Chapitre V : Le Regard du Juste, Partie 3

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C'est complètement revigorée que je me réveillais, quelques heures plus tard, à plat ventre sur l'édredon. Cela m'avait manqué de passer une aussi bonne nuit, même si j'avais l'impression que quelqu’un m'ait parlé durant mon sommeil. Néanmoins, j'avais simplement dû rêver et je ne me posais pas davantage de question. Je ne l'avais pas remarqué la veille, du fait de l'obscurité, mais à droite du lit prenait place une grande fenêtre qui donnait vue sur une forêt, dont les faibles rayons du soleil matinal, traversaient les branches et feuilles, décrivant de longs halos dorés.


 La pièce où je me trouvais sentait l'huile chaude, et je commençais à avoir faim. Je quittais le lit, m'étirais et empruntais le couloir dans la direction par laquelle j'avais été escortée la veille. La bâtisse était très silencieuse, et je pouvais percevoir le crépitement du feu qui devait être allumé dans la cheminée de la grande salle où nous avions dîné la veille. Je traversais cette dernière, rejoignais le hall d'entrée et profitais que l’imposante porte d'entrée soit ouverte pour sortir dans la cour et rejoindre les écuries, qui faisaient face à la demeure du baron.


Je rentrais dans le local abritant les flâneurs, et y découvrais Hector, en train de ramasser à la fourche de gros tas de paille. Il ne m'avait pas remarquée, aussi je le regardais, sa première tâche effectuée, en train de converser avec les créatures, puis, il tournait la tête et finalement constata que j'étais là.


« Bonjour, Mademoiselle Hérylisandre. Avez-vous bien dormi ?

- Je vous remercie, oui. Depuis notre départ, c'était bien ma première nuit agréable. Et vous ?

- Peu, mais bien.

- Vous avez l'air de vous y connaître en bête. Je vous regardais faire, vous avez l'air très consciencieux.

- Malgré qu'ils ne soient pas très futés, les flâneurs méritent quand même que l'on prenne soin d'eux. Et c'est l'avis d'un connaisseur : avant d'être pris au service de Monsieur le baron, j'étais palefrenier ; alors les montures et les créatures domesticables de Mithreïlid, j'en connais un sacré rayon.

- Je n'en doute pas une seule seconde. J'étais interrompue par un grognement d'estomac.

- Je vais aller me charger de votre repas.

- Merci beaucoup ! Savez-vous où est mon escorte ?

- Oui, ils dorment au rez-de-chaussée du baraquement, juste à droite de l'écurie quand vous en sortez. Je vais me mettre aux fourneaux, je vous laisse le temps d'aller réveiller vos hommes, vous pourrez prendre place dans la grande salle.

- Merci Hector. Rien ne vous échappe ! »

 Il ne me répondit pas, et fila en direction de la demeure, tandis que je me rendais dans la dépendance où dormaient mes gardes. Le confort de leurs quartiers était bien moins appréciable que celui dont j'avais pu jouir cette nuit. Le plancher était en sale état, leurs lits étaient de simples paillasses... Je me rendais bien compte de la distinction que l'on accordait ici, en fonction du rang social dont on disposait. Je réveillais calmement mon escorte, les invitant à me rejoindre dans la grande salle à venir manger. Avant qu'ils n'aient émergé, je repartais en direction de la bâtisse principale.


 Le long vestibule d'entrée donnait sur plusieurs pièces, que nous n'avions pas exploré ni même deviné l'existence la veille. L'ambiance intérieure, du fait de notre heure d'arrivée tardive, était déjà assombrie du fait de l'exposition de la façade, qui est à l'opposé du regard ensommeillé de l'astre du jour. Mais le soleil du matin éclairait d'un bel éclat le hall, dont les décorations en verre et en or scintillaient, frappés par la lumière pâle et timide d’un soleil se réveillant timidement.


 Plusieurs portes ouvraient les accès à davantage de couloirs, similaires à celui qui amenait à la chambre où j'avais dormi. Mon seul repère pour me déplacer ici était l'odeur parvenant d'un des défilés, en suivant la fragrance, j'étais convaincue que j'allais arriver à la cuisine. Ce corridor-ci, n'avait pas un sol en parquet, mais était constitué de pierres taillées et grossièrement lissées, par ailleurs, les murs n'étaient pas meublés du moindre tableau ou sculpture, ainsi, le couloir était simplement illuminé par des chandeliers de facture modeste. Il devait donc s'agir de l'accès des domestiques ; tel que j’avais constaté plus tôt, le baron semblait grandement juger les gens par leur appartenance sociale, cela compte tenu du peu de soin esthétique apporté à cet espace en particulier.


 Je continuais à avancer, jusqu'à découvrir la pièce que j’espérais bien dénicher. Seulement gardées d'un portillon en bois à mi-hauteur, la cuisine et ses odeurs s'offraient à moi ; il y siégeait Hector, qui s'activait à préparer plusieurs mets, je l’observais faire et plutôt que de lui imposer une énième discussion, je me contentais de faire demi-tour et d'aller me poster face à la grande cheminée réchauffant l'atmosphère de la salle à manger.

 Quelques instants après moi, mes gardes rejoignaient à leur tour la pièce, et après avoir rapidement inspecté les lieux tout comme je le faisais, allaient s'installer autour de la table, encore un peu floutés par la torpeur ; seulement quelques minutes plus tard, Hector arrivait lui aussi, poussant un chariot sur petites roues garni de gelées en tous genres, de pains et de brioches, ainsi que de certains fruits jaunes que je n’avais pas pu goûter chez moi. Le plateau en-dessous soupesait plusieurs boissons chaudes que le majordome déposait délicatement sur la table, et dont il proposait le service d'abord à mes gardes, puis il s'approchait de moi, toujours tournant le dos à l’âtre me réchauffant, et me demandait si je souhaitais aussi boire une infusion ou un lait chaud. Je lui répondais et allais aussitôt prendre place sur une chaise.


  Une fois servie, l’homme à tout faire disparut de la pièce sans dire un mot, tandis que je me lançais sur la dégustation de ce petit-déjeuner. Je ne cessais de repenser au problème que j'allais devoir régler, et de la façon dont mes prochains hôtes allaient-ils pouvoir me recevoir. Le repas terminé, nous partions en saluant Hector, qui venait de faire sortir nos montures de l'étable, tout en lui demandant de bien vouloir remercier le baron pour son hospitalité, constatant que ses propos de la veille s'étaient vérifiés, et qu'il dormait bel et bien encore.

 Je montrais le plan annoté à mon escorte, dont les membres en prenaient rapidement connaissance, et, sans plus attendre, nous quittions le village, et partions en direction du hameau voisin, où il me fallait entendre la version d'un autre des prétendants de la fameuse mise, objet du litige que j’étais venue résoudre.


 Le chemin bordé d'arbres que nous suivions depuis avoir bifurqué, semblait enfin déboucher sur des habitations qui apparaissaient à l'horizon, aussi croisions-nous déjà des locaux, qui cette fois-ci, ne nous dévisageaient pas, mais nous saluaient, ils nous avaient même renseigné quant à l'endroit où nous pourrions trouver l'homme mentionné dans la missive. Une fois que nous avions atteint l'entrée du village, nous descendions de nos flâneurs, et continuions à progresser à pied.

Ici, les demeures quoique modestes, n'étaient pas aussi délabrées et mal entretenues que celles qui constituaient le bourg du hameau où nous avions été reçus la veille. Les habitants par ailleurs, étaient bien moins méfiants et beaucoup plus aimables que tous ceux que nous avions rencontrés jusque-là. Nous attisions la curiosité de certains, qui nous demandaient d'où venions-nous, et pourquoi étions-nous ici. À chaque fin qu'une brève conversation s'achevait, on nous rappelait l'emplacement où nous pourrions trouver le chef du lieu. Aussi, je me sentais bien plus à l'aise et pouvais me décontracter tandis que nous avancions, accompagnés d'enfants, en direction de l'atelier de façonnage, qui semblait être la demeure et le local de travail de l'homme que je recherchais.


 Les chaumières faites de bois et de pierre, étaient semblables en tout point les unes avec les autres ; tant et si bien, que je fus surprise, une fois arrivée devant l'édifice que l'on m'avait décrit, de constater que le chef du village, ne possédait pas une habitation différente de celles des autres résidents du hameau. Sa maison, comme toutes les autres, était un bâtiment de deux étages, dont le rez-de-chaussée, était aménagé d’un porche, sous lequel était abrité l'atelier, constitué d’un large pan de bois bloquant l'accès depuis la rue, et dont le local était meublé par divers plan de travail en pierre, et d'une forge dont les braises vives donnaient au lieu un éclat orangeâtre et une odeur agréablement chaleureuse. Celui pour lequel mon escorte et moi nous étions déplacés, était d'ailleurs en train de s'activer à vider des seaux remplis de métal en fusion dans des moules.


 L'homme suait à grosses gouttes : il effectuait des allers-retours ininterrompus entre le fourneau et un épais comptoir en pierre, amenant et déversant à chaque fois le contenu ardent qu’il transportait ; il était tellement concentré dans son travail, qu'il ne nous avait même pas remarqué, mais je ne voulais pas le perturber, aussi je le regardais œuvrer avec attention . Ce n'est qu'après avoir déversé le liquide rouge vif dans un énième contenant en plomb, qu'enfin, l'homme déposait ses outils, se passait un tissu sur le visage, épongeant la transpiration qui dégoulinait de toute part, et tournait son regard vers moi.


« Holà. Il semblait tomber des nues. Bonjour mademoiselle, puis-je vous aider en quoique ce soit ? M'interrogeait-il d'un ton doux et d'une voix étrangement fluette.

- Hé bien... J'étais un peu éberluée à mon tour. Bonjour ! Je m'appelle Hérylisandre, j'ai été envoyée ici pour vous rencontrer, afin d'empêcher le litige qui vous oppose à vos voisins de dégénérer.

- Ah c'est vous ? Je n'imaginais pas quelqu'un d'aussi... Il m'inspectait de haut en bas, arrêtant son regard sur mon visage. Jeune. Bredouillait-il, comme s'il était gêné. Sans que cela ne soit en aucun cas un problème bien entendu !

- Si vous avez un doute... Je farfouillais dans mon baluchon, et en extrayais la missive. Voici l'ordre signé qui me fait me déplacer.

- Oh. Il saisissait avec délicatesse le bout de papier de ses épaisses mains, en lisait les premières lignes puis me le rendait. Je ne doutais pas de vous. Il ne disait plus rien.

- Je... Plus un mot ne me venait non plus.

- Je... Il semblait aussi troublé que moi. Je manque à tous mes devoirs, vous vous présentez, et je ne le fais même pas. Je m'appelle Urghal, et comme vous le savez déjà, je suis en charge de cette bourgade. Il se grattait la tête, jetait un coup d’œil vers les montures. Si vous voulez, je peux conduire vos hommes à nos écuries, comme ça, vos montures pourront se reposer, qu'en dîtes vous ?

- Oui c'est une excellente idée, néanmoins, peut-être pouvez-vous indiquer la direction des écuries à mon escorte, tandis que nous... Je me perdais dans mes songes. Tandis que nous discutons de cette affaire, non ?

- Oui, vous avez sans doute raison, vous n'avez sûrement pas énormément de temps à nous consacrer. Il quittait l'atelier en soulevant une partie amovible du comptoir en bois, s'avançait vers nous, et désignait à mes hommes une large bâtisse, seulement quelques mètres plus loin, l'un des membres de mon escorte récupérait les rênes de ma monture puis, mes trois gardes nous laissaient. Je me rince un peu, puis nous irons à l'intérieur converser, si cela ne vous dérange pas.

- Non non... Faîtes donc.

- Merci. L'homme retournait sous le porche, ôtait son tablier en cuir, me permettant d'admirer sa musculature alléchante, tandis qu'il plongeait ses mains dans un baquet d'eau, dont il s'aspergeait le corps afin de se rafraîchir ; me rendant compte que j'étais en train de loucher sur le corps du façonneur, je me retournais en direction de la rue, gênée. J'ai fini, excusez-moi.

- Aucun souci... Lançais-je, en pivotant à nouveau face à mon interlocuteur, qui était en train de se sécher la peau à l'aide d'un drap. J'espère ne pas vous interrompre dans votre ouvrage...

- Oh, vous savez, je ne peux pas faire davantage pour le moment. Le fer doit refroidir avant que je ne continue. Aussi, vous ne pouviez pas mieux tomber. Il me rejoignait dans la rue. Suivez-moi, vous serez mieux à l'intérieur.

- Je vous suis de ce pas. Nous faisions quelques pas contre la bâtisse avant qu'il pousse une large porte en bois, il m'invitait à entrer.

- Je suis désolé, ce n'est pas fantastique ici, mais c'est chez moi. »

 Il est vrai que comparativement à la demeure du chef du village précédent, l'habitation de mon hôte était beaucoup plus modeste. La porte que nous avions franchie donnait sur un petit vestibule faisant aussi office de salle à manger. Le sol du lieu n'était pas vêtu de tapis ou paillasse, aussi mes pas résonnaient sur les dalles de pierre, tandis que dès le premier coup d’œil, je constatais que les meubles en bois qui garnissaient la première pièce étaient tous usés, marqués par le temps et ses outrages. Aucune babiole superficielle n'avait sa place ici, aussi l'atmosphère de ce salon était agréable, je n'avais pas l'impression de me balader dans un musée et de devoir attendre que l'on me dise où devais-je me mettre, d'ailleurs, rapidement l'homme me proposait de m'asseoir sur un siège en bois brut, dont l'assise était rembourrée d'un coussin moelleux. J'observais, confortablement installée autour de moi tandis que le forgeron avait quitté le séjour.


 Les seules décorations qui ornaient murs et meubles étaient des objets forgés que mon hôte avait dû lui-même fabriquer : des armes en tous genres, des boucliers et pavois, des armures et plastrons, des armoiries et j'en passe... Seulement, parmi toutes les lames et protections qui trônaient ici, une m'interpella tout particulièrement. Je quittais mon fauteuil pourtant confortable, et déambulais en direction de l'espadon qui avait attisé ma curiosité. Ce dernier était fixé au mur, maintenu par trois chevilles en fer forgé ; je me retournais vers l'endroit où avait disparu l'homme, il n'avait pas l'air de revenir, aussi, je m'approchais de l'immense arme. Quelque chose émanait d'elle, une vibration frénétique, la faisant bourdonner, comme si elle voulait se libérer de ses attaches, et quitter ce mur.


 J'allais poser ma main sur la fusée de l'arme, mais j'hésitais et reprenais le temps d'inspecter l'objet qui animait ma curiosité. L'accroche que j'avais voulu saisir était recouverte d'une bande de tissu épaisse, tressée et sertie d'éclat de minerais, la poignée était assez grande pour y accueillir deux mains, la lame quant à elle, était plus longue que la commode au-dessus de laquelle elle était exposée ; je pense que l'immense épée devait presque mesurer ma taille. N'étant moi-même pas très habile avec le maniement des armes de manière générale, je me demandais quand même qui pouvait réellement être apte à soulever une épée de ce gabarit. Le grésillement parvenait toujours de l'espadon, qui me paraissait toujours chercher à se détacher de ses attaches murales. Je me laissais finalement tenter, j'empoignais le pommeau d'une main, tandis que de l'autre, je soupesais le tranchant.


 J'ôtai avec précaution la partie à mon opposé de sa cheville de fer, aussi le poids de l'arme n'allait pas la faire chuter en avant, puis, je soulevais délicatement la partie médiane de son attache, et bien que je crusse avoir réussi à empêcher que l'espadon ne tombe, ce dernier seulement maintenu par la dernière cheville, fut entraîné par son propre poids vers les dalles de pierre. Dans la panique, j'avais amené ma deuxième main sur la poignée afin d'éviter que l'épée ne m'échappe complètement, mais son poids était bien au-delà de mes expectations. De ce fait, et hélas, la pointe rencontrait désormais le sol de pierre robuste, seulement, au moment où je ne craignais que l'acier ne se brise, la lame traversa la pierre, et s'y logea comme si de rien n'était.

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