Chapitre 37G: janvier 1788
Ma belle-fille lâcha la main de son mari et quitta la table en renversant son assiette d'un coup de main. Elle le pointait du doigt, en plissant ses yeux accusateurs.
—'' C'est de ta faute si j'ai perdu l'enfant ! C'est de ta faute tout ça ! Dégage de ma vie espèce de sale égoïste ! dégage ! dégage ! Criait-elle en se débattant des bras de sa belle-mère qui tentaient de la maintenir.
Plus tard, depuis mon lit, j'entendais Marie - Camille parler a son fils dans le salon.
—'' Étienne... Pensez un peu à votre femme... Vous êtes marié maintenant... Vous devez vivre avec elle. Elle souffre énormément de vos longues absences. N'avez-vous pas envie de fonder une famille et de vivre enfin en paix?
—'' Ce n'est qu'une question de temps maman. Quand le Roy sera mort, dans très peu de temps, nous nous installerons près d'ici dans un appartement à nous deux et vous n'entendrez plus jamais parler de cette histoire. Je peux comprendre que Gustavine soit énervée, mais je dois défendre mes opinions. C'est comme ça.
Leurs relations étaient tendues, mais le soir, Marie-Camille parvint tout de même à convaincre Gustavine de dormir avec son mari. Étienne partit le surlendemain, après avoir quelque peu calmé ses heurts avec son épouse qui n'allait quand même pas jusqu'à lui accorder un baiser, mais qui parvenait un peu à relativiser.
Dans les jours suivants, Marie-Camille, son époux et moi furent pris d'un mal qui nous cloua au lit, comme Gustavine qui, elle, était malade de violentes nausées et de maux de ventre qui la pliait en deux. Les domestiques n'y échappèrent pas, ce qui rendait les tâches ménagères difficiles a effectuer, mais elles devaient être faites malgré tout. Quand au bout de deux jours, tout le monde était a peu près remis, ma belle-fille continuait de ressentir ce mal, me posant des questions bien sûr légitimes.
—'' C'est étrange, je ressentais la même chose en octobre, lorsque j'étais enceinte. Vous croyez que je suis prise?
—'' Si c'est le cas, ne dites rien. Attendez la fin de votre grossesse pour vous réjouir. Vous avez bien vu...
Peu de temps après, une lettre arriva qui, expliquant brièvement la situation, me demandait d'aller chercher André qui ne se faisait pas à l'endroit où il était depuis maintenant six semaines, mangeant a peine et me réclamant toute la journée. La discussion le soir venu lors du souper était toute trouvée, fallait-il ou non que j’aille chercher mon petit garçon ou bien, comme me le conseillait Marie-Camille, le laisser là-bas pour qu'il s'habitue?
—'' Il s'y fera Louise. Il n'a pas d'autres choix.
—'' C'est que je n'aime pas le savoir malheureux, je dois lui manquer. Il est là-bas depuis six semaines et je suis sûre qu'il ne s'y fera pas. Il faut que j’aille le rechercher.
—'' Si vous faites cela, plus jamais il n'acceptera d'être séparé de vous. Lui apprendre la frustration d'être séparé de sa mère fait parti de votre rôle Louise, comment fera t-il une fois adulte?
—'' C'est encore un enfant. Il est très jeune et si il n'arrive pas à m'oublier, c'est qu'il a encore besoin de moi. Je suis persuadée que si je n'y vais pas, il m'en voudra.
—'' Dites moi Louise. Vous n'avez toujours eu que deux enfants?
—'' Non. J''en ai mis au monde cinq dans ma vie. Le Seigneur m'en a arraché trois, mais j'ai fait mon deuil. J'ai toujours été proche de mes enfants, mais surtout d'André, mon quatrième fils, le seul que j'ai allaité.
—'' C'est donc pour ça. Vous avez trop peur de le laisser partir, de le perdre lui aussi. Je comprend, mais tous ces drames ne sont pas de sa faute et il doit apprendre à vivre sans vous. Réfléchissez a ça. D'accord?
Le lendemain, prise de remords, je m'en allais accompagnée de Marie-Camille voir mon fils, pour couper la poire en deux, ne pas le ramener mais aller lui expliquer pourquoi il était important qu'il reste là-bas. Ce fus une idée chaotique puisqu'il refusa de quitter mes bras, et le frère dû le ramener avec les autres garçons en essuyant les coups de pieds et ces ongles qui lui lacéraient la peau. Prise de profonds remords, je lui avais fait beaucoup de peine en lui laissant croire qu'il rentrerait.
Ma mélancolie laissa place a une grande joie lorsque Gustavine me confia qu'elle était sûre d'être de nouveau enceinte.
Nous savions qu'a un moment où un autre, nous devrions fuir, mais nous retardions ce moment et finalement, c'était au début du mois d'avril que Marie et son frère Jacques, en observant l'immeuble d'en face, avait aperçu de la fumée qui s'échappait des fenêtres. Les révolutionnaires, que l'on observait en plus grand nombre chaque jour, avaient incendié en y jetant une torche cet immeuble qui abritait des gens de la moyenne bourgeoisie comme nous et des nobles, au dernier étage. Jean-Charles et son fils Jacques, après nous avoir crié de nous sauver, se dépêchèrent d'aller aider les hommes a éteindre l'incendie qui se propageait, c'était épuisant pour eux, il leur fallait faire une chaîne humaine depuis la Seine pour tenter d'étouffer les flammes en balançant des seaux d'eau.
Dans la panique, nous fîmes un baluchon avec quelques affaires, et nous quittâmes l'appartement dont l'escalier fumait déjà, avec Gustavine, Marie-Camille et ses petits-enfants Jacques, Pierre et Marie. Dans la rue, c'était le chaos, des hommes aux joues noires de suie couraient dans tous les sens, dont un bouscula au passage le petit Pierre, complètement apeuré, qui tenait pourtant fermement la main de sa grand-mère. Gustavine me suivait avec Jacques, son neveu de sept ans, tandis que je tentais de ne pas perdre Marie dans la cohue. Les rues pourtant pavées étaient couvertes de boue a cause de l'eau que l'on jetait a torrents pour éteindre les incendies qui se mélangeait a de la terre.
Au bout d'un certain temps, en regardant derrière moi, je m'apperçu que Gustavine cherchait son souffle, épuisée. Je criais alors a Marie-Camille de s'arrêter, pour lui permettre de reprendre sa respiration. Elle s'assit dans un coin en se tenant le ventre, prise de nausées sans doute dues à sa grossesse, j'éloignais un peu Jacques.
—'' Tout va bien aller. Ne vous inquiétez pas.
—'' Vous imaginez que c'est à cause de gens comme Étienne que nous risquons en ce moment notre vie? J'ai épousé l'homme qui est en train de me tuer.
—'' Allez, calmez vous. Il fait cela pour nous, pour que nous retrouvions nos droits.
Nous errâmes ainsi jusqu'au soir, passant des quartiers aisés incendiés a celui des pauvres qui s'entassaient dehors ou dans des logements minuscules, en vantant malgré la révolte les mérites de leurs rares légumes, en pillant les boulangeries ou en égorgeant le cochon qui poussait des cris insupportables. Ma belle-fille, qui traînait derrière nous, trébucha sans doute de fatigue, et elle tomba a plat ventre, le visage dans la boue. Je la relevais en lui essuyant comme je le pouvais la figure, et je tentais de la soutenir jusqu'à ce que sa belle-mère trouve un endroit où se reposer. Nous trouvâmes à Paris un petit hôtel où nous passâmes la nuit après avoir bu une claire soupe. Le lendemain, malgré les importantes douleurs de Gustavine, nous repartîmes, et c'est par le plus grand hasard que nous croisâmes Étienne, au détour d'une rue, sans doute en train de se cacher. Devant son épouse, qui marchait littéralement pliée en deux, il s'inquiéta.
—'' Seigneur qu'as-tu? T'a t-on fait du mal?
Je répondais a sa place.
— '' Elle est fatiguée, elle n'en peut plus. Ils ont incendiés l'appartement. Nous errons depuis hier matin. Il lui faudrait un endroit où se poser véritablement.
—'' Je vais la conduire jusqu'à mon repère. Louise, vous viendrez avec nous. Je suis désolé maman mais un trop plein de personnes risquerait de nous faire débusquer. Restez avec les enfants. Je vous trouverai une solution, ne vous inquiétez pas.
Annotations
Versions