Chapitre XXXXV : Putride dessein, Partie 4

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 Je commençais à saturer du mélange d'odeur qui siégeait dans la pièce. Je quittais la chaise, et me dirigeais vers le balcon, dont j'atteignais la balustrade, l'escaladais et m'y asseyais, les jambes au-dessus des toits de la ville. Je mettais mes yeux face au livre et reprenais ma lecture.


 « Peu de solutions durables fonctionnèrent. En effet, tandis que les Sept Dieux tentèrent de replanter les forêts, de traiter les sols et de guérir les habitants infectés, ou de repousser les assauts perpétuels des créatures ; les responsables de la Grande Nuit, eux, ne cessaient de provoquer des massacres et des guerres dans les zones isolées du continent, tout en pratiquant partout où ils passaient, les mêmes rites funestes et obscurs.


 Malgré les efforts des Dieux cherchant à protéger Mithreïlid, dont les pouvoirs commençaient à faiblir, l'Ombre gagnait du terrain jour après jour. Mithreïlid, à l'instar de toute chose et âme y vivant, mourait à petit feu. Il fut alors convenu qu'éviter l'affrontement n'était plus possible : si le Mal invoqué ne s'estompait pas, il fallait alors l'arrêter à sa source, dans le cas présent, il fut décidé que les Dieux responsables, devaient être tués.


 Une grande chasse commença, les assauts de la Vie, menés par Teïnelyore, bien décidée à endiguer cette apocalypse quitte à devoir occire ses semblables divins, ces derniers n'ayant pas su maîtriser leurs pulsions meurtrières et s'étaient, ce faisant, montrés indignes des pouvoirs qu'ils possédaient. Une carte du continent avait été dressée, tenant compte des régions touchées par le Mal, et celles qui en étaient frontalières.


  Tel que l'avait expliqué la Déesse de l'Amour, il était facile de prédire les mouvements des Dieux corrompus, qui cherchaient en priorité les villages peu habités ou les grands bourgs isolés au cœur de vastes régions, le tout, dans des zones encore non-touchées par les rituels occultes et dévastateurs. Tandis que l'on s'imaginait que cette recherche allait durer de longs cycles, il ne fallut qu'une semaine à Teïnelyore pour analyser la carte et aller exactement à l'endroit où aller se produire le prochain raid visant à étendre l'Ombre sur le Continent. Elle fut alors accompagnée de Botesquia pour mener ce combat contre les Six Dieux corrompus. C'est malheureusement durant cette rixe, que le protecteur des Forêts et de la Sylve, perdit la vie, tandis que cinq des vils Dieux succombèrent.


  La seule à en réchapper fut donc Hérylisandre, qui disparut dudit lieu, ainsi que des histoires et des esprits de tous les habitants de Mithreïlid. On entendit parler à nouveau parler d'elle une centaine de cycles plus tard. Teïnelyore enterra Botesquia au cœur d'un bois et lorsqu'elle revint devant le Conseil, elle jura aux autres membres, qu'à l'instant où le continent se serait remis de cette catastrophe, elle quitterait le Conseil.


 Il fallut de longs cycles avant que les sols ne rejettent la pourriture qui s'y était logée, que les habitants ne cessent de contracter la maladie de la putréfaction, et que les esprits s'apaisent et se rassurent qu'une telle tragédie ne se reproduirait plus jamais. Néanmoins, les Dieux qui avaient survécu perdirent la confiance universelle que les habitants humains dépourvus de pouvoir, leur portaient jusqu'à lors. Les divinités qui n'avaient pas encore fondé de cité, en bâtirent, et s'isolèrent avec leur communauté et derniers partisans humains, loin des regards accusateurs du peuple. Seule Teïnelyore, conserva l'appui et la confiance des Mithrëilidiens, qui nombreux, rejoignirent sa petite ville, devenant par la suite, du fait de sa grande population et des nombreuses extensions qu'elle subit, l'officieuse capitale de Mithreïlid. C'est ainsi que... »


 « BOUH ! Me faisait alors sursauter la voix de Teïnelyore. »


 Elle avait dû s'immiscer dans la pièce sans un bruit et après s'être faufilée discrètement derrière moi, venait de me faire sursauter et par là-même basculer tête la première dans le vide. Ma vie défila devant mes yeux, tandis que les pavés, de nombreux mètres plus bas, se rapprochaient à grande vitesse de moi. J'allais mourir comme ça, surpris en train de lire. L'air filait rapidement sur mon visage, tandis que d'un trait, ma chute se stoppa. Gnas avait dû plonger toutes ailes sorties pour me récupérer.

 « Non mais ça va pas ! Me faire une peur pareille, sans te dire que j’étais assis sur la rambarde et imaginer que j'allais tomber... C'est déb... Je me retournais pour gronder la responsable de ma chute, mais je ne découvrais qu'une chose : deux ailes noires mouchetées de plumes blanches battant, et pas celles d'une autre personne. Les miennes. Waouh !

– Je suis désolée ! Hurlait Teï', penchée au-dessus du rebord, qui à son tour, plongeait dans le vide, dépliant au dernier moment, ses grandes ailes écarlates. Tout va bien ?

– Tu as vu ?! M'enthousiasmais-je, oubliant la raison de ma situation actuelle. J'ai des ailes !!

– Je ne pensais pas que tu allais avoir si peur ! Quelle chochotte...

– Non mais... Tu te rends compte ?!

– Oui oui, c'est très grave et ça aurait pu te tuer... C'est irresponsa...

– Mais non ! Regarde ! J'essayais d'effectuer une acrobatie aérienne, mais provoquais l'arrêt du battement de mes ailes, ne sachant pas trop comment les contrôler, Teï' me rattrapait par la jambe, avant que ma chute ne se poursuive.

– Je comprends ta joie ! Mais quand même, après avoir survécu, cela serait terrible de t'écraser au sol comme une crêpe ! Riait-elle.

– Comment tu fais toi ?

– Pour ne pas tomber ? Bah, j'essaye avant tout de ne pas sauter dans le vide.

– Mais non ! Pour voler. Comment tu fais pour commander tes ailes ? Lui demandais-je, la tête toujours orientée vers les pavés.

– Ah ! Il faut imaginer que tu ais une seconde paire d'épaules, mais dans le dos, puis essaye de faire des petits ronds avec, et après tes ailes devraient suivre, normalement !

– D'accord, j'essaye. Je me concentrais afin d'identifier la zone de mon dos dont elle me parlait, ce n'était pas aussi simple qu'il n'y paraissait, je finissais par sentir mes ailes bouger, mais seulement par petits à coups nerveux et maladroits. Comme ça ?

– Oui c'est ça, il faut maintenant que tu fasses des cercles ! Me conseillait-elle.

– C'est dur ! J'imaginais un cercle et tentais de le dessiner avec cette nouvelle partie de mon corps, après quelques tentatives maladroites, enfin, mes ailes se mettaient à battre, j'avais tendu mon bras à Teï' qui l'avait saisi, et ma tête se retrouvait enfin à l'endroit.

– Je peux te lâcher ? Tu vas y arriver maintenant ? Me demandait-elle.

– Oui, ça y est ! J'amplifiais l'intensité du mouvement, et m'élevais jusqu'au balcon, sur lequel je tombais, à défaut de réussir à atterrir correctement.

– Bon, je ne te ferais plus jamais peur... Elle se posait avec délicatesse sur la rambarde. Je ne pensais pas que tu allais te laisser tomber dans le vide. Me lançait Teï', en me tendant le livre qu'elle avait dû aller ramasser dans la rue. Cela dit... Tu y as gagné une paire d'ailes.

– Je les avais déjà avant, je te signale... Elles étaient plus petites c'est tout. Maugréais-je.

– Oui, enfin, elles n'avaient en rien l'air d'ailes, c'étaient plus des moignons moches sans utilité. Elle quittait le rebord du garde-fou. Maintenant... C'en est des vraies.

– Par contre...

– Quoi ?

– Je ne sais pas comment les replier. J'essayais diverses méthodes, mais j'arrivais seulement à faire vibrer mes ailes, tandis que Teï', comme pour se vanter, les ouvrait en grand puis les refermait, et enfin, s'en entourait. C'est ça, fais la maline.

– Mais tout à fait, c'est ce que je fais. Je te signale en plus, que moi ce sont des ailes de Dragon que j'ai, pas de piaf ! Elle riait à gorge déployée.

– Nyanyanya. Cela ne t'empêche pas d'avoir une cervelle de moineau.

– Oh, mais qu'entends-je ? Serait-ce de la jalousie ?

– Et bien, vous avez l'air de bonne humeur. Commentait Evi', qui baillait, s'extirpant de la torpeur, apparaissant sur le balcon. Oh mais, tu as des ailes maintenant, toi ? S'étonnait-elle.

– Oui ! Ça y est, elles ont fini par se développer.

– Même s'il ne sait pas s'en servir... Gloussait Teï'.

– Elles ont poussé comme ça ? M'interrogeait Evialg, surprise.

– Disons qu'il a fallu un déclencheur... Balbutiais-je.

– Un déclencheur ? Poursuivait-elle de me questionner.

– Le nain a eu une grosse frayeur, il est tombé du balcon. Soufflait Teïnelyore.

– Tu oublies de dire que c'est toi, qui m'a fait sursauter.

– Quelle idée de lire si près du vide aussi. Puis, tu aurais pu m'entendre arriver. Je n'y peux rien, moi.

– Quoi qu'il en soit, le résultat est positif. Evialg rejoignait Teï', et allait enfouir son visage dans son cou, Teïnelyore l'entourait de ses bras puis de ses ailes. Elle s'est bien passée ta réunion ?

– Ah ! Oui. Les divers représentants ont tous passé plusieurs minutes à me remercier. Il était grand temps que nous arrivions pour les sauver car plus rien n'avait l'air d'aller ici. Ils semblaient tous si heureux de pouvoir m'aider à gérer la ville. Personne n'a ronchonné, alors, je dois dire que tout c'est pour le mieux passé. Nous pourrons partir pour le village des féliciennes dès que nous le souhaitons. Tous les préparatifs sont faits.

– Je n'imaginais pas que cela allait si promptement se réaliser et si bien s'imbriquer. M'enthousiasmais-je à l'idée de pouvoir si vite retrouver Decadrys.

– Je savais que tu allais réussir, mon cœur. Evialg l'embrassait.

– En plus, maintenant que le nain-ailé est vraiment pourvu d'ailes, nous allons pouvoir voyager bien plus rapidement.

– Oui, enfin. Evialg faisait la grimace. Moi, je n'en ai pas d'ailes. Alors pour voler... Ça va être compliqué.

– Ne t'en fais pas, mes ailes sont bien assez robustes pour supporter nos deux poids. La rassurait Teï'. Tu pourras continuer ta sieste comme ça, je ne voulais pas te réveiller. Elle minaudait en frottant son nez contre celui d'Evi'.

– J'imagine que si cela nous prenait plus de deux jours et demi de marche pour atteindre Ilyohelm en partant du village des féliciennes, en volant, seulement quelques heures devraient être suffisantes. Remarquais-je.

– Ça c'est en tenant compte du fait que tu tiennes le coup, Tne'. Me rappelait-elle. Tes ailes sont si récentes, on ne sait même pas si vas pouvoir supporter de voler pendant si longtemps.

– Puis, si tes ailes cessent de battre et que tu dégringoles du ciel, la chute pourrait être fatale. Il faut que nous soyons assurés que cela ne risque rien. S'inquiétait Evi' en levant ses yeux blancs vers le soleil. Il ne faudrait pas non plus qu'une bourrasque te balaye. Ça serait bête, reconnais-le. Venait-elle de dire, tout en abaissant le front dans ma direction. Après, si tu nous préviens au moment où cela ne va plus, nous pourrons toujours faire des pauses, je suppose.

– Non, je pense que nous pouvons réussir à atteindre le village sans trop de problème. Les rassurais-je. J'ai un fortifiant à prendre que je me suis concocté. Je faisais alors allusion au mélange que j'avais préparé dans la taverne où les repas étaient immondes. Il s’agissait du philtre contenant de la bière, du sang appartenant à Teï', ainsi que quelques plantes. Je pense que cela me suffira.

– Nous verrons bien. De toute manière, on ne peut pas savoir sans essayer. Je vais prévenir que nous partons. Je fais vite. Teïnelyore quittait le balcon et se dirigeait vers la porte d'entrée du salon, elle l'ouvrait et échangeait quelques mots avec le valet qui devait avoir attendu tout ce temps dans le couloir, elle revenait. Bon, c'est réglé, nous pouvons décoller d'ici, et maintenant.

– Tu ne souhaites pas rester plus longtemps ? Demandait Evi' à Teïnelyore. Nous pourrions comprendre, Tne' et moi, si tu souhaitais passer davantage de temps ici. Semblait-elle vouloir s'assurer.

– Non, l'aventure, c'est ce que je recherche actuellement. Je ne suis pas prête à faire du sur-place. Nous confiait-elle, résignée. Puis, ce qui menace actuellement Mithreïlid, nous menace tous quoi qu'il en soit, c'est donc notre priorité, je crois. Autant continuer à améliorer les choses. Cela nous réussit bien ! J'ai envie de découvrir à quoi peuvent bien ressembler les léviathans. Pas vous ? S’esclaffait Teï'.

– Oh que oui. Toute cette histoire m'a rendue curieuse maintenant. Je veux moi aussi voir les léviathans.

– Je crois que c'est à l'unanimité que nous avons été conquis par l'idée de sauver le continent. Alors allons-y ! M'exaltais-je.

– Je pense que nous ne devrions pas être gênés par les nuages... Constatait Evi' qui venait de scruter l'horizon. Tu essayes de ne pas tomber, hein Tne' ? »

 Teïnelyore s'assurait de ne rien avoir oublié avant de partir ; je m'apprêtais à faire usage pour la première fois de mes ailes, j'avais plus hâte que jamais de pouvoir savourer cet instant unique. Evi' se lovait dans les bras de Teï', qui venait de faire ré-apparaître ses ailes et les dépliais majestueusement.

  J'en faisais tout autant, avec la classe en moins, étant toujours un peu brouillon quant à leur utilisation, et allais escalader la balustrade pour pouvoir me laisser chuter et prendre mon envol. Tandis que je me hissais précautionneusement sur le garde-fou, et que mes doigts se serraient autour de la rambarde en pierre, Teï' plongea tête la première et les ailes repliées dans le vide avec Evi' dans les bras, elles filaient à grande vitesse à la verticale et ce n'est que quelques mètres plus bas, que Teïnelyore déploya ses immenses ailes rouges, et redressa ainsi sa trajectoire pour voler à l'horizontale.

 Je grimpais, baissais les yeux vers le pavage de la rue, et après avoir hésité de peur de m'écraser au sol, j'imitais Gnas et piquais en direction du sol ; un frisson morbide me sillonna le dos, j'imaginais le pire à mesure que je chutais, je pensais que j'allais vraiment finir aplati sur les dalles de l'avenue, déclenchant les hurlements - ou le rire - des passants à la vue de mon corps disloqué et mâché à cause de la hauteur de laquelle je m'étais imprudemment élancé...

 Mais non, l'air chaud se dégageant de la ville s'engouffra sous mes plumes et me propulsa plusieurs mètres plus haut, j'avais l'impression de vivre les plus belles sensations qu'un éternel marcheur - de petite taille, qui plus est - pouvait connaître : le vent frappant ma peau et se glissant sur mon visage, les souffles puissants générés par mes battements d'ailes, voir les arbres et édifices depuis le dessus, et se déplacer à très grande vitesse, sans même avoir à faire d'effort. Je voulais désormais compenser l'avance que Teï' avait prise.

 Je visualisais mieux cette rotation que mes « fausses-épaules » effectuaient sans cesse pour me maintenir en l'air afin de ne pas perdre d'altitude, j'arrivais à en augmenter la cadence et essayais de faire des mouvements plus amples ; le résultat fut immédiat, je venais d'accélérer promptement, et me retrouvais après quelques battements supplémentaires, côte à côte avec Teï' et Evi'.

 Evialg me fit un signe de la main, puis se blottit à nouveau contre Teïnelyore, l'entourant fermement de ses bras. Cette dernière constatait ma présence, et après m'avoir souri, amplifia ses mouvements avec puissance, créant des trous d'air après chaque brassée exécutée par ses ailes. Sa position changeait, elle était désormais complètement à l'horizontale, seul son visage semblait orienté vers les champs que nous survolions, elle gagnait progressivement en vitesse. Au bout de quelques minutes de vol, j'avais l'impression que ma perception du ciel s'était améliorée, je pouvais désormais sentir les courants d'air chaud, j'en profitais pour rattraper les filles petit à petit, admirant le paysage défilant bien en-dessous de moi. Voyager allait devenir encore plus agréable qu'avant, j'étais enfin libéré de ma trop courte paire de jambes.

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