Chapitre XX : Odeur de foudre, Partie 2

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 Plus jamais on ne m'y reprendra, plus jamais je ne me risquerai à m'investir dans de telles aventures, à croire à tort à de telles idées. Suivre une guerrière inconnue et amnésique C'est dans mes cordes. Suivre un paratonnerre à la mort ? Je ne peux pas ; et à vrai dire, je ne peux surtout plus affronter chaque jour l’idée de me confronter à mon probable trépas. Prenez deux êtres pensants, mettez-les face à un danger, l'un va y foncer tête baissée, l'autre se mettra hors de portée ; sans honte aucune, je suis le second des deux. Je ne me destine pas au combat, je ne voue pas non plus de culte à l'adrénaline ; moi ce que je veux c'est survivre, et pouvoir témoigner de ce que je vois et découvre. Au train de ces derniers jours, je ne donnais hélas, plus très cher de ma paire d'ailes.

 Sans parler de ce surcroît de violence, qui émerge jour après jour d'Evialg. Elle ne doit pas s'en rendre compte, ni même imaginer qu'elle puisse faire le mal. Là, est la limite de sa justice, faire payer le sang par le sang. Sauf que si elle continue, c'est le sien qui se déversera, et sous les coups d'un autre fou amateur de "justice". C'est peut-être même ce qu'il est en train de se passer là tout de suite. Mais qu'en saurais-je Hors de question de retourner sur place. Que j'ai été épargné de l'explosion et du souffle tient déjà du miracle. Je ne vais pas non plus chercher à me faire poignarder ou éviscérer par le premier malade qui nous tombe dessus. Non.

 Le "Nous" n'existe plus. Qu'elles foncent au casse-pipe les deux bourrinnes, qu'elles y restent même. Je n'en serai pas malade. Je n'aurai plus à supporter leurs plaintes, ni à panser leurs plaies, plus à essayer de comprendre l'autre écervelée qui arrive à peine à enchaîner deux mots sans bafouiller, plus à suivre les états d'âme d'Evialg, qui de victime à bourreau, ne semble comprendre que la nuance de celui qui tue ou qui est tué.


 Je grogne et je m'égare, cette forêt n'aura donc pas de pitié envers moi, cette journée encore moins. C'était bien notre veine de nous faire attaquer ainsi, au milieu de cet amas pourrissant, de cette forêt pour défroqués, de ce bosquet pour écureuils purulents, de cette saloperie de sylve suintante.

 Mon errance sans repère ne me rassurait guère, les hurlements et cris féroces qui venaient de rompre le silence me faisaient frissonner de tout mon être. J’en étais même au point de me demander si j'avais fait le bon choix : celui de laisser toutes seules les filles ou plutôt celui d'être parti, ou formulé tout autrement, de m'être résigné à oublier que nos chemins aient pu ne faire qu'un.

 Je ne lui et ne leur dois rien, voilà ce qu'est la sagesse : s'abstenir quand il le faut et rebrousser chemin quand l'avenir s'annonce trop sanguinolent. J'incarne ça moi, pas la violence gratuite et le besoin de répondre aux crocs par les crocs. On ne m'y reprendra plus jamais, non, non et non.


 Autour de moi, la forêt s'était enfin éclaircie et sans savoir vers où je me dirigeais, je savais que je n'allais pas tarder à la quitter, cette maudite étendue boisée. Aucune bestiole ne semblait pointer le bout de son nez, c'était peut-être ma veine, faire une mauvaise rencontre se serait avéré fortuit. J'avais clairement perdu l'habitude de m’adapter aux divers dangers de Mithreïlid durant ces derniers cycles ; il est vrai qu’à suivre d’abord Evialg, puis le duo des deux bouchères : même une route parsemée d'ennemis deviendrait une routinière balade. Mais à quel prix ? Des membres arrachés, des destins brisés, des vies prises, des effusions de sang à profusion... Si là est le panache d'une justicière, puisque Evialg semblait s’identifiait comme telle, alors la justice n'existait pas, ou était faite d'un paradoxe aussi tordu qu’insensé : la survie morale de l’innocence contre le trépas des coupables. Cela devait être un concept qui me dépassait, tout du moins en matière de justice.


 Qu'importait après tout. Me voilà seul et sûrement bientôt tiré d'affaire.


 Malheureusement, mon pressentiment de quitter cette sylve s'était avéré bien faux. Les quelques rayons de soleil qui me semblaient annoncer la fin de cette randonnée forestière, n'étaient que pure illusion. Des canopées encore plus étendues se profilaient au-dessus de moi, le tapis de feuilles, s'était transformé en nid de racines, là où quelques minutes auparavant la flore était luxuriante, certes pourrissante, mais variée et dense ; était, peu à peu remplacée par des plantes qui ne poussaient que dans les marais. J'avançais à une allure assez soutenue lorsque mes pieds s'enfoncèrent dans une matière visqueuse et malodorante.

 À vue de nez, je venais de m'embourber dans un purin constitué de végétaux en décomposition, et à en juger par les ossements de diverses tailles, un cimetière de créatures sylvestres, bref un compost géant. L'atmosphère qui émanait de cet endroit était lugubre, l'odeur était pestilentielle, la luminosité baissait, et ne pas savoir où je posais mes semelles m'inquiétait plus que tout.


 J'avais par ailleurs la sinistre impression que l’on me traquait à mon tour : c'était vraiment une journée à la saveur de bouse. Qu'est ce qui avait bien pu nous convaincre qu'emprunter ce sentier touffu ? À quel moment cela avait-il été une bonne idée ? Sans réfléchir plus longtemps, je considérais en parallèle la comparaison que j’avais eu un peu plus tôt, celle qui entendait que mes comparses étaient des aimants à problème. C'était sûrement ça qui devait attiser les mauvaises décisions ; au fond, ces deux bourrines devaient chercher à tomber dans des embuscades : le sentier, la caverne et maintenant, cette forêt à la noix, rageais-je.

 Je maugréais, et me retrouvais les poignets dans la vase, m'en extirpant difficilement. J'en avais marre, tellement marre. Si encore, je me retrouvais dans une prairie verdoyante et fleurie, pester de la sorte aurait été bien plus agréable, mais là, non ; bien sûr, je me retrouvais seul dans cet enfer putride. Puis cette sensation d'être toujours observé me donnait à présent la chair de poule. Les cimes noircies par le manque de luminosité craquaient et grognaient, rien ne vivait ici, si ce n'était moi, et ce détail ne me rassurait guère davantage. J'espérais tomber sur quiconque en mesure de m'indiquer la direction pour fuir ce dépotoir gargouillant, mais toujours personne, tandis que l'obscurité gagnait en ampleur, pas après pas.

 Je m'arrêtais sur une souche à moitié noyée dans la boue, m'essuyais frénétiquement les mains, en regardant nerveusement dans tous les sens, désormais envahi par une paranoïa oppressante. Je glissais mes doigts puants dans ma besace et y saisissais une des flasques à mouche de feu. Je la secouai promptement, réveillant son habitante, dont une puissante lumière émana, faisant ramper les ombres loin de moi. On ne pouvait vraiment que compter sur soi-même ; et les filles qui se moquaient de mes captures, il n'empêche que sans cette bébête, ça aurait été moi l'insecte pris au piège dans une bien dangereuse toile.

 Cependant, bien que débarrassé de cette noirceur morbide, l'air devenait de plus en plus lourd, je commençais à suffoquer. Peut-être allais-je finir ici, dévoré par la faune ignoble qui se doit se terrer sous l'épaisse couche de cette tourbière. Il était catégoriquement hors de question de mourir aussi bêtement dans un endroit si... Malodorant et dégoûtant.


 Je me mettais subitement à regretter tout ce que j'avais dit, si les deux sauvages avaient été là, elles auraient sûrement su comment se dépêtrer de ces miasmes, et n'auraient sûrement pas eu aussi peur que moi, elles auraient sûrement pu me rassurer. Mais je ne pouvais actuellement me contenter d’être un froussard, je devais aussi à mon tour braver mes frayeurs et être meilleur. Meilleur que moi-même. Courir, je devais courir, à m'en couper le souffle, quitte à tomber le nez dans la vase, je me relèverai, et poursuivrai ma course effrénée.

 J'allongeais donc ma foulée, sautillant au-dessus des bûches, m’extirpant enjambée après enjambée de la tourbe, me rattrapant à tout ce qui passait à portée de mes mains, tant que la profondeur n'augmentait pas, je pouvais poursuivre mon sprint contre moi-même. Je glissais, me retrouvais la face dans cette horreur gluante, mais je n'avais pas le temps de me nettoyer, j'hissais mon front boueux et fonçais, encore et encore, toujours plus vite.

 La lueur dégagée par la bestiole faiblissait, heureusement, face à moi, un rideau crémeux apparaissait, j’accélérais, aussi vite que mes petites jambes me le permirent. Je pataugeais quelques mètres de plus dans ces miasmes, et enfin, je sentais du dur sous mes pieds. Devant mes yeux noyés par l’obscurité, la lumière reprenait ses droits, laissant peu à peu la pénombre derrière moi.


 Enfin, j'atteignais un bosquet, un puits de jour dans cette nuit nauséabonde, qui me semblait avoir été interminable, je m'effondrais au sol, passais mes mains compulsivement sur mon visage, ôtais la substance brune qui me recouvrait la peau, m’essuyais dans l’herbe m’entourant. J'étais sauvé, je ne finirai pas en bouillie pour charognards. Je me perdais dans les nuages qui jonchaient le ciel teinté d’orange, pour une fois, j'étais content de les voir, ces moutons volants. Je m'étirais, soulagé, et fermais même les yeux, je savourais le semi-silence que des grillons meublaient de leurs chants, enfin délesté des gargouillis du marais.

 J'avais désormais besoin de faire une sieste, une longue sieste.

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