Chapitre XIII : Au fond du Trou, Partie 1

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 Après un départ matinal au pied de guerre, sauf pour Tne’, qui tout en râlant, ne comprenait pas ce « besoin féminin, de devoir sans cesse se dégourdir les jambes, ou de chercher la castagne sans réelle raison apparente » pour le citer ; cela faisait donc plusieurs heures que notre petit groupe marchait. Sur les dires de l'aubergiste, nous avions alors suivi ce chemin partant vers le nord de notre pied-à-terre, afin de nous avancer en territoire hostile. Pour être plus précise, Gnas et moi, nous étions mises en tête de rechercher les individus vêtus de noir qui nous avaient attaqués quelques jours plus tôt.

 Plusieurs témoignages nous avaient permis d'être certains du fait qu'il s'agissait d'une sorte d'organisation composée de pillards, assassins et dangereux malfrats en tous genres. Lesdits criminels, aussi peu aimables que discrets, avaient fini par être aperçus aux alentours d'un canyon, lui-même abritant en son sein, nombre d'anciennes mines désaffectées.

 Malgré le peu de réconfort ou de sérénité que dégageait le lieu, nous nous engouffrions dans le défilé, sans nulle crainte. Notre marche était silencieuse, mais notre formation stratégique parlait d'elle-même : Gnas était en retrait quelques pas derrière nous, Tne' était entre nous deux et donc, j'ouvrais la voie, attentive au moindre mouvement pouvant être suspect. Nous étions décidés à obtenir des réponses de la part de nos présumés agresseurs ou tout du moins, nous étions assurés que si nous les trouvions, nous aurions matière à combattre. Bien que cette dernière partie du plan, ne plaise bien évidemment pas à Tnemesnap.

 Pour tout dire, je ressentais une farouche envie de distribuer quelques baffes. Mon manque de réponse personnelle ne m'avait pas laissé le choix. Je ne pouvais pas, juste attendre que toutes les questions existentielles de ma vie soient résolues comme par magie. Si je ne pouvais pas me guider moi-même alors, j'étais bien décidée à avancer, à la manière d'une vagabonde, errant en tout lieu suivant sa quête, à la recherche d’une raison d’être. Même s’il fallait bien l’admettre, je doutais clairement que détrousser quelques bandits allait pouvoir m’éclairer d’une quelconque façon.

 Les voyageurs et aventuriers cherchaient à obtenir la gloire, moi je ne cherchais qu'à savoir qui j'étais. Cette interrogation, outre le fait de m'avoir complètement démoralisée, m'avait finalement confortée à propos d'une chose : sur un champ de bataille, j'étais une reine. Je me fixais sur cette pensée et aussitôt la sérénité guidait à nouveau mes pas, je n'attendais plus que de croiser le fer avec mon destin.

 Chose qui finalement, ne se fit pas plus attendre que cela. Quelques minutes plus tard, nous surprenions une patrouille de trois des vermines que nous traquions, qui après une maigre résistance, finirent par nous révéler l'emplacement de leur caverne, cela récompensé de trois évanouissements immédiats. Le crâne de Gnas avait une utilité sans ambiguïté quand il s’agissait de faire taire ou à l’inverse de dénouer les langues.

 Nous finîmes donc par arriver face à une cavité dissimulée dans une paroi, décrite par les trois guignols comme étant l'entrée de leur repaire.


« Ça y est, les choses sérieuses vont enfin pouvoir commencer ? Glissait Gnas, tout en se faisant craquer toute la colonne vertébrale et les mains.

– Oui... Fatalement, l'heure du bain de sang approche. Lâchait mollement Tne', palliant à l'enthousiasme de Gnas.

– Restons sur nos gardes, la luminosité dans le repaire sera sûrement moindre, cela ne sera pas forcément à notre avantage ne connaissant pas la topographie des lieux. Lançais-je.

– La topo-quoi ? Demandait Gnas' d'un air ignare, provoquant chez moi un rire nerveux.

– À quoi ressemble les lieux, ma chère sanguinaire. Répondait calmement Tne'.

– Ah oui. D'accord. Bon, et on a rien pour mieux voir ? Tu peux pas tirer de la lumière de ta deuxième épée Evi' ?

– Non, cela ne marche pas comme ça. Enfin je crois. Lui rétorquais-je.

– Ça nous avance donc pas vraiment. Maugréait-elle.

– Attendez mesdames, l'autre jour dans la forêt j'ai capturé ceci pendant que vous étiez « occupées ». Tne' fouillait dans son fourre-tout, et notre curiosité nous avait amenées à nous rapprocher de lui, il en sortait plusieurs flasques rondes. Voici des lucioles de feu ! Telles qu'elles sont actuellement, nous ne craignons rien, il nous suffira de secouer la fiole quand nous serons dans le noir et ceci les énervera. Gnas le regardait parler, comme si elle était animée d'une joie surprenante à l'idée de boire ses paroles. Tandis que pour ma part, je me questionnais quant à la réelle utilité de ces insectes.

– Oui, mais encore ? Demandais-je d'un ton douteux.

– Le principe est simple, dès lors qu'elles sont furieuses, ces petites bébêtes s'enflamment littéralement le postérieur et il s'en dégage de vives flammes. L'obscurité ne sera donc plus un souci. Racontait-il fièrement.

– Donc, tu me dis que si je secoue la fiole, ça brille fort, c'est ça ? Et, ça fait des flammes ? Interrogeait studieusement Gnas.

– Oui, c'est absolument ça. Lui affirmait Tne'. »

 Aussitôt que Gnas eut la confirmation, elle s'empara d'une des fioles, la secoua et courut tête baissée dans l'entrée que nous n'avions pas eu même le temps de scruter.

 « Qu'est-ce que tu fais ?! Hurlais-je. »

 Nous n’eûmes comme réponse qu'un vague : « Ne bougez pas ! ». Retentirent quelques courtes secondes plus tard, des cris d'alerte, puis des hurlements de rage. S'en suivirent des bruits d'acier provenant de l'obscurité. Puis, une série de coups de canon. Soudain, un immense bruit sourd d'explosion se fit percevoir. Inquiétée, je fis un bond face à l'entrée de caverne. Je ne distinguai que quelques points lumineux çà et là, des torches sûrement. Le sol se mit à trembler légèrement, puis un peu plus fort ; un souffle d'air volcanique parvenait maintenant jusqu'à moi. Une forte luminosité éclairait désormais le plus profond que j'avais pu distinguer de cette caverne. Un grondement monstrueux se ruait en direction de la sortie.

 Je pus enfin apercevoir Gnas, transpercée de quelques flèches et carreaux, javelots et armes de lancer, courant à toute vitesse dans ma direction, poursuivie de près par une quinzaine d’encapuchonnés. Cependant, tous fuyaient quelque chose.
Puis, je compris. Un torrent de flammes dévorait l'intérieur du repaire à une vitesse incroyable, il se déversait et engloutissait tout sur son passage. Je me projetais en arrière, et voyais Gnas plonger tête la première hors du repaire tout en roulant au plus loin de l’entrée de la cavité qu'elle le put, évitant ainsi de se faire calciner.

 Une gerbe ardente jaillit de l'ouverture, recrachant quelques pillards, dont les tuniques étaient en feu ; le souffle brûlant continuait de produire un bruit sourd et couvrait les hurlements de douleur des malheureuses et malheureux pris au piège, qui se consumaient sous nos yeux.

Cela ne fut qu’une partie du spectacle embarrassant et morbide se produisant devant nous. Gnas s’était relevée, et commençait à s'extraire un à un les divers projectiles qu'elle avait pu recevoir. De longs filets de sang giclaient de son corps à chacun de ses gestes. Ses membres vacillaient de toute part à chaque fois qu’un corps étranger quittait sa chair, comme si elle était en train de bouillir de l'intérieur. Une boule de plomb semblable à celle de l'autre jour était projetée hors d'elle, accompagnée d'une effusion rouge vif. Ses yeux étaient devenus écarlates, nous ignorant totalement, elle buvait son sang avec délice, s'en enduisait le visage, le corps. Je la regardais droit dans les yeux, dégoûtée et fascinée, empathique et effrayée. Enfin, son regard croisait le mien.

« Evi', je suis sûre qu'un jour, tu t'y feras. Puis, je peux tout expliquer. Me lâchait-elle d'une voix suave et moins légère que d'accoutumée.

– Tout m’expliquer ? Non mais ça ne va pas ?! Enrageais-je. Puis tu.. tu.. Gnas ne tremblait plus et s'avançait maintenant vers moi, pataugeant dans son sang, droite, sûre d'elle, son regard défiait le mien.

– Dis-moi, te rappelles-tu de l'autre jour ? Un instant, je songeais à sa main sur mon visage, ses lèvres, sa langue, son sang. Tout en étant là, nez-à-nez avec elle, elle poursuivait. Moi je me souviens très bien de l'arme qui m'a détruite le corps, ce jour-là. Nous ne pensions vraisemblablement pas à la même chose. Surtout de son odeur. La poudre à canon, ça pue. Quand nous sommes arrivés ici, et que Tne' nous parlait de ses mouches de feu, j'ai senti la même odeur. J'ai couru jusqu'à l'odeur, j'ai lancé la fiole et j'ai couru dans l'autre sens. C'est tout. Me disait-elle. »

 Je ne savais même pas quoi répondre. Moi qui étais si sereine quelques minutes auparavant, Gnas venait de me troubler, elle continuait de maintenir mon regard. Je ne savais pas comment juger un acte à la fois stupide et complètement irréfléchi, au fait établi que son odorat ne l'avait pas trompée et que malgré le fait de se jeter seule dans la gueule du loup, son plan avait incroyablement bien fonctionné. Tout allait pour le mieux… Si bien sûr j’omettais son état, qui encore une fois était catastrophique, enfin tout du moins en avait l’air.

 « Tu es folle ! Tu t'étais bien remise, tout ça pour quoi ? Finir à nouveau complètement ravagée. Qu'est-ce que t'a fait ton corps pour que te retrouver ainsi puisse te convenir ?! Et mourir alors, tu crois que tu y survivras, tu crois que tu triompheras ? Grognait finalement Tnemesnap.

– C'est touchant que tu t'en fasses pour moi. Et quelque part, je dois aimer que l'on me frappe. Elle me regardait avec insistance. Mais touche plutôt que de grogner. Gnas se détournait de moi et lui saisissait une de ses mains, et lui faisait palper sa poitrine et son ventre, l'imbibant de son sang.

– Que... Que... Où sont les plaies ? Où sont les trous ? Disait-il, choqué, et sûrement écœuré par le contact du sang.

– Je cicatrise très vite quand je suis en forme. Après c'est bien beau de se féliciter, mais il va nous falloir retourner dedans. Certaines galeries avaient l'air de s'enfoncer loin, loin, loin. Et s'il reste des survivants à ça. Nous allons être attendus. »

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