Chapitre 37A: avril 1788

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Les nouvelles en ce début de printemps n'étaient pas bonnes. Pire encore, elles s'avéraient catastrophiques. Les récoltes de blé étaient ridiculement petites, à cause du temps particulièrement pluvieux qui faisait pourrir les semis dans la terre. Ce n'était pas tout, puisque le Parlement de Paris, qui se sentait vulnérable, avait prit un arrêt visant a mettre en avant le caractère essentiel de la constitution monarchique, ce qui ralentissait encore un peu la bataille des anti-monarchistes. Camille, passionnée autant par le thé que par la politique, m'avait expliquée quelques notions pour bien comprendre ce qu'il se passait en ce moment de si important dans le Royaume. Ce que j'avais retenu de plus important était que le peuple, et nous avec, perdait doucement ses droits fondamentaux, et que c'était très loin d'être terminé.

Marie-Camille apprenait de nombreuses choses a Gustavine, qu'elle considérait un peu comme la fille qu'elle n'avait jamais eu. Cuisiner des plats plus sophistiqués, coudre, broder, toutes ces choses que je n'avais pas vraiment pris le temps de lui apprendre et qui étaient très importantes. Chez eux, il y avait seulement une bonne qui faisait le ménage, la cuisine et les lessives étaient du ressort de Gustavine. Le samedi ou le dimanche après-midi, si le temps ne s'y était pas prêté la veille, elle apportait un panier rempli chez sa belle-mère et nous allions l'aider a laver son linge, toutes trois. Si jamais, comme cela était courant, il pleuvait a torrents durant ces deux jours, nous nous couvrions et nous affrontions les caprices du temps, en riant pour relativiser un peu sous cette pluie qui prenait l'allure d'une véritable douche, juste pour l'aider.

Je rendais visite plus régulièrement a mon amie Gabrielle, car je savais a quel point elle avait comptée pour moi dans les moments les plus douloureux de ma vie, et moi de même, d'ailleurs, j'avais proposé a Marie-Camille de l'inviter, un soir, avec son fils et son mari. Elle avait été ravie, heureuse de pouvoir faire connaissance avec mon amie.

Un soir orageux de mai, nous avions donc fait joliment nappé la grande table, fait sortir les beaux couverts, pour pouvoir recevoir autant de monde. Les enfants avaient pris leur souper une heure avant dans la cuisine, pour que nous puissions nous retrouver calmement entre adultes, sans avoir a affronter leurs éventuels caprices. Ce soir-là, autour de la table, il y avait donc Gustavine et Étienne, Marie-Camille et Jean-Charles, Jacques, le frère aîné d’Étienne, Gabrielle dont le fils était resté chez une voisine, son mari Victor, et moi, assise près d'elle.

Lorsque la cuisinière apporta un petit papier sur lequel était noté le menu, je le lisais discrètement a mon amie, qui apprenait pourtant, avec son mari, une fois par semaine, a déchiffrer les syllabes. Elle me paraissait mal a l'aise, devant ces gens qui possédaient tant de richesses, mais surtout lorsque Marie - Camille lui posait des questions, elle tordait ses mains en ne sachant pas trop comment la regarder. J'essayais de l'encourager, de la relaxer, en lui souriant, mais je n'avais pas l'impression que cela faisait son effet. En fin de soirée, le couple quitta les lieux, et je broyais du noir parce-qu’elle ne m'avait rien dit, ni rendu le moindre sourire, je m'en voulais, sans savoir trop pourquoi. Sans doute je réfléchissais trop et était-elle simplement fatiguée.

Étienne prenait des risques avec ces réunions républicaines et cela ne plaisait pas du tout a son épouse, qui se rongeait les sangs a chaque fois qu'il y participait, en se demandant si il ne terminerait pas guillotiné. Elle avait beau lui montrer les nombreux articles qui parlaient de ces hommes exécutés pour avoir été contre la monarchie, il ne comptait pas changer d'avis. Les jeunes mariés prenaient plusieurs fois par semaine le souper chez nous, Étienne étant particulièrement attaché a sa famille. Ce dernier en profitait pour en rajouter sur ses opinions politiques, et ainsi rendre les repas explosifs, surtout chez Jean-Charles, qui ne partageait pas du tout ses idées républicaines, étant né sous la monarchie de Louis XV, un bon roi pour son peuple, qui ne dirigeait pas avec ses pieds comme son fils.

J'avais été surprise lorsque pour la première fois, j'avais entendu Gustavine tutoyer son époux, qui faisait de même avec elle. Je me rendais compte a ce moment là que ces jeunes gens faisaient partie d'une nouvelle génération, dont les enfants trouveraient sans doute le vouvoiement étonnant. Un de ces soirs, après le souper, un débat nous divisa. Gustavine, assise près de sa belle-mère, se tourna pour appeler son homme, occupé dans une des chambres.

—'' Étienne?

—'' Oui? Répondit-il du fond de l'appartement

—'' Pourrais - tu venir un instant?

Son mari arriva, et se pencha à son oreille pour l'écouter.

—'' Penses–tu que quand nous aurons des enfants, ils nous vouvoierons?

Il releva la tête, et souria, sans doute heureux de cette idée.

—'' Oh... non, je ne crois pas, il se crée une distance entre les enfants et les parents qui ne me plaît pas trop.

Je réagissais au quart de tour, pas de cet avis.

—'' Pourtant, André m'a toujours vouvoyé et je suis très proche de lui.

Gustavine me répondit en détournant parfois les yeux de la table qu'elle fixait depuis le début de notre conversation.

—'' Je ne suis pas sûre qu'il est aussi proche de vous qu'il le serait si vous le tutoierez. D'ailleurs, pourquoi le vouvoyez-vous?

—''J'ai été élevée dans le respect des adultes, pour moi...

Étienne me coupa la parole.

—'' Attendez, je vous coupe mais ce n'est pas une histoire de respect...

—'' Mais bien sûr que si!

—'' Je n'ai pas terminé Louise, laissez-moi poursuivre. C'est une histoire d'éducation de la part des parents. Si les parents éduquent assez sévèrement leurs enfants, ils peuvent instaurer le tutoiement.

—'' Vous sous - entendez que mon fils est mal éduqué? Non mais comment peut-on critiquer négativement une éducation sans être soi - même parent! Marie-Camille n'êtes–vous pas d'accord?

—'' Oh vous savez moi...

Étienne s'agaçait, assis près de son épouse qui s'était tût.

—'' Je ne sous - entend pas qu'il est mal éduqué... Arrêtez un peu... Arrêtez...

—'' C'est une histoire de respect. C'est tout. Oh et puis vous m'énervez. Nous verrons bien quand vous aurez des enfants. D'ici là vous aurez bien le temps de changer d'avis.

Lorsqu'elle passait un jour chez nous, je demandais discrètement a Gustavine si tout se passait bien avec son mari. Elle se confiait alors un peu à moi, au calme de la chambre.

—'' Étienne est pressé.

—'' Comment ça?

—'' Il veut un enfant. Mais il croyait que cela se faisait tout de suite...

—'' Vous lui avez dit que cela pouvait prendre du temps?

—'' Oui. Il me demande presque tous les jours si je suis enceinte.

—'' C'est normal. Ne vous en faites pas, la nature fait souvent vite les choses. Vous n'êtes pas un peu stressée vous? Je vous vois vous tordre les mains...

—'' Un peu. J'ai peur en me retrouvant enceinte qu'il ne s'occupe plus de moi, qu'il ne voit plus en moi qu'un ventre.

Je lui prenais les mains pour la rassurer.

—'' Il vous aime, cela n'arrivera pas. J'en suis sûre.

Si je n'avais pas de nouvelles de Léon - Paul, en revanche, Adélaïde m'envoyait parfois du courrier, de petits billets qui me donnait de ses nouvelles et qui faisaient fort plaisir. Même si j'appréciais beaucoup ma belle - sœur, des nouvelles de Malou et de de son frère m'auraient d'avantage fait plaisir. Malheureusement, je n'en recevais jamais. J'avais déjà essayé d'en envoyer une pour savoir si ils me répondraient, mais je savais que ma nièce détestait écrire, et même si elle était adorable, je m'énervais de ne jamais avoir de réponse.

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