Chapitre XXXVIII : La reconquête de Teysandrul, Partie 3

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 Après quelques heures de marche, nous avions finalement atteint, guidés par Evialg, les sombres et imposants remparts de Teysandrul. Durant notre progression, le ciel s'était tâché d'épais nuages obscurs et mauves ; et quelque chose de malsain s'en dégageait, de cette nue à la teinte anormale. Comme si la lumière magenta au-dessus de nos têtes provenait d'une magie occulte, je ne m'imaginais pas capable de vivre ne serait-ce qu’un cycle sous cette nappe ténébreuse.

 Evialg nous avait fait éviter les routes jonchées de soldats sur le qui-vive, ces dernières étant très animées par le défilé permanent de patrouilles. Nous nous retrouvions alors face à une large brèche qui brisait en deux les solides murailles. Nous nous engouffrions par le passage, et arrivions dans une ruelle peu illuminée et vide de toute âme, qui semblait desservir une avenue bien plus large, cette dernière grouillant d'habitants.

 Les filles avaient pour plan de voler des uniformes à des gardes. Gnas ouvrait la voie et nous demandait d'attendre embusqués. Elle revenait rapidement escortée par deux hommes vêtus d’équipements assortis, noirs et écarlates. Il s’agissait par ailleurs des mêmes armures que celles revêtant les troupes que nous avions affronté en quittant la forêt des Féliciennes. À peine les deux gardes avaient-ils fait un pas dans l’artère masquée par la pénombre, que mes camarades les assommèrent, les dépouillant rapidement de leurs armures et de leurs armes, s'en équipant tout aussi promptement. Je les regardais curieux de savoir quelle était la suite du programme, sans même se concerter, elles me désignèrent comme étant leur prisonnier. Quelque part, cette solution semblait la plus appropriée, après tout, aucun des accoutrements n'aurait été à ma taille. De lourdes menottes en fer qui pendaient aux ceintures dérobées, se retrouvèrent autour de mes poignets, je tirais une mine de six pieds de long : c'était la première fois que je me retrouvais contraint de la sorte, cependant, leur plan me semblait étrangement sensé... Pour une fois.

 Nous rejoignions sereinement l’avenue pleine de vie, Gnas et Evi' marchant devant moi, nous avancions de seulement quelques pas, jusqu'à ce que Gnas s'arrête subitement.

« Qu'est-ce qu’il se passe ? Demandait Evi'.

– Je connais ce coin. Elle regardait à droite et à gauche. Mais à mon souvenir, les murs étaient blancs, mais je pense que c'est à cause de la luminosité du ciel que ce détail est différent.

– Tu connais ? Mais tu es déjà venue ici ? Continuais-je. Je croyais que seule Evialg avait déjà foulé ces dalles.

– J'en ai l'impression, ce sont comme des souvenirs un peu flous. Si nous avançons jusqu'au prochain croisement, je suis certaine que la rue suivante sera remplie de tavernes, et que le pavage nous amènera vers un centre de commandement militaire. Soufflait-elle. On essaye ?

– Soit nous essayons cela, soit nous allons directement à la tour centrale. Proposait Evialg.

– Suivons les indications de Gnas, peut-être découvrirons-nous autre chose.

– Alors, allons-y. Gnas donnait le rythme, nous suivions ses pas et finalement débouchions sur une allée bruyante, bardée de bars et auberges en tous genres. Bon, alors si je me souvenais de ça, je me rappelle aussi que quelques pâtés de maisons et rues après la bâtisse militaire, il y a un entrepôt de la milice...

– Et bien... Ce ne sont pas des réminiscences si floues pour le coup. Comment peux-tu avoir une mémoire si précise ? L’interrogeais-je.

– Parce que c'est moi qui l'ais bâtie cette ville. Elle finissait sa phrase et relançait la marche, tandis qu'avec Evialg nous nous lancions un regard plein de surprise, puis emboîtions son pas. »

 Après avoir croisé plusieurs patrouilles, dont nous n'attirions même pas l'attention, et après avoir tourné à droite puis à gauche, voire même, après avoir eu l'impression que nous étions en train de nous perdre, tant ces rues et avenues se ressemblaient toutes les unes plus que les autres, nous atteignions finalement le lieu précédemment décrit par Gnas.

 L'immense local de stockage était accolé à une large place ronde, en son centre une fontaine luisait de l'éclat mauve du ciel, donnant à l’eau l’air de poison, des lampadaires illuminaient de faisceaux pourpres les habitations attenantes à ladite place, le pavage concentrique était bien plus régulier et lisse que celui que nous foulions depuis notre arrivée en ville.

 Pour la première fois depuis que nous avions pénétré dans la cité, je pouvais enfin admirer l'organisation des blocs urbains qui nous entouraient, cela m’émerveillait. Gnas se faufilait rapidement vers les portes gigantesques de l’entrepôt, qui bien entendu étaient gardées. Elle nous fit signe de la rejoindre. Evialg avançait et je la suivais, jouant au mieux mon rôle de prisonnier, baissant la tête et traînant des pieds.

 « Cet homme a dérobé un ouvrage qui était stocké ici. Elle me désignait du regard. Nous devons l'y escorter afin qu'il le remette là où il l'a trouvé.

– Avec sa taille, pas étonnant qu'on ne l'ait pas vu chaparder. Riait grassement le garde à qui Gnas s'était adressée. Allez-y, mais ne traînez pas. Terminait-il, en soulevant à l'aide de l'autre homme en poste, la lourde barre en bois qui bloquait la porte. Et toi le nabot, garde-toi bien de recommencer, sinon tu auras droit à pire que les geôles.

– Non, monsieur, je ne le referai plus jamais, je ne veux pas mourir. Le confortais-je.

– C’est bien le nabot. Quand vous aurez terminé, frappez à la porte, on vous ouvrira.

– Compris. Acquiesçait Gnas d’un ton militaire, tout en franchissant la porte.

– Et toi, la mignonne ? Le soldat parlait désormais à Evi'. Tu voudras aller boire une chope après ton service ?

– Même pas en rêve. Le coupait-elle sèchement, tout en me poussant pour que j'avance, suivant ainsi Gnas à l'intérieur. »


 L'entrée se refermait avec fracas derrière nous, tandis que devant, un dépotoir géant s'offrait à notre vue. Des armes, des vivres, des tenues, des babioles, il y avait absolument de tout qui traînait au sol. Sans aucun rangement, tout avait été jeté n'importe comment, dessinant des monticules d'objet en tous genres, dans tous les sens. Cette première pièce était éclairée par des braseros crépitants, repartis sur tous les murs, une encavure dans le fond semblait donner accès à un autre espace. Gnas s'y engouffrait, sans un mot, nous la précédions.

 Cette fois-ci, c'étaient des étagères remplies de livres qui remplissaient le local. Il y en avait à perte de vue. J'étais ébahi, d'un simple coup d’œil, la tranche de certains grimoires m'interpellaient immédiatement. Alors que nous venions à peine de mettre un pied dans ce labyrinthe de culture. Je n'en revenais pas.

 « La bibliothèque d'Ilyohelm était à l'époque, la plus garnie de tout Mithreïlid, plusieurs sur-cycles d'histoire sont accumulés ici. Des gens venaient de toute part du continent pour étudier ces ouvrages. Cependant... Gnas s’indignait. J'étais sûre que ces idiots en feraient un espace de stockage. Quand je pense que plus personne n'a accès à ce savoir, quel gâchis.

– Mais tous ces livres... Commençais-je.

– C'est moi qui en ai ramené la plus grande partie, pour qu’ils soient conservés ici, et cela il y a plus de cinq sur-cycles. Ce sont les fruits de tous mes voyages. Me coupait Gnas.

– Non mais, tu étais donc vraiment sérieuse quand tu disais que c'était ta ville ? L'interrogeait Evi'.

– Bien sûr, et vous n'êtes pas au bout de vos surprises, je pense. Il y a une autre pièce dissimulée au fond. Je suis certaine que nous allons trouver des pépites.

– Des pépites d'or ? Demandais-je naïf.

– Mais non... C'était au sens figuré. Allez suivez-moi. »


 Nous poursuivions donc notre cheminement à travers l'immense bibliothèque jusqu'à arriver nez-à-nez avec une étagère plus haute et plus imposante que les autres. Gnas demanda à Evialg un coup de main et toutes deux déplacèrent l'imposant présentoir, entraînant la chute d'un paquet de bouquins. Derrière le rayon, prenait place une épaisse porte, bien plus solide à en juger par son armature en métal que celle qui bloquait l'entrée au bâtiment.

 D'un coup rapide, Gnas en faisait sauter sa serrure, le choc provoquait l'ouverture du robuste portail. Comme elle l'avait prédit juste avant, Evialg et moi croulions sous la surprise. En premier plan, à quelques mètres devant nous, une statue trônait... Une statue de Gnas ! Même les tableaux qui étaient accrochés aux murs de l'antichambre secrète...

 Que des portraits de Gnas ! J'étais époustouflé, tandis qu'Evi' prenait la peine, d'une pression de ses doigts, de faire sauter les menottes. Je m'empressais de courir dans cette pièce remplie de trésors, bustes sculptés, peintures, tableaux, effigies, ouvrages, dont le sujet de tous ces derniers était identique : Gnas. Ou plutôt, Teïnelyore, nom qui ne m'était pas inconnu, car Noctalya m'en avait parlé lors de son énumération des « Dieux » de Mithreïlid.

 Mais aucun doute possible, c'était elle, notre Gnas, en pierre et en toile. Tous ses titres étaient mis en avant : Teïnelyore Déesse de l'Amour, Teïnelyore Fondatrice d'Ilyohelm, Teïnelyore Reine d'Ilyohelm et des Royaumes du Sud, Teïnelyore la Sainte, Teïnelyore sauveuse des Exsangues, Teïnelyore protectrice du peuple...

 Et j'en passe ! Dans un nouveau dressoir qui me parvenait aux yeux, était stockée une multitude de tenues d'apparat soigneusement pliées, parchemins et livres y étaient aussi rangés. Un peu plus loin, une rangée de pupitres siégeait. J'y découvrais un plan daté de la cité, signé par les architectes d'une part et d'autre part de la main de la Reine, encore une fois, Teïnelyore, ainsi que la ratification d'Hul, Déesse et fondatrice de mon peuple. J'étais sous le choc et passais au présentoir suivant. Une lettre adressée aux différents peuples et royaumes que devaient compter Mithreïlid. La typologie de l'écriture me donnait envie de la lire à haute voix.

 « Chers vous tous, Peuples et Rois, Dieux et Habitants de Mithreïlid. Je prends la peine d'écrire cette déclaration, et de la rédiger à l'attention de tous ; car il y a de cela quelques jours, je pense avoir rencontré une autre Déesse, qui ne pourra qu'illuminer notre Monde.

 Tandis que je volais à tire d'aile accompagnée de certains de mes disciples au cœur des Montagnes Ternes, cela, dans le but d'enquêter sur une sombre affaire concernant des utilisateurs de magie noire ; j'ai fait la rencontre d'une bien curieuse Mithreïlidienne.

 D'apparence, elle ne semblait pas être membre d'une espèce hybride, ni même différente de la plus quelconque femme qui aurait pu vivre sur cette Terre, cependant, elle s’avérait être une magicienne manipulant le sang, et, par là-même, était la première personne que je rencontrais possédant un tel don. D’humeur avenante et sympathique, je l'interrogeais enfin au sujet de sa présence en un lieu si avancé : Les Cimes du Monde.

 Elle m'affirma alors y sentir une présence maléfique, comme si quelque chose de terrible l'avait amenée à venir jusqu'ici. Cette femme, me confiait avoir énormément voyagé et n'avoir jamais ressenti un tel maléfice malgré son cheminement. Aussi jeunette et peu robuste pouvait-elle me paraître, elle transportait avec elle un fardeau sans pareil, ainsi qu’une gigantesque arme, dont il émanait la même chose qu'elle : une puissance sans équivoque.

 Je pris alors la peine de renvoyer mes suivants, assurée d'être en sécurité près d'Elle. Ma randonnée aérienne se transforma alors en une marche joyeuse, accompagnée de cette mithreïlidienne qui finit par me révéler son nom : Teïnelyore.

 Quand bien même la quête vers laquelle nous partions allait être sordide et dangereuse, cette dernière, plus que rassurée, inondait l'atmosphère nous entourant de sa voix sans ride, de ses phrases sans prétention et de son humeur joviale.

 Cependant, tel que je le pressentais, l'engouement qui nous anima tout le chemin durant, laissa rapidement place à une ambiance des plus macabres. L'ondée obscure que nous poursuivions l'une et l'autre nous avait conduit à une académie d'entraînement pour enfants et adolescents, dont les armoiries noires et écarlates m'étaient alors inconnues.

 Repérées, nous fûmes sans délai menacées de mort et contraintes d'abandonner notre recherche, par des gardes sur expérimentés et suréquipés. Bien que cette crainte parvînt à me faire renoncer, il n'en fut pas question pour ladite Teïnelyore, qui, à une contre vingt, renversa le combat à son avantage : transpercée, découpée, vidée de son sang, entaillée de toute part, elle triompha, comme si de rien n'était. Nous nous hâtions de parvenir à l'épicentre de la pénombre qui noircissait les pans de cette montagne.

 Notre arrivée interrompit un lugubre rituel qui avait lieu : deux silhouettes masquées, incantaient de bien sombres sortilèges, cheminant pieds nus dans le sang d'une centaine d'enfants, agonisants et convulsant sous la mélopée qui emplissait ces lieux. Je n'eus pas même le temps de penser, que Teïnelyore, était déjà partie à l'assaut. Surpris par leur assaillante, les deux inconnus fuirent sans même essayer de combattre, dans un nuage d'ombre et de noirceur.

 Quand bien même je possédais quelques capacités curatives, l'état de ces enfants était trop grave et ils étaient trop nombreux pour que je ne puisse correctement les soigner. C'est alors que l'impossible se produisit sous mes yeux.

 Teïnelyore, pataugeant à son tour dans cette mare de sang, s'avança au cœur des blessés, et se perfora l'abdomen, laissant un épais filet écarlate se mélanger aux flaques qui jonchaient la cour de l'établissement. Elle planta sa lame dans les pavés, se concentra longuement, et devint l’épicentre d’un vortex cramoisi, d'abord de couleur terne, il scintilla ensuite comme le plus brillant des rubis. Le sang des victimes, mélangé au sien, rejoignit alors chacun des êtres endoloris et gémissants, tandis qu’en quelques instants, tous finirent par se relever, miraculeusement remis sur pied.

 Teïnelyore, toujours au centre de cet amas, affaissée sur son sabre, se redressait lentement à son tour. Le jour au ventre qu’elle s’était elle-même infligée, cicatrisait à vue, tandis qu’elle était acclamée par les hurlements de remerciement de toutes ces âmes effrayées, désormais sauves. C'était un miracle.

 Ainsi, sous mes yeux, je constatais l'avènement d'une nouvelle Déesse ; je la nommais Déesse de l'Amour, et je prenais alors conscience de son réel don : celui de la vie éternelle.

 Aussi, en ma qualité reconnue de Déesse de la Sagesse, je reconnais à mon tour, Teïnelyore comme étant mon égale, voire, de façon plus rationnelle, comme un être qui m'est nettement supérieur. Cette jeune femme, pleine de vie et d'énergie positive m'a, quelques jours plus tard, susurré son envie de créer un lieu de refuge, pour tous les opprimés de Mithreïlid.

 Je lui ai alors, sans douter un seul instant de sa bonne volonté, offert mon soutien inconditionnel, et vous invite, par la présente à en faire de même, et de venir à sa rencontre, afin de constater mes dires, si bien entendu, vous en doutiez.

 Mes scribes recopieront et enverront cette missive à tous les habitants de Mithreïlid. Aussi, soyez assurés que je m'engage personnellement, ainsi que j'engage tout mon peuple au bon déroulement de la fondation de sa cité : Ilyohelm.

 Amicalement vôtre. Hul, Déesse de la Sagesse, et Souveraine des Hulotes. »


 Incroyable me dis-je. Cette lettre et ces descriptions, plus aucun doute n'est possible. Notre Gnas est belle et bien la Déesse qu'elle disait être. J'avais juste du mal à comprendre qui avait été son ultime ennemie, ou plutôt, comment avait-elle été terrassée à l'époque. Je laissais cette question de côté et continuais à explorer les environs.

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