin moi...
Persuadée de l'avoir rangé, je cherchais mille fois aux mêmes endroits, avant de m'avachir sur le canapé, désespérée. J'étais triste de ne pas pouvoir aller la saluer, elle devait penser que je l'avais oubliée, depuis toutes ces années. Ce n'est que le soir venu, en cherchant une plume pour écrire une lettre, que je le retrouvais, ce petit papier, quelque peu chiffonné, sous une pile de lettres dont certaines dataient de vingt ans, que j'aurais bien relu, si j'avais eu le temps ou plutôt, si j'avais pris le temps. Comme le lendemain était un dimanche, et que j'aimais profiter du rare temps libre de mon mari ce jour - là, j'attendrais le lundi pour aller lui faire une petite surprise. André toussait beaucoup, mais je ne m'en inquiétais pas trop, il était très souvent malade, et nous étions au mois de février.
Lundi matin, j'emmitouflais André et nous sortîmes sous la neige de Paris, pour aller rendre visite a mon amie. Paris était sale, bruyante et puante, mais pourtant, je l'aimais, ma ville natale. Nous marchâmes longuement à la recherche de la fameuse rue Gélin, les petites mains de mon fils le faisait souffrir malgré les gants trop grands que je lui avaient enfilés, et il toussait de plus en plus fortement. Lorsque nous arrivâmes dans l'entrée de l'immeuble, je pouvais le comparer à une casserole que je traînais derrière moi, il n'avançait plus que sur mes sollicitations, tout tremblant de froid. L'intérieur de l'immeuble ressemblait beaucoup à celui qu'avaient occupé Camille et Auguste durant les premières années de leur mariage, et pour cause, je crois bien que c'était le même. En montant les escaliers, j'encourageais mon fils.
—'' Allez André, courage. Nous serons bientôt arrivés en haut.
—'' J'ai mal aux jambes maman...
—'' Et oui, nous avons beaucoup marché. Allez, dépêchez-vous un peu.
Je frappais trois coups. Elle apparut, vieillie, mais bien là.
—'' Oh mon dieu... Louise...
Elle me sauta au cou, trop heureuse de me revoir. Je l'embrassais longtemps, elle aussi m'avait beaucoup manquée.
—'' C'est votre petit garçon ?
—''En effet, c'est un garçon.
—'' Non, mais je voulais dire, c'est votre fils ?
—'' Bien sûr, que croyez-vous ? Dites bonjour à Gabrielle, André.
Il embrassa mon amie, qui nous laissa entrer. Nous nous assîmes sur un des deux fauteuils, André resta sur mes genoux, il n'y avait pas de canapé.
—'' Voulez-vous que je prépare le thé ? Proposais-je pleine de bonne volonté
—'' Vous plaisantez ? On ne fait pas faire la cuisine aux invités ! Et puis, il est déjà dans la théière, hier, nous avions des invités. Je vais le faire chauffer.
—'' Que devenez - vous alors ? Lui demandais-je entre deux gorgées brûlantes, elle qui se trouvait à deux pas, dans la cuisine.
—'' Oh, si vous avez ma nouvelle adresse c'est que vous devez savoir que je me suis remariée. C'est tout ce qui est arrivé d'important dans ma vie depuis votre départ. Et vous ?
—'' Moi aussi je me suis remariée. Après le décès de Léon. Mon mari est beaucoup plus ouvert, et je l'apprécie...
—'' Il s'appelle comme moi mon nouveau papa !
Je le fis vite descendre de mes genoux.
—'' Oh ! On ne coupe pas la parole aux adultes comme ça André ! Vous m’entendez ? Allez jouer.
—'' Il y a quelques jeux dans la chambre de François. Mais ne dérangez pas trop. Lui lança Gabrielle.
Nous discutâmes intimement, toutes les deux. Son fils était en stage chez son beau-père. Son nouveau mari était d'un naturel bavard et enjoué, ancien médecin du bourg de Montrouge, c'était celui qui m'avait soignée le jour de la naissance d’Émile. Il ne rentrait pas tard le soir, ne partait pas tôt le matin, il éprouvait une certaine affection pour son beau-fils, les emmenait parfois au jardin des plantes, mais pourtant, elle me disait qu'elle n'était pas heureuse, enfermée toute la journée entre quatre murs, a s'ennuyer, la bonne effectuant la plupart des corvées de ménage.
A Montrouge, me rapportait t-elle, elle pouvait sentir l'air frais de la campagne tous les matins sur ses joues, courir et arriver en retard morte de rire le dimanche à la messe avec son fils et humer l'odeur du linge propre le jour de la lessive, ici tout était réglé, ennuyeux, et l'air certains jours semblait irrespirable. Le couple n'avait pas eu d'enfant ensemble, tout simplement parce-que Gabrielle avait désormais quarante-deux ans, et que c'était trop tard.
Au début, cela avait un peu frustré son mari de ne pas réussir à lui en faire un, mais il était vite passé a autre chose, ignorant bien sûr qu'elle n'était plus féconde.
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