Chapitre XXXXIV : Putride dessein, Partie 3

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 Plusieurs fois durant notre retour au centre de commandement, j'avais failli perdre les filles, secoué par les habitants qui, quelques heures après le retour du soleil dans leur cité, fêtaient allègrement la chute de la Reine Sombre. Je devais pour une fois reconnaître que la méthode très singulière d'Evialg et de Teïnelyore, concernant la résolution d'un problème, s'était avérée très efficace, et les résultats avaient été immédiats. Je savais que j'allais prendre le temps d'écrire et de raconter dans mon carnet de voyage, ce qui nous était arrivé ce matin : ce n'est pas tous les jours qu'on libère toute une ville du joug maléfique d'une despote folle.

 Peut-être même, pensais-je, que mon nom allait rentrer dans l'Histoire grâce à cela, bien entendu, je ne participais pas à ce périple pour la renommée ; néanmoins, je n'étais pas contre figurer dans des bouquins ou sur des statues, bien que j'aurais été quelques cycles plus tôt, dans l'incapacité totale de m'imaginer ici, reconnu comme étant un héros. Moi, je ne souhaitais à la base qu’errer dans les champs, me faufiler entre buissons, fougères et autres arbustes, jusqu'à faire la découverte d'une racine ou d'une fleur rare, puis inventer un remède à l'aide de cette dernière ; peut-être aurais-je alors été surpris par l'affliction qui se répand aujourd'hui sur Mithreïlid.

 Néanmoins, peut-être que la vie sans danger que je me destinais à entreprendre aurait finalement causé ma perte prématurément, peut-être que je me trouvais actuellement, à la place à laquelle je devais me trouver ; je me fourvoyais sûrement lorsque je m’étais retrouvé perdu dans la mélasse, crachant sur les attitudes trop souvent vindicatives de mes deux compagnes de route. Peut-être que ce Monde avait en réalité besoin d'une bonne claque pour que tout redevienne normal, et dans ce cas, j'avais eu énormément de chance de croiser les destins tumultueux de Teï' et d'Evi'.


 Une surface moelleuse et rebondie me faisait quitter mes songes, je venais de percuter le fessier de Teïnelyore qui s'était arrêtée juste avant d'entrer dans l'allée conduisant au pied de la Tour, elle se retournait vers moi, tandis que je faisais un pas en arrière, me méfiant d'un retour rapide de main de cette dernière, mais elle se contentait de souffler, elle s'étirait, faisant craquer toute sa masse osseuse, saisissait la main d'Evi', puis continuait d'avancer.

 Sur notre passage, les miliciens nouvellement postés ici, se mettaient au garde à vous, levaient leurs armes au ciel, tandis que deux soldats surveillant l'immense porte, l'ouvraient avant que nous n'arrivions à son seuil, annonçant par là-même l’entrée de Teïnelyore. Toutes les personnes présentes se mirent à l'arrêt et saluèrent leur Reine, c'est avec un rire caractéristique que Teï' s'introduisit dans le hall, et retourna la politesse au personnel.

 Un valet s'approcha de notre camarade, lui signifiant que les représentants qu'elle avait convoqués, attendaient dans la Grande Salle ; sans savoir de quel lieu parlait-il, j'imaginais qu'il devait s'agir de la pièce dans laquelle allait avoir lieu la fameuse réunion, en tout cas, l'homme semblait vouloir nous y guider, gravissant d'un pas hâtif les premières marches de l'escalier qui se trouvait face aux comptoirs.

 Nous atteignions le couloir du premier étage, bien plus gaiement meublé que le dernier palier de la Tour, où une ambiance plus plaisante régnait... Tout du moins, les visiteurs n'auraient pas fui immédiatement. Le valet s'arrêta face à une double-porte sur laquelle étaient sculptées diverses figures et formes, Teïnelyore elle aussi interrompit sa marche puis se retourna vers nous.

 « Bon, les formalités et mondanités, je vous les épargne, hein. Se raclait-elle la gorge.

– Ça ira pour toi ? Lui demandait d'une voix chaude Evi'.

– Oh, il va falloir que je m'y habitue de toute façon... Je suis Reine, après tout, si je n'arrive pas à m'exprimer correctement, que vont-ils penser de moi ?

– Tu as raison, hahaha. Riais-je. C'est bien de vouloir prendre le minotaure par les cornes. Tu ne peux plus revenir en arrière après ton si beau discours.

– Ils n'ont pas intérêt à être désagréables, sinon...

– Je suis sûre que tu vas y arriver. La coupait Evialg. Tu as ça en toi, tu l'as déjà fait, puis je serais là pour toi après ta réunion. Je suis certaine qu'ils sauront se tenir correctement en ta présence. Tu n'auras pas à distribuer des baffes, cette fois-ci.

– Ça ferait mauvaise impression, en plus. Puis, après le règne d'Irasandre, un nouveau régime autoritaire ne ferait plaisir à personne. Il n'empêche que cet exercice va te permettre d'améliorer tes notions en diplomatie. Je changeais alors de ton. Moins de baston, plus de discussion.

– Oui oui... Enfin, sans quelques torgnoles, nous n'en serions pas là, et les gens qui m'attendent, eux non plus. Relativisait Gnas. Bon en parlant d'attente, à force, ils vont finir par s'impatienter. Je dois mettre le paquet maintenant, comme ça, nous pourrons voyager sans nous préoccuper de la cité.

– Bon courage ma Déesse. Glissait Evialg, puis l’embrassait langoureusement. Je vais penser à toi, promis !

– Sois forte ! Lui adressais-je à mon tour. Ne t'inquiète pas pour nous, nous trouverons quelque chose à faire pendant ce temps.

– Oh, mais c'est vrai. Mon brave. Teï' interpellait le valet. Pendant mon entrevue, pourriez-vous amener mes deux amis dans un endroit où ils pourront se détendre et veillez à ce qu'ils ne manquent de rien.

– Ça sera fait, Majesté. Répondait-il en s'inclinant.

– Majesté. Gloussais-je, immédiatement foudroyé du regard par Evialg. Oh ça va, c'est juste marrant d'entendre ça.

– Allez, quand il faut y aller, il faut y aller. Teï' se concentrait et faisait apparaître son aura scintillante. Gnas, est dans la place. Elle hochait la tête à l'homme, qui lui ouvrait les portes, elle nous adressait un sourire puis disparaissait dans la pièce.

– Si vous voulez bien me suivre. Nous proposait alors le valet, tout en refermant l'entrée de la salle de réunion.

– J'espère qu'on ne va pas devoir encore grimper des escaliers. Maugréais-je, tout en tâtant mon estomac qui grognait, ce dernier entamant la digestion du festin avalé plus tôt.

– Tu es vraiment insortable. Me lançait Evi'. Tout ça parce que ton ventre risque de traîner au sol et de polir les marches.

– Comment tu as dev... Je m'interrompais, comprenant qu'elle se moquait de moi.

– J'en étais sûre. Rigolait-elle. Ce petit monsieur a les dents du fond qui baignent et refuse une petite balade digestive. C'est fort dommage. Hahaha.

– Si j'étais assez grand, je t'aurais fait goûter à mon front.

– C'est bien que tu précises « si j’étais assez grand », parce qu'actuellement, la menace je ne la... Aïe !

– On fait moins la fière, maintenant. Je venais de lui pincer la cuisse et pensais m'en tirer comme ça.

– Oh toi. Elle me soulevait sans le moindre mal, et me secouait de bas en haut. Ce n'est pas malin d'embêter les grandes personnes, surtout quand on est aussi rond qu'un petit porcelet engraissé, qui sort tout juste de table.

– Je ne le referai plus ! Je ne le referai plus ! M'empressais-je de crier, pour qu'Evialg me repose au sol. Je suis tout remué maintenant, j'ai la nausée.

– Allez, n'exagère pas et tiens-toi bien. Me disait-elle en m'infantilisant, tout en désignant des yeux le valet qui ne s'était pas arrêté pour autant. Tout le monde va finir par te prendre pour un sauvage sinon.

– Nous y sommes. Notre guide ouvrait à nouveau une double-porte. Je vous laisse, désormais.

– Merci ! »


 Nous venions d'être escortés jusqu'à une somptueuse pièce très lumineuse, dont l'ameublement semblait avoir été pensé pour séparer le lieu en plusieurs espaces. Un premier coin salon, était délimité par un immense tapis sur lequel deux sofas couverts de coussins formaient un angle autour d'une petite table en bois, une étagère remplie de livres s'appuyait contre un pan de mur, l'autre pan était occupé par une longue tapisserie brodée qui tombait derrière une commode garnie de diverses amphores et bouteilles, verres à pied ou simples godets, cet espace s'arrêtait face à de larges portes-fenêtres donnant sur un balcon surplombant les toits de la ville, équipé de tables et fauteuils en pierre et en bois.

 L'autre espace de la pièce était destiné à accueillir une grande table surmontée d'une plaque de verre et entourée d'une dizaine de sièges épais et rembourrés. Un panier de fruits multicolores attendait que l'on vienne y piocher son délicieux contenu. Outre ces quelques éléments de mobilier, de grandes plantes trônaient çà et là, flétries par le manque de luminosité qui sévissait jusqu'à lors, s'en dégageait une odeur toute aussi enivrante que nauséabonde, cette fragrance additionnée à celle de la cire utilisée pour l'entretien des meubles et de celle des boisures créaient un mélange étrangement agréable, que j'aurais pu attribuer à celui d'un tapis de feuilles mortes et de la sylve l'environnant.

 Evialg prit à peine le temps de considérer l'ameublement du lieu et s'empressa de foncer sur un des sofas et de s'y affaler, s'étirant dans les coussins moelleux, retirant ses bottes sans l'aide de ses mains et dégrafant les manches de sa tenue qu'elle jetait au sol, accompagnant cette succession d'actions de quelques bâillements ; quant à moi, je venais de prendre place sur un des sièges encerclant l'imposante table, récupérant le tome traitant de la Mythologie Mithreïlidienne, qu'Eruxul m'avait remis auparavant.


 La couverture de ce dernier, avait subi les usages du temps, et tandis que je sautais le sommaire, et tournais les premières pages cornées et abîmées de l'ouvrage, son contenu lui, semblait comme un total renouveau pour moi. Avant de poursuivre ma lecture, j'allais directement à la fin du grimoire, afin de prendre connaissance de l'année de parution dudit livre. «502ème Cycle de l'ère de Mithreïlid », si je me souvenais bien, nous étions actuellement au 761ème Cycle, ce recueil avait donc été écrit après le siècle de la Grande Nuit, qui s'était produit entre le troisième et quatrième cycle de notre ère. Je retournais au sommaire, et y cherchais en particulier un chapitre concernant la Grande Nuit ; après avoir trouvé la référence, je feuilletais l'ouvrage pour arriver à la bonne page et entamais ma lecture.


 « Nul ne sait quand, a exactement débuté la Grande Nuit. La complexité de cet événement réside dans le fait que, les symptômes qui le caractérisent, ont commencé à sévir avant que l'Ombre ne s'abatte totalement sur Mithreïlid. La première fois que fut évoquée la Grande Nuit, le continent était déjà affligé par la pénombre et les troubles que l'on attribue à ce sur-cycle maudit : la maladie de la putréfaction et de la mort courante sévissait quelques cycles auparavant, la population avait connu plusieurs famines à cause de récoltes insuffisantes ou catastrophiques, les créatures peuplant Mithreïlid étaient soudainement devenues plus féroces... Tous ces signes pouvaient en effet, être liés à une simple perturbation, à un léger déséquilibre naturel, voire même à la fin d'une ère, à laquelle aurait pu succéder une ère d'abondance et d'harmonie ; le fait est que tout cela aurait pu naturellement se résoudre.

 Cependant, c'est lorsque l'on a découvert la source de ces différents fléaux que l'on a enfin nommé cette époque, le Sur-cycle de la Grande Nuit, et que l'on comprit, que Galarya, la Déesse de la Nature, n'était pas la responsable de ces différents désastres, constatant qu'elle souffrait du même Mal que notre continent.

 En effet, toute modification naturelle influençait la volonté et le jugement de cette Déesse, néanmoins, cette dernière, fut convoquée devant le Conseil des Treize, qui, à cette époque n'était plus que le Conseil des Sept, déserté par les Dieux qui après coup, furent prétendus coupables de cette tragédie. Assemblée durant laquelle, la représentante de la Nature expliqua dans une grande détresse que malgré ses efforts ainsi que ceux de Botesquia et Nautilia, il n'avait pas été possible d'entraver le fléau, et de remettre en ordre le chaos qui s'était installé contre leur gré. Une force plus grande semblait avoir pris le contrôle du destin de Mithreïlid : La magie noire. Le Conseil alors sous le choc, n'avait alors aucune idée de qui pouvait être responsable de ce cataclysme, à l'exception de deux Déesses, qui avaient elles, acquis la certitude que cette apocalypse n'avait pu être déclenchée que par la folie d'une de leur consœur : Hérylisandre.

  Les deux à soumettre au Conseil cette accusation, n'étaient autres que la Déesse Hul et la Déesse Teïnelyore, qui expliquèrent et argumentèrent leurs craintes, en contant les méfaits et crimes qu'avait déjà perpétrés Hérylisandre ainsi que d'autres Dieux, assoiffés d'avoir davantage de pouvoir qu'ils n'en possédaient déjà, cela dans le but d'acquérir par le biais de la Magie Noire, un attribut unique en ce monde : La Vie Éternelle. Ces accusations créèrent la panique dans ledit Conseil, les sept membres alors présents, constatèrent que plusieurs mois durant, les mêmes Dieux manquaient à chaque fois à l'appel, et que cette catastrophe avait finalement dû naître sous leurs yeux. Il leur fallut alors réagir rapidement car le destin de Mithreïlid, semblait menacé plus que jamais. »


 « Evi' ! Tu ne vas pas croire ce que j'ai lu. Je me retournais vers elle. Cette cata... Je constatais qu'elle dormait à poings fermés. Bon bah... »

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