Chapitre 39E: février 1791
Je craignais que dans la naïveté de sa jeunesse, Auguste ne l'épouse et le regrette ensuite. Sachant que le mariage était rendu indissoluble par l’Église, il risquait de souffrir de son mauvais caractère jusqu'à la fin de sa vie.
Malou s'installa dans le lit près de celui d'André et le soir, à la lueur de la bougie, nous jouâmes tous les trois à la bataille, assis sur nos couches rapprochées pour l'occasion. Sur le jeu de cartes, j'avais remplacé la tête du Roy par des figures comme Robespierre ou Danton découpées dans les journaux. Nous ne pûmes terminer la partie puisque mon petit André s'endormit avant, la tête sur mes genoux.
Le lendemain, avec Malou, nous nous occupâmes du petit prince de ce foyer. Après son bain qu'il prenait désormais quasiment seul, André eu le droit à une magnifique coupe de cheveux par sa cousine, aux coups de ciseaux aguerris, qui laissa tomber les longues mèches blondes devant ses yeux. Je lui coupais les ongles, et nous allâmes après le dîner lui acheter une nouvelle tenue aux boulevard qui n'étaient pas loin de l'appartement. C'était difficile pour lui de marcher longtemps à cause de ses jambes qui avaient tendance à se tordre et à le fatiguer, c'est pourquoi nous nous dépêchâmes. Les passants tournaient la tête lorsqu'ils voyaient Jeanjean qui se déplaçait avec difficulté, mais ils souriaient lorsque l'enfant essayait de courir, situation assez cocasse. De son côté, lui en riait.
Malou recevait souvent des lettres de son frère aîné et c'est ainsi qu'elle apprenait avant tout le monde les dernières nouvelles.
—''Oh Louise, la fiancée d'Auguste est partie. Je m'approchais de ma nièce qui lisait la fin de la lettre.
—''Que vous dit-il?
—''Il me dit que Jeanne l'a quitté et qu'il est inconsolable.
—''Eh bien demandez lui de passer nous voir. Dans ces moments-là, il ne vaut mieux pas rester seul. A t-il une voiture ?
—''Oui je crois qu'il en a acheté une récemment. Mais connaissant mon frère, il ne viendra pas.
—''Pourquoi donc cet état d'esprit Malou?
—''Il aurait trop peur de déranger. Et puis vous savez, il est un peu comme ça. Il n'aime pas être au centre de l'attention mon frère. Il a passé toute son enfance tout seul et énormément sollicité par papa, je pense qu'il en a souffert.
Effectivement, Auguste finissait par tourner la page tout seul et sans jamais venir nous voir. Sa sœur le connaissait trop bien pour se tromper là-dessus.
Alors qu'il ne l'attendait plus, une heureuse surprise arriva un matin de fin mars pour André. J'embrassais mon fils aux boucles dégoulinantes à cause de la pluie qui battait dehors, et je le prévenais, non sans dissimuler de quelconques reproches.
—''André risque de piquer une crise de joie intense. Nous vous attendons depuis des semaines. Bon, entrez vous sécher.
Je hélais Jeanjean depuis l'entrée, pendant que Léon – Paul se séchait les cheveux.
—''Jeanjean ! Une surprise pour vous !
Mon fils arriva dans le salon le nez plongé dans la Bible pour laquelle il s'était pris d'un grand intérêt depuis quelques jours.
—''Qu'y a t-il... André levait le nez. Léon – Paul ! Cria t-il en courant vers son frère.
Léon – Paul embrassait son frère en lui caressant les cheveux.
—''Tout va bien ici ?
—''Oui. Vous m'avez manqué. Combien de temps restez-vous ?
— ‘’ Êtes-vous déjà pressé de me voir partir ? Je retourne à la Faculté ce soir.
Il nous raconta sa vie à la Faculté et nous parla des cinq ans d'études qu'il lui restait avant de pouvoir véritablement exercer en tant que médecin et véritablement vivre de son métier. André lui montra notre chambre, assez fier, et fit promettre à Léon-Paul de très prochainement revenir nous voir.
Un soir, au chaud sous mes couvertures, je me disais intérieurement que mon fils n'avait pas été malade depuis déjà quelques temps. Regrettant rapidement mes pensées, je craignais qu'elles ne me portent malheur. Soulagée le lendemain lorsque André se leva en pleine forme, je l'étais moins deux jours plus tard, une nuit.
Ses plaintes me tirèrent de mon sommeil déjà peu profond. Tâtonnant pour trouver la lampe, je l'allumais de façon à distinguer le lit de mon fils, en essayant de ne pas réveiller Malou.
En m'approchant du visage de mon petit garçon, et en passant ma main sur son front, je réalisais qu'il avait très chaud. Je l'extirpais donc du lit pour l'emmener dans le salon et évaluer son mal. Je le portais malgré mon mal de dos persistant, pour aller profiter de l'éclairage public en m'approchant de la fenêtre du salon. Quand je l'asseyais sur le canapé, il se couchait, trop fatigué.
—''Oh mon loulou... Je sais que vous n'êtes pas bien mais il faut me dire où vous avez mal.
Comme réponse je n'eut que des râles. La pièce était sombre mais je pouvais distinguer ses joues rendues rouge écarlate par la fièvre. Craignant qu'il ne convulse, je le déshabillais pour le rafraîchir, en priant pour qu'il reste de l'eau dans les seaux que nous avions été remplir la veille au puits avec Malou. En allant chercher un gant de toilette dans la chambre, je m’apercevais que ma nièce s'était réveillée, sa bougie allumée. Assise sur son lit les yeux dans le vague, elle paraissait inquiète. Je tentais de la rassurer.
—''André a beaucoup de fièvre mais tout va bien se passer. Essayez de vous rendormir.
—''Je ne peux plus dormir. Je vais vous aider, dites-moi ce que je dois faire.
—''J'insiste Malou. Vous serez fatiguée demain. Allez, dormez.
Après avoir trempé le gant dans ce qui restait d'eau dans le seau, je le passais sur le corps puis le visage de l'enfant pour l'aider à s'apaiser. Par la suite, je lui enfilais sa chemise de nuit et je le serrais très fort dans mes bras pour qu'il ne s'inquiète pas. Une fois apaisé et que je fus rassurée de savoir qu'il n'avait pas envie de vomir, je le déposais sur son lit après avoir retiré les couvertures.
Je me recouchais avec difficulté, prise d'angoisse de revivre la nuit du départ de Simon, mon petit ange envolé à sept mois, il y a déjà dix-sept ans.
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