La loi de l'ombre

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Gabe marchait dans l'ombre d'un petit métro, sur le petit trottoir en dalles pavées de pierre du sol de Frésac, dans l'Hérault. Il répugnait les transports en commun, comme l'ombre qui l'engouffrait, à la façon que Lucky Luke la repoussait avec son Colt.

Passé le boulevard Oxford, et la Place Voltaire, il déplaça son walkman du sac Adidas qu'il portait en bandouillère sur son torse, vers ses oreilles, pour que les mélodies de Michel Berger se déplacent dans son tunnel complexe qu'était l'ouïe.

Il remonta la rue Présidente-Vacher, où les immeubles et les maisons se disputaient un loyer indiscutable, et des toits délabrés.

Gabe avait beau être commentateur à la radio et écrivain presque culte dans la capitale, il continuait de payer un loyer continuel à son ami et collaborateur Eddie, un diabétique alcoolique qui vivait dans le quartier. Un véritable enfer qu'il qualifiait d'impur pour une noblesse comme lui.

Il s'arrêta devant le numéro 12, pendant que son manteau s'envolait au rythme du vent et du thème musical. Eddie devait se trouver devant sa télévision, en train de s'enfiler sa troisième bière de la journée. Septuagénaire, le vieux Eddie devait être d'autant plus assoupi à cause du rythme des télés-achats de M6.

La sonnette répondit tout de suite lorsque Gabe appuya dessus. Mais personne ne sortit.

- Espèce de vieux shnoque..., grogna Gabe, dans une fureur dont il ne se croyait pas capable.

Quand il appuya à nouveau sur la sonnette, l'envie tordue de s'infiltrer dans la maison lui vint à l'esprit. Eddie dormait plus qu'un nouveau-né en pleine éducation. Comme lui à un mois.

(L'enfance, ah...Le meilleur moment de l'enfance...).

Une bruine épaisse commençait à tomber sur Frésac, et tout autour, l'odeur du diesel d'un bus empestait la rue d'Eddie.

Le pied trépignant d'impatience, Gabe sonna à nouveau en martelant la sonnette. Cette fois-ci les gonds de la porte d'entrée grincèrent, sans que rien ne se passe. Le souffle du vent s'arrêta, et Gabe se passa une main derrière la tête pour aplatir un épi inexistant.

Lorsque la porte se délesta de l'obscurité qui l'envahissait, Gabe n'aperçut aucune silhouette qui put reprendre les mêmes traits qu'Eddie. Il crut d'abord à une farce naturelle, lorsqu'il s'aperçut en abaissant le regard que c'était un tout petit garçon qui lui avait ouvert, plus petit qu'une jambe d'adulte, d'à peine un mètre trente si l'on en considérait encore des comme ç'a.

- Eddie...?

Le petit garçon semblait autant circonspect que lui. Et pourtant, tout autant étonné que lui, Gabe s'aperçut d'une autre chose : le garçon ressemblait vaguement au lui enfant, à l'ancienne version beaucoup plus petite de lui.

- Gabe...?

Gabe fixait le garçon comme s'il était un monstre venu de nulle part. L'enfant était sale et moins habillé que lui. Mais c'était le même lui d'il y a dix-sept ans, l'enfant qu'il avait été à sept ans...

Avant qu'il ne puisse dire quelque chose, Gabe fut interrompu par le garçon qui répondit d'une voix suraigue et enfantine, innocente soit-il :

- Je suis toi.

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