Chapitre 47C: juin - décembre 1798

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Le vingt – sept juin, lorsqu'ils rentrèrent, les jeunes mariés avaient l'air heureux et réconciliés. Autour du souper, en arrachant des morceaux de pain qu'elle trempait dans sa soupe, Marie me racontait leur escapade, la grande plage de galets, leur petit hôtel d'où ils avaient une vue sur la mer, les couchers de soleil, les mouettes, les pêcheurs et le vent frais qui changeait de la chaleur stagnante ici.

Mon fils avait peut-être trouvé dans le centre-ville de Rouen un appartement qui nous conviendrait. Je lisais la lettre du notaire, et la description du logement :

'' A vendre ou louer, rue Michel Montaigne, app. 1 cuisine / 2 chambres / 1 salon. Meublé. 80 francs/mois ou 1300 francs pour un achat. Si intéressé, écrire à maître Martin, 2 boulevard Napoléon 1er, Rouen ''

—''Allez – vous lui écrire ?

—''Je pense. Sans omettre de lui demander de revoir à la baisse le prix de location.

—''Vous croyez qu'il acceptera ?

—''Si je suis intéressé pour acheter ensuite, ce sera dans nos intérêts communs. Après si il ne veut pas, j'irais voir ailleurs, tout simplement.

—''Et... que représentent pour vous 80 francs par mois ?

—''Trois fois mon salaire actuel. Mais ce n'est pas un problème de ne presque rien gagner, car ici rien n'est cher. Devinez combien je paye tous les ans pour le loyer de la maison?

—''Je n'en sais rien...

—'' 90 centimes.

J'hallucinais. Le coût de la vie étant proportionnel au salaire engrangé chaque mois, en allant vivre à Rouen, notre niveau de vie ne changerait donc pas. C'était pour ça que je me demandait la raison de ce déménagement. Mais mon fils voulait surtout voir reconnu son diplôme, en allant travailler à l'hôpital de Rouen et en fréquentant de grands médecins et chirurgiens, pour améliorer ses connaissances.

Le samedi, j'allais au marché avec Marie, qui était de bonne compagnie et le dimanche, c'était au bras de son homme qu'elle se rendait à la messe. Sa famille venait souvent dîner chez nous, et parfois, les belles – sœurs de Léon – Paul étaient accompagnées de leurs maris. Un jour que nous allâmes manger chez eux, nous vîmes même le mari et la fille de treize mois de Guillemine, qui venait d'être sevrée pour cause de nouvelle grossesse de sa mère. La situation restait ainsi jusqu'à un dimanche de septembre, où Léon – Paul partait en vitesse à Rouen pour négocier le prix de l'appartement rue Montaigne que le propriétaire venait de retirer de la location et éventuellement signer l'acte de vente chez le notaire. Lorsqu'il rentrait, vers neuf heures et demie du soir, nous jouions aux cartes à la lueur de la bougie. Il embrassait sa femme avant de poser son chapeau, s'attabler, et héler la domestique.

—''Mariladom !

Elle arriva précipitamment.

—''Oui monsieur ?

—''Veuillez m'apporter du pain et du fromage je vous prie.

—''Bien monsieur.

Nous le regardions pendant qu'il mangeait, curieuses de connaître les résultats de cette négociation.

—''Alors? Nous allons partir à Rouen? Finissait par lui demander sa femme

Il termina sa bouchée avant de répondre.

—''Non, car l'appartement était déjà vendu lorsque je suis arrivé. En revanche, le notaire m'a conseillé de voir avec le propriétaire d'une maison à quelques minutes du centre – ville. Je lui écrirais. En attendant, je crois que nous passerons les fêtes de fin d'année ici.

J'allais me coucher déçue, car j'aurais vraiment cru que nous partirions d'ici avant la nouvelle année. Non pas que je détestais la campagne, mais qu'ayant toujours vécu en ville et entourée, j'avais l'impression ici d'être coupée du monde et surtout de ma famille.

Marie était enceinte. Elle l'avait annoncé un soir à son mari dans l'intimité de leur chambre et le lendemain, c'était Léon – Paul qui était venu m'en parler. J'étais heureuse, mais pas folle de joie car devenir prochainement grand – mère me faisait prendre conscience que je m'approchais inexorablement de la fin. En revanche, si tout semblait encore un peu flou pour le futur père, l'évidence était qu'il faudrait quitter le village avant l'accouchement. Il venait d'écrire au propriétaire de la maison que lui avait conseillée le notaire, et il attendait une réponse.

Il la reçu dix jours plus tard, mais ce n'était qu'un simple rendez – vous en lieu même donné le dimanche de la semaine suivante. Quand il réapparaissait après sa nouvelle escapade à Rouen, et qu'il nous rejoignait dans la cuisine, Marie détournait la tête de sa tarte.

—''Alors ?

—''On aura les clefs de la maison le 20 décembre à 20h. J'ai négocié le prix après l'avoir inspecté sous tous les angles pour chercher les défauts et j'ai été signer dans la foulée avec le notaire.

Les mains pleines de farine, elle l'enlaçait tendrement en écoutant ses paroles.

—''On va pouvoir accueillir notre enfant tranquillement à Rouen. Hein ?

Il lui baisa la joue avant de monter à l'étage. Marie était soudainement prise de violentes douleurs au dos et pendant que je m'en occupais, notre tarte carbonisait, se transformant en en chose si dure qu'on aurait pu en faire un dessous de plat pour poser les casseroles chaudes. L'odeur de brûlé restait incrustée dans les murs de la maison pendant des jours malgré l'aération, qui se devait tout de même limitée pour éviter la déperdition de chaleur du feu de cheminée dont les consommables coûtaient chaque hiver une fortune à Léon – Paul.

Le village était recouvert de neige, et les toits blancs, où on pouvait voir les traces de pattes des oiseaux qui s'y étaient aventurés. Il y avait une vieille femme dans le village qui donnait du lait chaud aux orphelins du village et aux chats errants. J'avais pitié lorsque je les voyais assis contre les murs en grelottant, mais je ne savais quoi faire. Elle les accueillait dans sa maison dont des morceaux de charpente avaient déjà manqué de l'assommer en tombant, et qui ne comptait qu'une pièce.

En plein milieu de cette nuit du six décembre, j'étais réveillée en sursaut par un vacarme assourdissant, suivi d'un silence de mort plutôt angoissant. Je me levais, tout le village devait se demander ce qu'il se passait. En tirant mon rideau, je ne voyais rien, si ce n'est le dos de l'église qui au moins, était toujours debout.

En voulant descendre par curiosité, je croisais mon fils en robe de nuit qui tenait une lampe à la main. Marie sortait de la chambre les cheveux réunis sous un bonnet et en se frottant les yeux, son ventre arrondi pointant sous son long vêtement blanc.

—''Que se passe t-il ?

Léon – Paul tourna la tête, avant de lui répondre.

—''Je n'en sais rien mais va donc te remettre au lit. Tu le sauras demain matin.

Sans plus insister, elle s'en retourna vers la chambre.

J'enfilais des chaussures, une veste et je suivais mon fils jusqu'à dehors, où, devant l'église, des dizaines de petites lueurs s'agitaient dans la pénombre. Le temps était glacial en cette nuit de décembre, et Léon – Paul, dont je percevais avec peine les contour du visage, s'approchait de moi.

—''Rentrons maman. Ça ne sert à rien de rester ici, regardez les un peu. Que peuvent t-il donc faire devant cette montagne de gravats, en pleine nuit. J'irais aider demain, mais en attendant, retournons au chaud.

C'était une chaumière qui s'était effondrée, mais nous n'en sûmes pas d'avantage jusqu'au lendemain. Après avoir avalé notre déjeuner, nous nous rendîmes avec Marie sur les lieux de l'accident. Il y avait tellement de monde qu'il était difficile de se frayer un chemin pour y voir plus clair, mais j’apercevais tout de même mon fils qui aidait à dégager les gravats et les poutres qui empêchaient de récupérer les corps. Ceux des enfants et de la vieille femme qui les protégeait, dont le toit avait en s'écroulant emporté les murs et écrasé ses occupants.

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