Chapitre X : Au bout du chemin
Enfin, le nabot m’annonçait une bonne nouvelle. Il avait su pendant notre trajet se tenir tranquille, sans rien ne dire d'inconsidérément stupide, même si j'avais cru à un moment démasquer un regard pervers qui ne pouvait tromper personne. Sans remarque superflue ni dégoûtante, peut-être avait-il su garder sa langue pour de meilleures occasions. Ou alors était-ce son intelligence hors du commun qui lui avait permis de se rendre compte de la gravité de nos états ?
Le fait était que nous percevions enfin un signe de vie, et que mes oreilles ne sifflaient pas. En relativisant, seul l'état d'Evi' était désormais préoccupant. Voire très préoccupant. Si encore elle était restée évanouie quelques temps sur le coup, soit. Cependant il était désormais question de grandes heures sans conscience. Était-ce là...
« Donc, quand dans votre ethnie, vous avez des rapports buccaux avec qui que ce soit, vous guérissez ? Interrompait-il mes songes. »
Il m'était impossible de savoir comment réagir à cette affirmation dénuée de sens. Premièrement parce que je ne savais pas de quoi il parlait, et deuxièmement si j'avais compris, cela avait sûrement une connotation perverse, donc cela ne méritait pas d'être relevé. Il me coupait net dans mes pensées, en plus. Une gêne s'emparait de moi ; cependant, je me demandais si je devais le cogner pour pallier à sa bêtise ou lui expliquer calmement.
« Qu'est-ce que cela doit être quand vous avez des rapports sexuels... Vous devez pouvoir vous faire repousser des membres entiers, non ? Me lâchait Tne'. Je serais heureux de voir ceci de mes propres yeux.
– Peux-tu te rapprocher de moi s'il te plaît ? Glissais-je d'un ton affaibli.
– Oui, bien sûr. Répondait-il en s'exécutant. »
Accompagnant sa parole de l'acte, maintenant Tne' était bien plus proche de moi, ne pouvant actuellement pas jouir d'une extrême mobilité, j'étais obligée d'attendre que le nain soit encore un tout petit peu plus près de moi, plus exactement, à portée de mon pied pour pouvoir lui en asséner un bon coup dans ses si petits mollets.
« Espèce d'abruti !!! Grognais-je. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre. Depuis quand un baiser soignerait qui que ce soit ?! Puis, ce n'était pas un baiser. Qu'est-ce que tu racontes !
– Tu as toi-même évoqué le nom de baiser, ne te mets pas en col... Il n'avait pas le temps de finir sa phrase, mon crâne allait se loger contre le sien.
– Tu en as eu assez, c'est bon ? Tu vas te calmer ? Puis je comprends pas ce que tu me racontes depuis tout à l'heure. C'est quoi en plus une « tnie » ?
– Quelle bourrine. Une ethnie. Me reprenait-il, en se massant la tête. C'est un groupe d'individus qui partagent des points communs, culturels ou physiques. Dans ton cas, ça serait cette passion démesurée pour le sang. En tout cas, c'est beau ce que tu fais pour Evi'.
– Oui, bah... Je ne savais pas trop quoi répondre. Nous serons quittes comme ça.
– C'en est à la limite du touchant. Elle s'est occupée de toi et tu as repris de l'énergie, et là tu la portes à ton tour pour l'aider. On dirait presque...
– Cesse de dire n'importe quoi. Je le coupais. Ce n'est pas l'amour, c'est le sang qui me donne toute cette force.
– Je n'ai pas non plus parlé d'amour, toi par cont... »
C'est ainsi que j'ai dû attendre quelques instants que Tnemesnap se remette de ses « émotions », car le second coup de tête fût un peu trop fort pour lui. Quelle tristesse que mes songes positifs concernant cette fille, aient éveillé l'incorrection du nain. Comme si, on ne pouvait pas simplement « rendre la pareille ». Ce n’est pas comme si… Je pensais aux lèvres d’Evialg et à ses yeux nacrés. Je m’énervais.
« C'est quand même incroyable que malgré une si petite taille, on puisse tant être casse-pied. Maugréais-je. Comme si c'était une vocation à part entière. C'est incroyable d'être aussi impu... insupu... Bref, d'être si pénible.
– Tu cherchais insupportable ? Balbutiait-il, encore un peu sonné, tandis que je le traînais au sol. Je peux marcher, hein !
– Tant mieux. »
Nous reprenions la route et arrivions enfin, en face de la lumière. Celle-ci marquait le début d'un petit sentier de pierres quittant ce chemin forestier. Il desservait une chaumière bien éclairée et à côté de cette dernière, une autre bâtisse, qui semblait être une grange. Le porche était illuminé par un brasero magique et de drôles de bruits provenaient du bâtiment plus rustique, il devait donc s'agir d'écuries et elles étaient occupées. Nous avions donc atteint enfin un lieu où il y avait de la vie, une auberge !
Nous avancions jusqu'au porche, nous questionnant du regard quant à ce qu'il en était de notre aspect. Seul un air étonné émanait de Tne'. Surpris et un peu bête quand même. Peut-être fallait-il dire que nous ne ressemblions pas à grand-chose, si ce n'est des à bouchers égarés, ainsi que leur victime, secouée comme un sac de légumes. Nous étions couverts de sang, de boue, de terre, de feuilles ; mes cheveux étaient un jardin à eux seuls... Et ma tunique était...
Ma tunique ! Je n'avais pas pris gare à mon état visuel ; pour ainsi dire, je m'étais concentrée sur Evialg, afin qu'elle ne tombe pas par inadvertance de mon dos. Pour le coup, je m'étonnais encore plus que Tne' n'ait pas fait une seule allusion ni même eu un seul regard obscène, constatant mon propre style vestimentaire, quelque peu... Dénudé. Je n'avais pas remarqué que mon plastron... N'était plus.
« Tu aurais peut-être pu ou même dû, m'avertir d'un "détail" mon petit ami. Soufflais-je sèchement.
– Ne nous emballons pas je te prie, je suis petit et peut-être ton ami, au grand peut-être ; mais je ne suis pas ton petit-ami. Et c'est quoi ce détail ? Que quand on est blessé, on saigne ? Félicitations. Grande décou...
– Non, abruti, ne me prends pas pour une souche.
– Une souche ? Il me regardait l'air surpris.
– Quoi ?! Tu as déjà vu une souche réfléchir ? Non ? Donc ne me prends pas pour une souche. Bref, tu comptais faire le voyeur longtemps ?
– Ah non, hein. Moi je n'ai rien vu, rien dit, rien pensé de quoi qu'il se passe, d'ailleurs, je ne pense p... Il semblait délirer, aussi, je le frappais d'un léger coup de poing sur le sommet du crâne.
– Tu ne t'arrêtes donc jamais ? Pas la peine de te défiler, je ne vous suis que depuis aujourd'hui, et pourtant, je sais que tu glisses de drôles de regard vers Evialg, et vers moi aussi ! Il se mettait à rougir. Hahaha et en plus tu y crois. Il y a minotaure sous sandalette décidément !
– C'est anguille sous roche, espèce d'écervelée... »
J'allais le frapper à nouveau. C'est en levant un peu trop vite la jambe que je sentis Evialg - toujours inanimée - glisser de mon dos et presque tomber par terre, ainsi que je vis les grands yeux de Tne', qui eux, vinrent finalement de constater le léger défaut vestimentaire auquel je faisais alors allusion. Détail venant d'apparaître à une distance d'un bras tout au plus du nabot.
Je devais l'admettre, la situation pour une fois me dépassait complément, j'avais rattrapé in extremis mon fardeau dans les vapes, ma poitrine se baladait à l'air libre depuis la fin de la journée. J'aurais pu hurler de rage pour réveiller tous les clients. J'aurais pu cogner suffisamment fort dans le nain ailé pour que lui aussi s'évanouisse et ainsi cesse de lorgner sur moi, mais j'aurais sûrement par là-même détruit la façade de l'auberge rien qu'avec sa projection. J'aurais pu aussi détruire toute l'auberge, tant j'étais excédée. Mais non. J'étais fatiguée, je laissais filer.
« Tnemesnap, aide-moi à caler Evialg sur mon dos, et sois gentil... Prête-moi de quoi me couvrir, et rentrons dans cette auberge, je meurs d'envie de dormir. Cela nous fera sûrement le plus grand bien.
– Ça sera tout ? Tu ne vas pas en profiter pour me frapper, une fois de plus ? Me demandait-il, incertain de son propre sort.
– Si c'est toi qui vas parler à l'aubergiste sans faire le pitre, j'oublie tout ce que tu as vu ce soir. Soufflais-je, consciente de céder un point d'honneur, mais tant pis.
– Tu ne dis pas ça pour me coller un pain gratuit, mine de rien plus tard ? S’inquiétait-il, tout de même.
– Je te le promets. Soufflais-je à bout d'énergie.
– Bon. D'accord, alors. »
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