Chapitre XI : Le Repos de la guerrière

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 Une lourdeur sans précédent s'était lovée tout autour de mon corps. Le simple acte d'ouvrir les yeux m'avait demandé une énergie considérable. Point positif, j'étais enroulée dans un épais édredon, cette sensation duveteuse m'avait cruellement manquée ces dernières semaines. Les combats se succédaient, ne laissant aucune place au repos ou à la guérison. Cela me fit avoir un bref coup d’œil sous la couverture me laissant entrevoir mon corps, pas de bandage, pas de plaie, juste ma peau.. Ou étais-je en train de rêver ou alors tout allait pour le mieux, pour une fois.


 Je refermais les yeux avec une gourmandise certaine, mais fus rapidement interrompue par un grognement féroce voire furieux, émanant... De mon estomac. J'étais affamée. Un dilemme s'imposait à moi. Je ne savais pas du tout où je me trouvais, Tne' et Gna' n'étaient pas là. S'ils m'avaient abandonnée ?! Tne' aurait préféré accompagner cette créature mi-humaine mi-sauvage ?

 Je me projetai en un instant hors du lit, courus à la porte, l'ouvrai avec fracas et glissai un coup d’œil furtif. La porte débouchait sur un petit couloir éclairé de plusieurs douces sources lumineuses provenant des chandeliers fixés aux murs. À ma droite d'autres entrées en bois, tandis qu’à ma gauche le corridor se prolongeait, donnant vue sur une rambarde en bois puis, encore davantage de portes se profilaient plus loin.

 Réhaussée sur la pointe des pieds, je m'avançais vers l'accès à l'étage inférieur de cette auberge. Pas un bruit ne troublait le crépitement tranquille du feu qui devait siéger en bas. Toujours à pas de loup, j'empruntais le bel escalier, et profitais de la vue dégagée qu’offrait la balustrade sculptée afin d’entrevoir une belle salle commune, bardée de grandes tables rondes en bois brillant, installées anarchiquement çà et là, tandis que de larges ouvertures dans les murs, permettaient aux rayons du soleil de donner à toutes les boisures de la pièce un éclat fantastique.

 Il n'y avait l'air d'avoir personne ici. Plus sûre de moi, j'appuyais mon pas, faisant craqueler sous mon passage les marches en bois brut. J'atteignais le pavage du rez-de-chaussée. Une antichambre me laissait apercevoir une double porte-battante ouverte à ma droite, par laquelle circulait un délicieux fumet, provenant de viande qui devait être en train de cuire. Cela me mit encore plus l'eau à la bouche que je ne l'avais déjà. Ma curiosité me poussa à passer le bout du nez par cette fameuse porte, négligeant totalement l'immense pièce derrière moi.

« Héhé. Un tout petit peu plus. Susurrais-je. Un tout petit peu plus et je me retrouverais sûrement face à un sublime fes...

– Ahem. Une grosse voix derrière moi résonnait. Notez tout d'abord jeune femme, que nous ne sommes pas un établissement nudiste...

– AAAAAAAAAAH ! AAAAArrière ! Hurlais-je en me faufilant derrière la porte et ne laissant paraître plus qu'un œil, constatant que l'homme qui venait de m'interpeller avait l'air âgé mais décontracté. Malotru !

– Allons, calmez-vous, c'est plutôt à moi de vous demander quelles sont ces attitudes et tenues ? Me grondait-il. Vous êtes dans une auberge respectable, mademoiselle. Être vêtu de manière convenable, est une nécessité ici. »

 Soudain, tout me parut plus clair, le cadre, l'apparence simple du vieil homme, j'eus même un éclair de lucidité, m'apercevant de mon manque complet de vêtement. Et par la même de l'embarras de cette situation...

« AAAAAAAAAAAH C'EST TERRIBLE ! J'essayais de me calmer. Vo-vous seri-riez très très ai-aimable de me ra-ra-ra. Je n'arrivais pas à parler. Je déglutissais, et en un instant, ouvrais la porte et m'inclinais du plus respectueusement que je le pouvais et articulais distinctement. Ma tenue est tout à fait incorrecte, et je m’en excuse, aussi je vous prierai de bien vouloir m'apporter de quoi me vêtir et par la mê... Un terrible grondement de ventre coupait ma phrase. L'homme hurlait de rire, je ne m'étais jamais sentie aussi honteuse.

- Hahaha, allons n'en faîtes pas tant. Il n'y a pas non plus mort d'homme, c'est la meilleure ! »


 J'étais forcée, là, inclinée le dos voûté, de me rendre compte que cette même situation nous ne la percevions absolument pas de la même manière. Il me jetait quelque chose dessus. En soulevant les yeux du sol, je constatais qu'il s'était retourné.

 Délicatement, je saisissais ce qui semblait être un vêtement mis en boule, le dépliais soigneusement. Il s'agissait d'un long chaperon noir fendu sur l'avant comme une longue veste, orné de belles broderies rouges et dorées. L'intérieur était d'une rare douceur, je l'enfilais, prenant place à l'intérieur du moelleux textile. Je prenais le temps de bien ajuster la tunique sur ma peau, j'inspectais les poches.

 « C'est une superbe protection contre la nudité, n'est-ce pas ? Disait-il, toujours en me tournant le dos.

– Et bien... »

Je comprenais que je prenais quand même trop mon temps pour inspecter la tenue et me vêtir. La veste était pourvue d'une légère chemisette interne que l'on nouait pour la fermer mais dont effectuer le nouage m'avait donné du fil à retordre.

 « C'est en effet un magnifique chaperon, il est à vous ? Lui rétorquais-je.

– Non il n'est pas à moi. Sa voix se durcissait. Mais je doute fort que l'on vienne le récupérer. Sa voix s'enraillait légèrement cette fois-ci. Tu pourras le garder pour le moment.

– Oh. Je tâcherai d'y faire attention ! Je vous le promets. Je finissais de fixer la grande fermeture de mon habit. C'est bon vous pouvez vous retourner, j'ai fini. »

 Quand il se retourna, son visage se vida. Son attitude débonnaire venait de laisser place à une mine prête à céder aux larmes, presque effrayée. Il ne dit rien, me fixa quelques instants, et se dirigea vers la cuisine. Je m'écartai de son passage, me serrant contre la porte, il ne me regarda pas, et me lâcha seulement de m'asseoir sur n'importe quelle table, qu'il allait vite revenir.


 Quand il se retourna, son visage se vida. Son air débonnaire venait de laisser place à une mine prête à céder aux larmes. Il ne dit rien, me fixa quelques instants, et se dirigea vers la cuisine. Je m'écartai de son passage, me serrant contre la porte, il ne me regarda pas, et me lâcha seulement de m'asseoir sur n'importe quelle table, qu'il allait vite revenir.


 Sa femme ? Sa fille ? Une promise ? À qui pouvait bien appartenir cette veste pour qu'elle provoque chez l'aubergiste une telle montée d'émotions ? Il n'avait pourtant pas hésité longtemps avant de me la jeter dessus, il n’avait pas non plus l’air de nier ou d’ignorer sa valeur. Je m'avançais donc vers le centre de la pièce principale. Dans un renfoncement sous l'escalier se trouvait son office, dessiné par un large comptoir en pierre. Le reste de la salle était occupé par les tables que j’avais vues auparavant, ainsi que par des bibliothèques murales, plein de bibliothèques. Des trophées de chasse meublaient les murs, des râteliers à armes décoratives, des vaisseliers. Bref, une belle salle commune à la décoration soignée. Je repérais une table pile sous un rayon de soleil, et allais m'y asseoir, continuant mon inspection scrupuleuse du lieu.


 L'homme d'âge mûr ne se fit pas trop attendre. Il ramena avec lui une jolie chope brillante, ainsi qu'une grande planche à découper, garnie de larges et épaisses tranches de viande fumantes et saignantes à souhait, un grand bol de divers fruits de plein de couleurs, de beaux morceaux de pain eux aussi tout chauds. Dans un autre bol, une drôle de purée trônait. J'avais face à moi le repas que mon nez m'avait prédit et que mon estomac attendait depuis de longs cycles. Mon hôte déposait devant moi le plateau.

 Il me fallut moins d'une seconde pour commencer à amener frénétiquement mes dents aux tranches de viande. Je commençais mon festin, à grands coups de crocs. Sans faire trop preuve d'une quelconque distinction, je mangeais juste à n'en plus pouvoir, me remplissant la bouche de tout ce que je pouvais, au point de grogner ne pas avoir plus de place pour pouvoir y loger plus de viande ou de pain. Je commençais à avoir soif, je relevais la tête de la planche, croisant l'immense sourire dans le regard de l'aubergiste qui me regardait, tout amusé, en train de me baffrer.


« Cela me rassure de te voir ainsi. Disait-il d’un ton enjoué. Quand vous êtes arrivés l'autre soir...

– Vous ?! Criais-je en crachant de la nourriture un peu partout dans sa direction. Oups, pardon mais je mourrais de faim.

– Hahaha. À voir sa réaction, je l'amusais. Oui vous, un petit gars avec deux ailes, si l’on peut appeler ça comme ça, et la fille qui vous portait. Vous étiez tellement irrecevables et à la fois tous dans un si piteux état. J’ai presque failli vous refuser, vue l’heure qu’il était, j’avais peur que vous soyez des brigands. Il semblait exaspéré. La fille qui te soulevait, à peine vêtue, allait s'effondrer d'un moment à l'autre. Sans oublier le petit qui avait la tête couverte de bleus et de bosses. Sans parler de vos accoutrements... Vous empestiez tous les trois le sang frais, vous en étiez tous couverts, d’ailleurs. Des pieds à la tête. Je n'allais finalement pas vous laisser ainsi, dehors. Lâchait-t-il en soupirant. Ne vous voyant pas vous réveiller hier, ni ce matin, j'allais me résigner à aller voir votre chambre, prêt à découvrir un cadavre.

– Ça vous arrive souvent ? J'avalais cette fois-ci ma bouchée avant de le recouvrir de nourriture à l’annonce d’une éventuelle nouvelle surprenante.

– De ? Retrouver des cadavres dans mes chambres ? Me demandait-il l'air surpris.

– Non. J'oubliais ma précédente question et songeais à nouveau au flou temporel m'entourant. Vous dîtes l'autre soir, mais quand était-ce exactement ? Cet autre soir ?

– Il y a deux nuits. Mais c'est drôle de voir que vous et vos compagnons mangiez… de la même manière.

– Ahem. Je me sentais ridicule. Puis pensais aux jours écoulés durant mon sommeil... Et mes compagnons, d'ailleurs ? Vous savez où sont-ils ?

– Oui, bien sûr. La fille qui vous accompagnait était surexcitée ce matin. Elle disait n'en plus pouvoir et voulait se défouler. Du coup, les deux sont partis vers le sanctuaire abandonné pour chasser quelques créatures de bon matin. Ils ne devraient pas tarder à revenir.

– Bon, c'est entendu. J'engageais la chope à ma bouche et découvrais pour la première fois cette boisson. Un peu amère, ultra pétillante, avec de la mousse. C'est bon ça ! Qu'est-ce que c'est

– Hahaha, vous n'aviez jamais bu de bière ? Il éclatait de rire. Je vous imaginais jeune, mais pas à ce point ! »


Il venait de soulever quelque chose qui me mettait à mal, c’est vrai que nos aventures avaient souvent été spartiates avec Tnemesnap, néanmoins, je manquais cruellement de culture. Mon regard se perdait sur mon morceau de pain, j'avalais inconsciemment la gorgée de bière que j’avais gardé en bouche. Le pain. Le pain ? Un goût de pain rassis m'envahissait la bouche. Tandis que des images d’une prison défilèrent devant mes yeux. Un hasard ? Mon corps s'endolorit subitement. Des souvenirs ? Qu'était-ce ? De quel temps me provenaient-ils ? Et si je me perdais dans mes sommeils post-traumatiques après chaque bataille, et si je perdais le fil du temps en deux nuits... Quel âge avais-je ? De quelle époque venais-je réellement ?

La chope m'échappa des doigts, et alla s'écraser sur ce qu'il restait de mon repas. Et moi je regardais tout ça. Décontenancée, inerte... Floue. Je sentais mes yeux brûler. Des larmes acides inondaient mes paupières.


« C'était très bon. Pardon, mais je ne me sens pas bien. J'ai dû manger trop vite. »


 Je m'enfuyais, bousculant chaises et tables sur mon passage, courant vers les escaliers. Je sautais les marches, quatre par quatre. En trois foulées, j’avais atterri sur le palier, et m'engouffrais dans la chambre, claquant la porte derrière moi. Je me jetais sous l'édredon, me mettais en boule. Je finissais par éclater en sanglot.

« Mais qui suis-je au fond ? »

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