Chapitre 37B: juin 1788
André était à présent tiré de sa maladie et il ne pouvait plus rester, à sept ans passés, sans faire d'études. Marie-Camille m'avait proposé de l'envoyer étudier chez les jésuites, pendant quelques années, pour qu'il puisse avoir plus tard une formation. J'avais donné mon accord, le cœur endolori, en connaissant la difficulté qu'avait toujours connu André pour se détacher de moi. L'enfant avait beaucoup pleuré lorsque je lui avais fait part de notre décision, mais c'était pour son bien, et cette fois, j'en étais sûre, il partirait. Marie - Camille, voyant mon désarroi devant la tristesse de mon petit garçon, m'avait proposé qu'il parte le jour de ses huit ans, pour qu'il grandisse un peu avant son grand saut dans la vraie vie. Bien sûr, j'avais accepté, soulagée de pouvoir retarder ce moment douloureux.
Par une journée ensoleillée de juin, alors que nous nous occupions dans le salon, Jacques arrangeant une étagère bancale près de l'entrée, Gustavine arriva en trombes, comme si elle venait d'être prise d'une crise d'angoisse. Étonnées, nous nous levions avec Marie-Camille. Gustavine tenait dans ses mains la page froissée d'un journal, et si son beau-frère Jacques n'avait pas été là pour la retenir, elle se serait effondrée par terre. Ma belle-fille, assise sur le parquet, hoquetait, en sanglotant, serrant le journal.
—'' Il est... Il est parti...
Marie - Camille ordonna qu'on lui apporte un verre d'eau. Nous l'assîmes sur une chaise.
—'' Pourquoi Étienne aurait-il donc fait ça?
Je récupérais le journal de ses mains. En lisant, je cru comprendre.
—'' Aujourd'hui, à Grenoble, se tenait la journée des Tuiles, en soutien du Parlement du Dauphiné. Étienne à dû s'y rendre, mais du côté républicain.
—'' Oh Seigneur... Mon fils...
Cette fois, c'est Marie-Camille qui manqua de tomber. Je tentais de questionner Gustavine.
—'' Est-il parti ce matin?
—'' Non... Hier soir...
—'' Vous ne l'avez pas vu quitter l'appartement?
—'' C'est que... C'est que je dormais... Il était tard...
Toute la semaine, nous attendîmes le retour d’Étienne, pour lequel son épouse se faisait un sang d'encre. Lorsqu'il réapparu le matin du quinze juin, après avoir passé toute la semaine chez nous, elle lui sauta dans les bras, en l'embrassant.
—'' Tu es revenu...
—'' Nous allons aller vivre a Grenoble. Tous les deux. Cela te fait plaisir?
—'' Est - ce une plaisanterie ?
L'homme se raffermissait et fixa son épouse dans les yeux. Nous étions déjà tous au courant.
—'' Non. Il y a là-bas des associés qui m'attendent pour monter leur cabinet près du Palais du Parlement. Ainsi, ce sera plus simple pour aller manifester. J'ai déjà visité notre nouveau logement, pendant mon séjour là - bas.
Gustavine, énervée, repoussa les bras de son mari et alla s'enfermer dans la chambre en claquant la porte derrière elle. Étienne me regardait, pensant sans doute que ce déménagement aurait fait plaisir à sa femme. Marie-Camille, dévisageant son fils, allait tenter de désamorcer la situation. Doucement, elle frappait à la porte, et sans attendre de réponse, elle pénétra dans la chambre. Quelques minutes plus tard, Gustavine en sortit, le mouchoir à la main, accompagnée de sa belle - mère. Leur départ était prévu pour cet été, mais Étienne disait que si son épouse ne voulait vraiment pas quitter sa belle-famille, il partirait sans elle, jusqu'au moment où elle accepterait de le rejoindre.
Après maintes négociations et promesses de visites à la famille, Gustavine accepta de suivre son époux à Grenoble, grande ville située à six journées de voiture de la capitale. Ils quitteraient donc Paris à la fin du mois de septembre, quand l'hiver aurait pointé le bout de son nez, et qu'il ferait moins chaud.
Étienne suivait de près les nouvelles de ce journal normalement censuré qu'il ramenait chaque soir de son cabinet, s'informant de telle ou telle réunion, de telle ou telle manifestation. Gustavine se fichait bien de tout ces tracas, elle disait ne rien comprendre au Parlement et à cette histoire de République, ce qui énervait son mari qui tentait souvent de lui expliquer, schémas griffonnés sur une feuille à l'appui.
Autour du souper, Étienne, qui était notaire, nous racontait souvent les histoires d'héritage qu'il devait régler, comme cette jeune veuve de dix-sept ans dont le mari venait de mourir après cinq mois de mariage en laissant plusieurs milliers de livres sur son compte, dont elle n'avait rien pu toucher, conformément à la loi que respectait scrupuleusement Étienne. Elle avait fini par se pendre, dans la misère et complètement désespérée. Une autre fois, c'était moins dramatique, c'était un vieux mendiant apparemment sans famille auquel Étienne avait révélé qu'il hériterait une petite fortune d'un de ses ascendants qu'il n'avait jamais connu. L'homme l'avait embrassé, et s'était acheté un appartement pour finir ses vieux jours, où il était mort au bout de deux mois et demi, sans avoir pu beaucoup en profiter.
Mon fils s'interrogea lorsque la minette de Marie-Camille disparu subitement avec ses petits. En fait, de façon à éviter une invasion, Jean-Charles l'avait noyée avec ses chatons dans un seau d'eau, avant de les faire enterrer par un domestique. André n'avait pas trop insisté tant qu'il avait pu garder le chat que lui avait offert son beau-père, pour lequel il avait beaucoup d'affection.
C'est ce mois de juin que la grande famine commença. Dans les journaux qui n'avaient pas été censurés par le Roy, qui ne permettait plus beaucoup de publications en ce moment, il était dit que les récoltes de blés étaient absolument catastrophiques, et que Paris manquerait bientôt de pain. Si nous avions des réserves, le problème était le peuple, qui, si il y avait vraiment une famine, viendrait mourir en masse devant notre porte.
Le blé était devenu si rare qu'on fabriquait le pain avec de la sciure de bois, qui lui donnait un goût atroce et une texture dure et craquante sous la dent. La domestique nous en avait ramené une miche pour que Jean - Charles se rende compte de la misère que créait le Roy. Il avait goûté un bout avant de recracher, tant c'était immonde, sans pour autant lâcher son idée que la monarchie était une bonne chose pour le peuple. Il disait que le mauvais temps n'était pas de la faute de la monarchie et qu'elle ne pouvait pas nourrir le peuple.
Je ne m'étais jamais rendue chez Gustavine et son mari et cela n'arriverait pas puisque Étienne rendait les clefs de leur location au propriétaire à la mi-juin. Ils habiteraient chez ses parents pour quelques temps, en attendant la fin de l'été pour partir.
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