Chapitre 38B: mai - août 1789
Ce soir - là, nous veillions avec Marie–Camille et Gustavine près de la cheminée, lorsque ma belle– fille se leva pour nous souhaiter le bonsoir. Une demie – heure plus tard, je montais moi aussi me coucher, en passant devant sa chambre. Voulant savoir si elle dormait, j’entrebâillais la porte. A mon étonnement, le grand lit aux draps blancs était vide. J'aurais bien sûr pu ignorer ce détail et aller me coucher sans m'inquiéter, mais ma curiosité avait toujours été mon plus vilain défaut. Arpentant l'étage de la maison, je m'assurais au passage que les enfants dormaient bien, avant de redescendre pour demander à Marie – Camille si elle avait revu sa belle – fille depuis le moment où elle était montée.
—''Je ne l'ai pas revue non. Avez–vous demandé à Jacques ?
—''Non, j’ignore ce qu’il est advenu de lui depuis le souper.
—''Retournez vous coucher Louise, ils ne doivent pas être loin.
Je montais donc dans ma chambre, la tête embuée de questions, sans me douter un instant de ce que je découvrirais. Marie–Camille avait raison. Ils n'étaient pas loin. Lorsque j'allumais la bougie, je les voyais, tous les deux, nus dans le lit de Jacques. Gustavine rabattit la couverture sur elle pour cacher sa poitrine, Jacques me fixait, étonné.
Profondément choquée de les avoir surpris en flagrant délit, je m'approchais de la jeune femme en lui assénant une belle gifle.
—''Rhabillez-vous et sortez de ma chambre.
—''Je vous en prie, ne dites rien à Marie–Camille...
—''Sortez de ma chambre.
—''Je ne peux pas... Je suis nue...
—''Si vous avez assez peu de pudeur pour tromper votre mari avec son propre frère, vous en manquerez aussi pour aller chercher votre peignoir. Dépêchez–vous de dégager!
Elle se leva d’un bond du petit lit en dévoilant son corps de femme, avant d'enfiler rapidement la robe de chambre qui traînait par terre et de se sauver de la pièce.
Je regardais maintenant Jacques avec des yeux ronds, lui reprochant sans aucuns mots ce qu'il venait de faire avec sa belle – sœur. Le jeune homme avait l'air mal a l'aise, nu dans ce lit devant moi. Je ne comptais rien dire à sa mère, car Gustavine n'avait pas de famille autre que nous, et si elle se faisait jeter dehors, c'était la misère qui l'attendait. En revanche, ils n'avaient pas intérêt de recommencer et pour cela, je les garderais à l’œil.
Le lendemain matin, Marie–Camille me demanda entre la poire et le fromage où étaient hier soir Gustavine et Jacques. Je lui répondais que j'avais mal regardé dans leurs lits et qu'en fait, ils dormaient. Pendant un certain temps après l'incident, je me demandais bien pourquoi Gustavine avait t-elle fait ça. Sans doute son mari était t-il parti depuis trop longtemps et avait t-elle trouvé ça doux de se réfugier dans les bras de son beau - frère pour se consoler de son absence.
La situation à Paris se détériorait avec des émeutes qui provoquaient des morts chaque jours, et de nombreux incendies, aussi nous craignions que l'absence d’Étienne ne se poursuive encore pendant de longs mois. Gustavine, de son côté, avait cessé de déprimer, au contraire, elle s’intéressait à la cuisine, venant goûter le travail de sa belle – mère, qui proposait d'essayer de nouvelles recettes avec le peu que nous avions sous la main. Sa nièce Marie avait en effet déniché dans le grenier un vieux livre de recette poussiéreux dont certaines pages étaient déchirées ou desquelles l'encre avait coulé du fait de l'humidité. Les quelques recettes qui subsistaient, une fois réécrites entre deux éclats de rire par la fillette qui tentait de déchiffrer ces mots, s'avéraient être délicieuses.
Le dimanche, comme Jacques, qui s'était récemment associé dans un cabinet de notaire a Rouen, ne travaillait pas, nous allions pique-niquer derrière la maison, à l'ombre de ce beau chêne que les enfants s'amusaient à escalader. Bien loin du tumulte parisien, nous étions heureux, menant notre petite vie paisiblement et sans prise de tête.
Le dimanche dix–neuf juillet, nous apprîmes que les émeutiers avaient, le quatorze juillet dernier, prit la Bastille, soit encore un pas vers l'abrogation de cette royauté. Lorsque Jean–Charles lul'article qui prenait toute la première double page du journal, nous sautâmes de joie et nous nous embrassâmes, heureux d'avancer vers la République, vers la liberté et les droits fondamentaux du peuple.
Nous arrivâmes en août, où, par une très chaude après–midi où tout le monde s'était réfugié a l'intérieur, dans la fraîcheur préservée des pierres qui bâtissaient l'endroit, se garait une voiture près de celle de Jacques. De ma fenêtre, en dégageant un peu le rideau pour ne pas qu'il me voit, je pouvais l'observer. Aussitôt que je l'avais reconnu, je courais chercher ma belle – fille. Arpentant l'étage, dévalant et remontant les escaliers par deux fois, je finissais par la trouver.
—''Votre mari est arrivé. J'en suis sûre, c'est Étienne.
—''Déjà ? S'exclama t-elle l'air déçu, avant de descendre pour aller ouvrir la porte à son époux.
Le retour d’Étienne était pour la famille comme une libération, une joie immense pour ses parents qui s'étaient fait tellement de souci. Gustavine, elle, avait l'air triste, sans doute pensais t-elle qu'il rentrerait plus tard, ou même, qu'il ne reviendrait pas. En fait, je crois qu'elle s'était habituée a son absence et que son retour perturbait son quotidien.
Le soir venu, Étienne nous raconta, autour du souper, ses grandes victoires et la vie à Paris, devenue hostile. Les enfants, curieux, lui posèrent toutes sortes de questions, dont il avait l'air assez fier de répondre. André, d'ordinaire plutôt taiseux, lui demanda si il s'était servi d'une baïonnette, et lorsque Étienne lui raconta ce qu'il avait fait avec, mon fils resta pendu à ses lèvres, émerveillé de voir cet homme, en quelque sorte son beau–frère, revenir avec tant de choses à raconter sur ce qui s'apparentait pour lui à une guerre.
Son épouse quant à elle faisait la moue, tournant sa cuillère dans son assiette frénétiquement, ne touchant pas à sa soupe devenue froide. Elle finit par se lever de table en pliant sa serviette.
—''Excusez–moi.
Son mari se leva alors lui aussi pour aller voir si tout allait bien. Dix minutes plus tard, il vint se rasseoir en nous rassurant.
—''Elle est fatiguée. Rien de grave.
Le dimanche neuf août, Étienne explosa de joie, en lisant dans le journal que lui et ses comparses, en se battant pendant de longs mois, avaient le quatre août dernier obtenus l'abolition des privilèges et des droits auparavant accordés aux nobles. Il cria en brandissant le journal, trop heureux de ne pas s'être battu pour rien. Nous riions avec lui, notre vie allait changer.
A partir du début du mois de septembre, pour Gustavine les linges blancs que l'on étendaient un dimanche par mois après la lessive restèrent au placard. Elle me l'annonça alors que nous nous trouvions toutes les deux seules au salon.
—''Et voilà Louise, je crois que c'est reparti.
—''C'est vrai ?
—''Oui, le début d'une longue bataille.
Je lui prenais la main.
—''On va essayer de le garder celui – là. Hein ?
Elle était de nouveau enceinte et elle se rongeait les doigts d'inquiétude, car même si elle avait vécu sans traumatisme ses deux précédentes fausses–couches, elle risquait à chaque fois l'hémorragie fatale.
Annotations
Versions