Chapitre IV : Le regard du Juste, Partie 2
Je n'en pouvais plus, entre les chemins tortueux, les deux mauvaises nuits passées et les regards remplis de mépris à mon égard, je commençais à en vouloir à mes parents de m'avoir envoyée si loin du Bourg. Au moins auraient-ils pu me prévenir de ce que j'allais voir, car bien que je fusse consciente que j'allais être dépaysée, je n’imaginais pas l’être à ce point-là. J'avais hâte de pouvoir enfin me poser dans un espace où l’on n’allait pas me juger pour mon apparence.
Cette pensée me mettait mal à l'aise, pourquoi un jugement si hâtif m'était-il témoigné ? Je n'avais de rancœur envers personne, j'étais seulement attristée de constater que la belle vie que notre village menait, n'était qu'une tour d'ivoire, et qu'au pied de cette dernière, la misère et l'envie s’étendaient. Je pensais à tort, que le monde était un endroit paisible, où les gens étaient compréhensifs les uns envers les autres, que ce que nous accomplissions chez nous sans nous poser de question était aussi ce qu'il se passait dans tous les autres hameaux... Mais non.
Je perdais mon regard dans le ciel orangeâtre, le soleil déclinait et allait bientôt se coucher derrière les champs, ces derniers brillaient de l'éclat doré et ocre de l'astre solaire. Aussi, je pouvais enfin apercevoir les premières fumées s'élevant des cheminées sûrement tout juste allumées de notre première destination. J'étais épuisée, et je ne pensais plus qu'à une seule chose : m'étendre dans un lit douillet et dormir jusqu'au lendemain, sans avoir peur de me faire détrousser durant la nuit. C'était la première fois que je ressentais ça, et bien que je ne m'étais en rien faite menacer, je sentais cette crainte alourdir ma conscience : étais-je réellement apte à résoudre les problèmes, ou avais-je juste de la chance d'être née dans un endroit où l'on s'écoutait les uns les autres ?
Je me mettais à douter de ma réussite, alors que cela ne m'était jusqu’à présent jamais arrivé, je me souvenais même de mon état avant de partir : j'étais pressée de voir de nouveaux paysages et rencontrer de nouvelles personnes, tandis que j'étais désormais oppressée par cette immensité et ces nouveautés qui me choquaient à chaque fois que je détournais le regard du chemin que nous parcourions. Avais-je juste eu le malheur de croiser les mauvais regards ? Allais-je être confrontée à pire ?
Nous atteignîmes enfin l'enceinte branlante du village de l'un des trois seigneurs que je devais rencontrer. Nous étions arrêtés par deux gardes.
« Halte là, les voyageurs ne sont pas admis s'ils ne sont pas des commerçants ou invités à se présenter ici.
- Bonsoir. Répondais-je. Mon escorte et moi sommes ici selon requête de votre seigneur. Je tendais la missive qu'avait retourné le baron du lieu. Je m'appelle Hérylisandre, je suis la fille des seigneurs Sandre du Nord.
- Laissez-moi regarder. Un des hommes saisissait la lettre signée. Je vois, en effet, vous étiez attendue. Il me la redonnait. Si vous voulez bien me suivre.
- Oui, nous vous suivons. »
Nous progressions lentement entre les habitations, une fois de plus, je constatais l'état piteux des guêtres des locaux, tous les regards se tendaient vers nous, les messes basses de tous les habitants ne me réconfortaient pas, je lisais dans leurs yeux les mêmes interrogations qu'au préalable, et constatais aussi que le lieu n'était vraiment pas très agréable. Une odeur dégoûtante me parvenait aux narines : les gens jetaient leurs déchets un peu partout dans la rue, les écuries et porcheries avoisinaient les maisons, je ne comprenais pas que l'on puisse tolérer ça.
Toujours est-il que nous faisions désormais face à un rempart en dur, qui devait sûrement séparer les habitants de la maison du seigneur. On nous faisait signe d'avancer, et nous pénétrions dans une cour pavée, laquelle était bordée par une demeure aussi large que haute, qui faisait tache au milieu des chaumières vétustes que nous avions croisés auparavant. Des domestiques s'approchaient de nous, saisissaient les harnais de nos montures, tandis que nous en descendions. Tandis qu'elles étaient mises dans une étable, un homme vêtu de façon somptueuse s'avançait vers mon équipée, et nous saluait.
« Bonsoir Demoiselle Sandre. Je constate que vos parents ont bien reçu ma demande. Je suis le baron Poing-De-Fer, et ceci est mon village.
- Enchantée, je me nomme Hérylisandre, j'espère pouvoir mener à bien la tâche qui m'a été confiée.
- Je n'en doute pas. Vos parents n'ont pas tari d'éloges à votre égard. Riait-il. Néanmoins, je ne m'attendais pas à voir une jeune femme si belle.
- Oui... Soufflais-je, sans savoir quoi répondre. Veuillez m'excuser, mais le périple n'a pas été de tout repos, je doute pouvoir tenir bien longtemps ce soir.
- Je comprends, laissez-moi vous conduire à la salle de réception, si vous souhaitez manger, je vous montrerai vos quartiers par la suite. »
L'homme se retournait en direction de la porte d'entrée en bois massif, et froissait un immense tapis rouge de ses pieds. Un hall rempli de décorations s'ouvrait à nous, tout était chic et luisant, il ne s'arrêtait pas, et pénétrait dans une grande salle illuminée, laquelle était bardée de tableaux et en son centre, une immense table prenait place. Des valets nous invitaient à nous asseoir, les trois membres de mon escorte d'un côté, tandis que j'étais placée à quelques mètres du baron. Sans que nous n'ayons rien à dire, plusieurs plats fumants étaient disposés ça et là sur la surface lustrée. On me proposait du vin, que je refusais poliment. Voir toutes ces victuailles, en trop grandes quantités pour le petit nombre que nous étions, me chagrinait, surtout quand je repensais à toutes ces gens qui, quelques maisons plus loin, semblaient ne pas manger à leur faim.
« Vous n'avez pas faim ? M'interrogeait le baron. Quelque chose ne va pas ?
- Non non, tout va bien. Je me servais une assiette garnie de plusieurs aliments très appétissants. Je...
- Vous ?
- Non rien... Je me voyais mal lui demander ce qu'il pense des gens qui meurent de faim. Je suis juste un peu fatiguée, il m'arrive de m'égarer dans mes pensées.
- Faîtes à votre guise. Prenez ce que vous voulez, je comprends que la route puisse être éreintante. »
Je mangeais, sans vraiment être attentive à mon hôte, j'étais un peu perdue. Je ne comprenais pas que l'on puisse se gaver de telle sorte, tandis que ses voisins meurent de faim, néanmoins, je n'étais pas venue ici pour ça. Bien que cela me chagrinait au plus haut point. Je trouvais cela plus injuste que n'importe quoi. J'essayais quand même d'être un peu plus conviviale.
« Pouvez- vous m'expliquer la raison qui m'amène ici, baron ?
- Oh. Scrounch. Oui. Scrounch. C'est... Scrounch. L'homme avait l'air d'hésiter entre finir sa bouchée et parler, cela me répugnait un peu. Non loin d'ici, il y a une parcelle de roche qui regorge de fer et d'autres métaux. Je fais venir des mineurs pour extraire les ressources, que nous faisons fondre dans nos forges, puis nous les revendons sous forme de lingots à des cités qui ne possèdent pas de mine à leur proximité.
- Elles sont loin ces cités ?
- Oh que oui. En principe, nos chariots mettent cinq jours pour les atteindre.
- Et les villages voisins alors ?
- Eux, je ne veux pas en entendre parler. Il venait d'hausser le ton. C'est MA mine. Je ne vois pas pourquoi je devrais partager MES ressources. Il insistait très clairement sur le fait que ce mont soit sien. Aussi, je fais escorter les mineurs qui partent récolter les filons désormais.
- Comment ça ?
- Et bien, si mes gardes croisent des ouvriers de mes voisins, ils les chassent et les menacent. Pour qu’ils ne s'habituent pas ainsi à piller mes ressources.
- Les deux autres bourgs sont aussi collés à la mine, pourtant, non ? Essayais-je de comprendre la situation. De ce fait, ils auraient aussi le droit de ponctionner un peu de minerai, non ?
- Peut-être, mais c'est ma mine, j'étais le premier sur les lieux. Donc non. Ils n'ont pas ce droit-là.
- J'ai bien entendu, oui. Il commençait à m'agacer, ma fatigue n'arrangeait rien. Auriez-vous une carte des alentours, sur laquelle vous pourriez m'indiquer les emplacements exacts de la mine, ainsi que de vos deux voisins ?
- Oui, je dois pouvoir vous faire quérir ceci. Il criait. HECTOR ! HECTOR ! Nom d'un chien mais il dort ou quoi ? HECTOR !
- Oui, monsieur ? Venait d'arriver le domestique, qui s'exprimait d'une voix calme. Que Monsieur désire-t-il ?
- Ah Hector. Vous voilà. Mademoiselle Sandre, ici présente, souhaiterait que vous lui annotiez une carte locale avec la position de ma mine ainsi que de mes deux gêneurs de voisins.
- Très bien Monsieur, cela sera fait.
- Tout de suite Hector. Grommelait le baron.
- Bien Monsieur, j'y vais de ce pas. L'homme disparaissait.
- Nous ne sommes pas aidés pardi. Il mettait une cuillère trop remplie dans sa bouche, et je prêtais à moitié attention à lui. Parfois, je me dis que ces gens n'auraient vraiment rien pu faire d'autre que domestique. Vous ne pensez pas, Hérylisandre?
- Je vous demande pardon ?
- Je vous disais, que je trouvais mes servants un peu idiots et simples. Que si je n'étais pas été venu ici, ils seraient sûrement devenus des manants sans intérêt.
- Je ne sais pas. Peut-être auraient-ils eu une vie bien différente, aussi je ne les connais pas assez pour les juger de la sorte.
- Me revoilà. Annonçait le valet, rentrant à nouveau dans la salle de réception, s'approchant de moi. Et voici votre carte, Demoiselle Hérylisandre. Il me tendait le morceau de carte annoté. Peut-être souhaiteriez-vous que je vous énonce quelques détails ?
- Allons Hector, elle n'est pas si...
- Si cela ne vous ennuie pas, j'aimerais bien oui.
- Très bien, Demoiselle Hérylisandre. Vous et votre escorte êtes arrivés par ici. Il faisait courir son doigt sur le papier, me désignant un premier chemin. La mine que convoite le baron, elle, se situe ici même. Il entourait de l'index une zone qu'il avait marquée d'un cercle. Les deux villages voisins eux, sont disposés ici. Il avait fait une croix au premier endroit. Ainsi que là. Il me montrait la deuxième croix. Pour vous y rendre, vous devrez emprunter le sentier par lequel vous êtes arrivée, et bifurquer à ce croisement ci. Il avait indiqué la position par une flèche sur la carte. Les deux hameaux voisins seront les deux sur la même route, vous n'aurez qu'à faire une étape au premier et poursuivre votre route au second. Est-ce assez clair ?
- Tout à fait, je vous remercie Hector. Lui adressais-je, accompagné d'un regard sincère. Tout est bien clair. Je prenais le temps d'inspecter le papier. Pour ainsi dire, je remarque que vos villages sont tous les trois à même distance les uns des autres, encerclant la montagne en trois points.
- Il doit s'agir d'une facétie de mes deux arrivistes de voisins. Qui ont sûrement estimé qu'ils allaient pouvoir jouir des bénéfices de cette mine. Les idiots !
- Très bien. Je partirai demain à la rencontre d'un de vos voisins, et après-demain, j'irai voir votre deuxième vis-à-vis. Donc dans trois jours, il faudra imaginer une rencontre entre vous trois et moi. Aussi, d'avance, je vous donne rendez-vous devant la mine dans trois jours. Cela vous convient-il ?
- Oui cela me va. Même si je suis sûr que vous trancherez en ma faveur, lorsque vous aurez vu à quels idiots et bouseux vous allez avoir à affaire. Grondait-il.
- Cela étant dit, je vais me retirer je pense. Je suis exténuée. Pourriez-vous me conduire à ma chambre ?
- HECTOR ! Hurlait-il alors que l'homme était encore dans la même pièce. Accompagne Mademoiselle Sandre à ses quartiers.
- Très bien, Maître.
- Je vous remercie pour ce repas, baron. Peut-être nous croiserons-nous demain matin, avant que je ne parte.
- J'en doute. Le matin, je dors. Je pense que nous nous reverrons dans trois jours, devant la mine. »
Cette phrase avait coupé court la conversation, aussi, fis-je signe de bonne nuit à mon escorte, et suivis Hector dans les couloirs éclairés de chandeliers fixés au mur. Le parquet en bois était recouvert de divers tapis mis bout à bout, et bien que le corridor fût décoré de plein de tableaux, vases et meubles raffinés, je trouvais tout ceci bien scandaleux. J'avais l'impression d'avoir eu affaire à un monstre, dénué de tact été de manière. Le domestique avançait, silencieux, une bougie dans la main. Je n'osais pas lui parler, aussi me contentais-je de le suivre pas à pas, jusqu'à ce qu'il ouvre une grande porte, et qu'il s'engouffre dans l'ouverture de cette dernière. Il allumait plusieurs candélabres qui donnait à la pièce un éclat charmant et accueillant, il finissait par embraser de sa bougie une lampe à huile posée sur une table de chevet et se dirigeait vers la porte où je me tenais encore.
« Je vous souhaite une excellente nuit Mademoiselle Sandre.
- Merci encore pour vos explications Hector.
- C'est moi qui vous remercie. J'ai bien entendu les propos peu flatteurs à mon égard prononcés par le baron, et j'ai aussi pris note de vos mots.
- C'est naturel, vous savez.
- Oh que non. Il semblait déçu. Quand on a le même rang social que le baron, on se permet tout et n'importe quoi en matière d'irrespect. Aussi, je vous admire, vous qui venez d'une famille très puissante, vous semblez avoir banni les tares liées à cette élévation.
- J'essaye simplement d'être juste. Soufflais-je.
- Et bien, continuez ainsi, si je puis me permettre. C'est une qualité qui se fait de plus en plus rare sur Mithreïlid. Aussi, je ne veux pas vous ennuyer davantage, vous semblez vraiment épuisée. Demain matin, n'hésitez pas à venir me quérir, je serai aux écuries, mais j'aurais le plus grand plaisir à vous préparer un repas.
- Merci pour tout, Hector.
- Dormez bien, demoiselle Hérylisandre. Il quittait la chambre et refermait la porte derrière lui.
- Attendez ! M'empressais-je de solliciter le valet.
- Oui ? Vous faut-il quelque chose de plus ?
- Les voisins du baron... Ils sont...
- Ils ne sont pas aussi terribles et sous éduqués que le Maître le prétend.
- Ah... Il avait répondu à ma question sans que je ne la pose.
- Ce sera tout ?
- Oui, merci. Bonne nuit Hector. »
Le majordome disparaissait en fermant la lourde porte derrière lui, aussi pouvais- je enfin profiter d'un lit dans lequel j'allais sûrement bien dormir. Je soufflais sans attendre sur les deux réceptacles sur pied à bougies, et sautais tout droit sur l'épaisse couverture où, avant même que j'ai le temps de me déshabiller ou d'éteindre la lampe à huile, sombrais dans un profond sommeil.
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