Chapitre 42C: juin 1793

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Comme Gustavine devait rentrer chez elle pour un léger souci personnel à régler, c'est Malou qui me raconta ce mariage. Il ne s'était rien passé d’exceptionnel, à part que, d'après ma nièce, la mariée était laide. Pendant que je débarrassais la table après notre repas, elle me faisait une confidence.

—''J'ai rencontré quelqu'un.

—''Est-ce vrai ?

—''Oui. Ce matin, au mariage. Il s'appelle Armand.

—''J'espère que vous avez son adresse. Je regardais ma nièce avec des yeux inquisiteurs.

Elle s'approchait de moi en tournant son doigt sur la table.

—''Bien sûr... Il est très gentil.

—''Qui de sa famille se mariait?

—''Oh, ça je n'en sais rien... Il veut qu'on se revoit.

—''Vous avez presque vingt-trois ans, ce n'est plus à moi de vous dire ce que vous devez faire ou non. Et puis, un rendez – vous, ça n'engage rien ni personne.

Durant l'été, Malou rendait plusieurs fois visite à ce certain Armand. Si elle refusait encore de me le présenter, d'après elle, il était adorable.

En attendant, j'avais l'impression de l'avoir perdu. Alors qu'elle aurait sans doute fait un beau cadeau à Bernadette pour son premier anniversaire, le seize août, elle ne pensait qu'à lui, en rêvant sans doute à ses bras. Alors qu'elle se serait fait une joie de lui faire faire ses premiers pas, ou de cuisiner les tomates farcies avec Jacqueline, qui parlait maintenant, elle préférait rester allonger sur son lit, la tête dans les nuages. Quand je lui en voulais un peu trop, je pensais à mon amour de jeunesse et je m'apaisais dans mon esprit.

En septembre, Malou apprit avec étonnement qu'Armand vivait en réalité à Bordeaux et qu'il devrait rentrer chez lui pour continuer son travail d'architecte. Comme elle était toute chagrinée de devoir quitter cet homme dont elle était tombée amoureuse, je me reposais pour la consoler sur les promesses qu'il lui avait faites, comme quoi il reviendrait à Paris à la fin de l'année pour la retrouver. J'en savais un peu plus sur cet homme, considéré comme un des plus grands architectes de la région Bordelaise. Armand Corcelles avait vingt – huit ans, et une excellente situation financière. Si j'aurais dû m'inquiéter pour ma nièce, ce n'aurait certainement pas été pour les problèmes d'argent de son amoureux, qui, je le pensais, deviendrait rapidement son fiancé.

Le seize octobre, suite à l'énoncé du verdict après un procès vite expédié, nous sûmes par un crieur de rue que Marie – Antoinette, veuve de notre cher Roy, était condamnée aujourd'hui à mort par décapitation, place de la Grève, et que l'exécution aurait lieu vers onze heures. Nous nous y rendîmes donc, avec Malou, Gustavine et ses deux filles, dont la petite dernière, âgée de quatorze mois, marchait bien maintenant. Une foule immense se pressait depuis une heure pour être aux premières loges de ce spectacle sanglant, aussi Gustavine fermement Jacqueline par la main, pendant que Malou, plus vaillante que moi qui souffrait du dos, portait Bernadette. Lorsque la condamnée aux cheveux blanchis arriva, Gustavine fit monter Jacqueline sur ses épaules, pour qu'elle puisse y voir un minimum.

L'exécution se déroulait dans un capharnaüm époustouflant, on lançait des tomates et des œufs sur la pauvre veuve qui, la tête baissée, fixait le bois de l'échafaud en tremblant. On l'allongea, les mains liées derrière le dos, puis après que le bourreau ait jeté un dernier regard à la foule en délire, il actionna la guillotine, qui en l'espace d'une demie - seconde, fit trépasser la pauvre dame, dont la tête, sanguinolente, tomba dans un panier d'osier placé ici exprès. C'était terminé. Les gens, surtout des hommes, hurlaient leur victoire pendant que nous rentrâmes tranquillement chez nous. Jacqueline ne posa même pas de question, sur ce qui venait de se passer sous ses yeux. Elle devait être encore un peu jeune.

Par le froid matin du quinze novembre, arriva chez nous une petite lettre enveloppée dans un papier blanc, adressée à Mademoiselle Marie-Louise Meursault. Je lui apportais, avant de retourner à mes occupations. Cinq minutes plus tard, Malou vint me voir, le papier déplié à la main, et elle m'enlaça.

—''Vous croyez qu'il m’appellera Tante Malou ?’’

—''Seigneur... Est-ce vrai ?’’

—''Oui. Lisez, mais il n'y a pas beaucoup d' informations.’’

Je m'empressais de lire le faire part de naissance de mon petit - neveu.

'' Monsieur et madame Meursault vous annoncent la naissance de leur fils, le quatre novembre 1793. L'heureuse accouchée et l'enfant se portent bien. ‘’

Folle de joie, je lui promettais de faire au plus vite pour que l'on puisse aller leur rendre visite. Malou spéculait sur le prénom donné au nouveau-né. Elle me promit une pièce si il s'appelait comme son père, alors que je pensais plutôt à un prénom Biblique, comme Jean, André ou Pierre.

Deux jours plus tard, nous apprîmes l'existence d'un curieux décret, dans la gazette du dix-sept novembre. Des parlementaires venaient de signer une loi anti6vouvoiement, car selon eux, seul le tutoiement permettait de ne pas faire de distinctions entre les hommes selon leur classe sociale. Je trouvais cela d'un ridicule fou, et cela ne m'empêcherait pas de continuer à vouvoyer ma nièce et mon neveu, ma belle – fille et mes fils, qui n'avaient, dans leur éducation, jamais connus rien d'autre.

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