Chapitre XI : Celle qui était à sang pour sang, Partie 1

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 Le cœur a ses raisons que parfois l'âme n'entend pas, parfois, ni le cœur ni l'âme ne font preuve de raison, et dans ce cas-là, les conséquences peuvent être désastreuses. Cette phrase illustrera tristement l'histoire du prodige, dont il est maintenant question. Tout du moins, ce constat explique la naissance et l'enfance complexe qui s'imposeront à cette jeune fille.


 Dans une misérable bourgade, dans la zone centrale de Mithreïlid et non loin de la jeune cité de Bourg-en-Or, vivaient deux adultes qui tendaient à n'effectuer que des sales coups de leurs malheureuses existences. Ces derniers avaient dû interrompre leurs activités peu recommandables pour une longue durée de neuf mois, et se voyaient enfin libérés d'un fardeau auquel ils ne pouvaient pas faire face. En effet, ce duo mixte de criminels avait été confronté à la conséquence, que des ébats trop fréquents peuvent engendrer : une grossesse non-désirée.

 Seulement, même les mauvaises choses ont une fin, de leur point de vue en tout cas. Tant et si bien, qu'après avoir accouché et donné vie à leur petite fille, d'un commun accord, la mère comme le père, décidèrent sans délai et sans hésitation à abandonner le nourrisson à la porte d'un orphelinat de la région, et à filer sans même attendre que l'on puisse savoir qu'ils étaient les parents du bébé laissé sur le perron de cet établissement lugubre.


 À l'image de tout ce village, le pensionnat en question était une bâtisse, dont les toits n'étaient pas plus étanches qu'un feuillage d'arbre, et dont les murs étaient marqués de lézardements, qui balafraient l'édifice comme pour amplifier la morne atmosphère qui se dégageait du lieu. Tout tombait en ruine, et si seulement l'aspect incommodant pouvait dégrader la réputation de l'orphelinat, le personnel qui y travaillait était de la pire espèce, il n'était composé que de bandits qui avaient trouvé le bon plan pour se faire discrets et pour se donner un alibi, durant leurs sales coups.

 Bien entendu, en plus des sommes volées, le responsable du lieu, ne se gardait pas de faire patte blanche lorsqu'il était l'heure d'empocher sans vergogne l'argent attribué à la réfection du logis ou au bien-être des malheureux enfants qui, abandonnés en premier lieu, se verraient rapidement devenir pickpockets ou voleurs à la tire dès lorsqu'ils seraient capable de courir suffisamment vite pour échapper aux gardes. L'organisation criminelle se voyait donc s'agrandir à chaque fois qu'un couple décidait de rejeter leur rejeton, grossissant ainsi les rangs des malfrats. Les gamins abandonnés n'étaient en aucun cas éduqués ou même élevés, on les nourrissait, on leur bourrait le crâne d'envie de richesse et il n'y avait plus qu'à laisser l'ignorance et la peine amener l'enfant à devenir bandit, comme si ce choix lui appartenait et qu'il y avait réellement un intérêt à suivre cette voie.

 Plus qu'orphelinat, cette bâtisse malsaine était à la fois un dortoir, une planque, un bordel et un centre d'entraînement aux nouvelles recrues. C'était donc sur le seuil de cette porte que venait d'atterrir le bébé, enturbanné dans une guenille à peine propre, hurlant comme un animal affamé. Bien sûr qu'on la récupéra, bien qu'elle fut encore nourrisson, après tout, plus tôt on arrivait dans cet espace sordide, plus simple était l'endoctrinement, et le fait qu'elle ne connaissait pas ses parents aiderait encore plus à la détacher de la morale et au besoin d'affection que nécessite tout enfant.

 Aussi, la gamine toute potelée et encore fripée fut nourrit aux seins des prostituées du lieu, qui elles aussi, donnaient leurs enfants à l'orphelinat, contentes de pouvoir continuer à pratiquer les actes sexuels tarifés sans avoir un bébé qui crie dans la même pièce, cela aurait sûrement couvert leurs simulations auditives et gâché le plaisir de certains clients. Ainsi, la gamine eut la sensation d'avoir plusieurs mères, jusqu'à ce qu'enfin elle est l'âge de pouvoir avaler et mâcher une bouillie abjecte dont on aurait pu rassasier des cochons ou des montures, mais rien d'autre.

 C'est seulement à ce moment-là, qu'elle fut donc amenée à rejoindre l'étage du pensionnat dans lequel séjournaient des gosses de tout âge, tous cabossés, le regard froid et l'âme déjà remplie de mauvais souvenirs. Il faut dire que les bambins étaient rapidement amenés à croiser des femmes peu habillées, voire en train d'effectuer une fellation ou un quelconque acte sexuel dans un étage autre que celui qui leur était attribué ; ou encore de se retrouver nez à nez avec un bandit qui venait mourir devant les portes ou dans les escaliers, le corps criblé d'impact de lames et dégoulinant de sang.

 Le tout dans une ambiance sauvage et infâme où la rivalité et les coups bas sont monnaie courante, même entre les plus jeunes pensionnaires du local, qui étaient souvent amenés à se battre pour avoir de quoi manger - aussi mauvaise que la nourriture pouvait être - , tout était ici pensé afin que les enfants rentrent d'eux-mêmes dans la voie de la criminalité et de la violence. La gamine en question n'y échappa pas. La seule différence qui se manifestait était sa capacité de guérison immédiate, qu'il s'agisse de plaies ou de bleus, la petite fille encaissait les coups mais aucun ne la marquait, sa peau s'entaillait sans cesse, mais à chaque fois cicatrisait.


 Ce talent ne manqua pas d'intéresser les lieutenants de l'organisation, puis leur chef, qui était pourtant un homme irascible et difficilement impressionnable, néanmoins l'enfant lui donna des frissons, aussi prit-il rapidement la décision de la mettre directement sous son aile, afin de lui procurer un entraînement plus strict et plus douloureux. Il lui apprit à manier toutes les armes que Mithreïlid comptait, sabre, dague, marteau, hache, arc, lance.

 Bien entendu, l'enfant eut du mal à emmagasiner directement ce flot de techniques, aussi le dirigeant lui fit regretter ses failles à coups de fouet et de poing ; aussi la gamine, chaque jour suait eau et sang, tant et si bien, qu'un jour la lueur vive qui jusqu'à lors brillait au fond de ses yeux, s'éteignit.

 Les persécutions qu'elle subissait au quotidien auraient dû lui faire renoncer mille fois, la violence qu'elle épongeait aurait dû lui donner l'envie de fuir une bonne fois pour toutes hors de ce cauchemar, mais au fond d'elle, un feu brûlait, et à chaque fois qu'elle recevait un châtiment et que ce brasier aurait du s'éteindre, son cœur s'embrasait de plus belle, et faisait grandir en la jeune fille, une soif inextinguible de revanche, un désir de vengeance brutale et sanguinaire, un acte qu'elle aurait pu voir dans son pire cauchemar, mais dont elle rêvait désormais, jour et nuit.

 Les premiers cycles de sa formation furent les plus dures pour elle, arriva un jour où on lui attribua un nom de code, car un prénom aurait sûrement fait ressentir à la non-nommée un sentiment d'affection, et il était clair que les seules choses qu'on voulait lui faire ressentir était la servitude et la peine. Aussi la nomma-t-on Lyore. Juste Lyore.


 Lyore fut donc amenée à chaparder dans les marchés de la région, avant d'être finalement déplacée à Bourg-en-Or où, plutôt que d'extorquer des biens sur les étals marchands, on lui confia le vol d'or et de bijoux, qu'elle pouvait effectuer avec une habilité et une dextérité hors du commun. Assez rapidement, à la manière des autres prodiges du continent, elle allait devenir célèbre, mais seulement si vous cherchiez à mettre la main sur une grosse prime d'or en échange de la capture de cette enfant terrible, dont les portraits colorés et affichés sur les murs de toutes les bourgades et tous les hameaux avoisinants, ne laissaient apparaître que les pointes mauves de la tignasse encapuchonnée de la gamine, pas de nom, pas d'âge, juste des cheveux mauves et une capuche.

 Des décrets furent même créés, ces derniers consistant à interdire le port de capuche ou bonnet aux enfants de sorte à ce que l'on puisse rapidement identifier dans les détails la voleuse, cela faisait déferler les hérauts et conteurs à l'égard de la jeune chapardeuse inconnue. A l'âge de huit cycles, la gamine était déjà la criminelle la plus recherchée de cette région. Il faut dire que cette zone de Mithreïlid était ni trop au Nord, ni trop au Sud, ni trop à l'Ouest, ni trop à l'Est du continent, pour ainsi dire, Bourg-en-Or avait été construit afin de créer un marché géographiquement central dans lequel on pouvait trouver des biens provenant de toute part du Monde.

 Cela avait pour effet d'attirer les voleurs de toute part du continent, bien entendu, mais les gardes étaient solidement équipés et recrutés pour leurs exploits contre des créatures ou pour leurs capacités au combat, aussi, seuls les meilleurs bandits parvenaient à effectuer des larcins dans cette zone, mais ils étaient peu, tandis que la prison de Bourg-en-Or, débordait de criminels de pacotille. Bien que certains marchands se faisaient piller, des touristes et clients extorquer et dépouiller, la milice locale continuait de rassurer les âmes de passage au vu du nombre de sales coups qu'ils mettaient à mal. L'équilibre fut respecté jusqu'à l'arrivée de la gamine, qui assombrit rapidement le ciel doré de la cité commerçante.

  Cependant, pour le chef des bandits, l'enfant était une aubaine, car les caisses de l'orphelinat se remplissaient à grande vitesse. L'homme ne fit qu'une chose pour la gamine, il modifia ses repas afin qu'elle mange de vrais aliments, attisant la haine de tous les autres membres du pensionnat, constatant un traitement de faveur et amenant à des coups tordus dont Lyore était la cible. Cependant, la gamine était toujours munie d'une dague sur elle, qu'elle enfouissait dans sa chevelure, ainsi grâce à la fine lame brillante elle déjoua de manière sanglante chacune des tentatives d'agression dont elle fut victime.

 Si les assauts se passaient au sein de l'orphelinat, comme tous les corps qui tombaient entre ses murs, ils disparaissaient rapidement, pour les embuscades qu'elle essuyait alors qu'elle était en mission, les gardes finissaient par conclure qu'il s'agissait de règlements de compte qui avaient mal tourné et terminaient leurs enquêtes par des phrases toutes faites telle que « Au moins nous n'aurons pas à le faire ».


La petite fille s'était faite à ce quotidien où elle devait rôder telle une ombre où qu'elle soit, et se méfier de tout le monde. Après tout, Lyore n'était pas très entourée, du simple fait qu'elle n'avait pas appris à parler et se contentait donc de communiquer par des gestes parfois trop vagues pour que les idées de l'enfant soient réellement cernées. Même si elle voyait parfois les autres mioches se rapprocher les uns des autres et jouer entre eux plus rarement, elle n'avait aucun goût à cela et ne les enviait en rien. Pour elle, il n'était qu'une question de temps avant de pouvoir se rendre au dernier étage de l'orphelinat et de trancher la gorge du chef, mais elle ne se précipitait pas.

 Dans ses moments d'égarement, Lyore jouait en s'ouvrant le bout des doigts à l'aide de sa lame, dessinant sur le mur près de sa paillasse avec son sang. Au début elle avait eu peur de ce liquide rouge, qui apparaissait souvent lorsque la mort rôdait non loin, mais elle avait rapidement compris que son sang et celui des autres n'avaient pas la même valeur. Celui des autres venait souvent à manquer tandis que le sien, était intarissable.

 C'est d'ailleurs en dessinant qu'elle découvrit une chose incroyable, une chose qu'elle seule savait faire : tandis qu'elle marquait la pierre de son sang, une aspérité rugueuse la surprit et l'endolorit, elle effectua un mouvement vif tandis que le liquide écarlate perlait de son doigt. Les gouttelettes rejetées se figèrent immédiatement et suivirent la direction qu'avait pris sa main, allant percer le mur à son opposé, elle se leva pour constater que c'était bien son œuvre, et décida d'expérimenter ce nouveau talent.

 La fillette se hâta de sortir du bâtiment morne afin de rejoindre le parc, en tout aussi piteux état que la bâtisse. Seuls les lieutenants appelaient cet immense jardin en friche le parc, en effet, les aspects verdoyants et soignés dont on pourrait espérer jouir en se baladant dans un espace vert, étaient totalement inexistants, voire à l'extrême opposé. La pelouse avait jauni dans son ensemble, sauf bien entendu où elle avait disparu, faisant de ce terrain, un patchwork de terre battue et de gazon presque mort, les fleurs avaient séché et les arbres dépéri.

 Un petit étang était dissimulé derrière ce qui devait auparavant être un petit bosquet, mais qui n'était désormais plus qu'un amas d'arbres flétris, dont les branches mortes jonchaient le parterre, et dont l'apparence s'avoisinait plus à celle d'un roncier. Lyore avait longtemps imaginé comment pouvait être cet endroit avant que la pègre ne s'y soit installée ; un lieu serein et revigorant, aujourd'hui ce n'était plus qu'un champs de bataille végétal, abandonné. La jeune fille longeait le point d'eau croupis, dont émanait une odeur pestilentielle provenant des multiples cadavres de poissons et d'oiseaux en décomposition à la surface huileuse de l'eau .

 Derrière le bassin pourrissant, un talus s'élevait sur quelques mètres, avant qu'enfin les murs d'enceinte en pierre moussue du lieu se profilent devant la gamine. Elle était ici suffisamment isolée et cachée afin de pouvoir apprendre à se servir de son nouveau pouvoir.


Lyore attrapa la dague qu'elle avait en permanence sur elle, et se coupa l'une après l'autre ses petites mains cornées, de l'index au poignet. Bien entendu, ce n'était plus des gouttes qui quittaient sa chair meurtrie, mais des filets épais qui faillirent la faire vaciller, jusqu'à ce qu'elle se concentre sur autre chose que son ressenti, et qu'elle se rappelle de la propriété unique de son sang.

 Aussi, alors que l'hémoglobine tachait en deux flaques la terre et l'herbe, les plaies cessèrent en un instant de saigner, Lyore se mit alors, à l'aide de chacune de ses mains à dessiner des cercles au-dessus des amas rouges et pâteux ; en premier lieu la surface rougeoyante se stria de vaguelettes et de remous, puis, telle qu'elle le désira, le résultat ne se fit pas attendre et lentement, deux tourbillons écarlates se soulevèrent du sol, la gamine s'extasia devant cela, et de ce fait, le sang retomba.

 Elle recommença la manœuvre, et ce n'est qu'une fois que les vortex écarlates eurent atteint la hauteur de la jeune fille, que cette dernière les empoigna, tout en ayant à l'esprit l'apparence de sabres, aussitôt que ses doigts eurent saisi les flux, ils se figèrent, et leur apparence se modifia. Bien que la transformation ne fut pas parfaite, la gamine battait désormais l'air avec ses deux cimeterres, tournoyant sur elle-même, s'inventant des cibles invisibles, qu'elle tranchait en courant dans tous les sens ; mais son esprit instable et curieux ne maintint pas l'idée du sabre, et les armes changèrent d'aspect, Lyore tenait désormais d'une main un bouclier et de l'autre une épée courte.

 Elle prit différentes poses, tout en modifiant dans son esprit les formes du glaive et de l'écu qu'elle tenait, outre l'amusement que cela lui procurait, elle songeait aux possibilités illimitées que lui conférait ce pouvoir. Restait à prouver que ces matérialisations pouvaient vraiment se rendre utiles, car si au contact d'une cible, elles redevenaient liquides, cela ne servirait à rien.

 Aussi pensa-t-elle à une nouvelle forme, les deux créations sanguines se rejoignirent, se mélangèrent et une longue lance apparut, la fille saisit le manche et voulut essayer de manier le javelot bien qu'il lui parut trop grand à première vue, Lyore n'eut en réalité aucune difficulté à le soulever et à le projeter dans un tronc d'arbre qui fut transpercé de part en part.

 La lance disparut tandis que le visage de la jeune fille venait de se marquer d'un large sourire, peut-être était-ce un coup de chance, aussi, elle se lacéra son avant-bras afin de générer à nouveau du sang ; avant que le liquide n'eut le temps de couler et de toucher le sol, elle pointa la plaie du bout d'un doigt, et se mit à dessiner un espadon qui devait faire deux fois sa taille, encore une fois, l'idée dans sa tête était claire, mais elle n'arrivait pas à donner la forme exacte à la matérialisation, l'épée longue flottant dans l'air, était un peu biscornue, la lame un peu tordue.

 Néanmoins, Lyore saisit quand même le pommeau à deux mains, un peu effrayée par le poids que cette arme devait faire. Une fois de plus, malgré la taille et l'épaisseur de l'arme, son poids était quasi nul, elle fit mouliner la lame dans le vide, faisant des acrobaties et sprintant, jusque là, tout allait très bien, cependant, trancher l'air c'était une chose, mais découper quelque chose de solide en était une autre. Il lui fallut donc se diriger vers un arbre mort chétif, afin de tester le tranchant de son espadon. Le tronc large d'à peine le diamètre d'un poignet humain, ne résista pas et se coupa comme une feuille de papier sous la lame d'un couteau bien aiguisé. Mais cela ne voulait rien dire. Aussi Lyore chercha une cible bien plus épaisse.

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