Chapitre IL : La Fureur des Léviathans, Partie 3

9 minutes de lecture

 Mon léviathan se rapprocha de l'entaille creusée à même ma chair et tendit sa langue pour en glaner le liquide. La réaction ne se fit pas attendre, et aussitôt eut-il ingéré mon sang, que ses bois en os s'allongèrent, leurs pointes s'affinèrent, les quelques fleurs sur son dos grossirent, des lianes vinrent entourer ses cornes, et ses yeux s'illuminèrent d'un rouge vif. La créature brama et frappa frénétiquement le sol de ses pattes, comme si elle revivait.


 « Voilà qui me permettra de vous aider dans votre tâche. Notre pouvoir est unique Teïnelyore, tu le sais, n'est-ce-pas ?

– Je suppose, oui. Lançais-je, à moitié convaincue. Après si tu pouvais me clarifier la chose, je ne suis pas contre non plus.

– Mon pouvoir est lié à toi, et à mon origine, qui elle aussi dépendait de toi. Si tu possèdes la vie éternelle, et la capacité de régénérer n'importe laquelle des blessures, mes pouvoirs sont eux, complémentaires aux tiens. Néanmoins, ils sont à double-tranchant. Mon premier don consiste à insuffler la vie ou en tout cas renforcer toute chose qui vit. Mon second don est à l'inverse du premier, et pour ainsi dire... Je peux diminuer la force vitale d'un être vivant et même aller jusqu'à étendre les ailes de la mort sur ma cible.

– Tu pourrais tuer n'importe qui, ou n'importe quoi ? Juste comme ça ? L'interrogeait Evialg.

– En quelque sorte oui. Cependant, ce pouvoir je ne l'utilise que lorsque la mort se traduit par l'apaisement. Je ne suis pas déraisonnable de nature, et c'est ce pourquoi Teïnelyore et moi sommes liés et pourquoi nous avons été jugés gardiens de la Vie et de la Mort, voilà pourquoi nos pouvoirs nous ont été confiés. Malgré nos forces incommensurables, nous avons été jugés aptes à les maîtriser et à ne pas en user de mauvaise manière.

– Gna... Euh, Teïnelyore raisonnable... J'aurais tout entendu ! Elle reprenait. Donc les Dieux et les Léviathans de Mithreïlid ont reçu leurs attributs en fonction de qui ils étaient ?

– Oui, c'est ça. Aucun de nous n'a été choisi au hasard, si c'est l'arrière-pensée de ta question.

– C'était ça, oui.

– Je ne comprends pas pourquoi les léviathans veulent-ils alors détruire Mithreïlid à l'heure qu'il est. M'insurgeais-je. S’ils ont été choisis pour représenter un aspect de la vie et une valeur de Mithreïlid... Pourquoi aujourd'hui se conduisent-ils de la sorte ? Pourquoi ne m'écoutent-ils donc pas ? Rageais-je, consciente que je n'avais rien à me reprocher.

– Je pense qu'ils sont corrompus, ou que leurs esprits sont troublés par des sentiments et des émotions qu'ils ne contrôlent désormais plus.

– Un léviathan peut survivre même si son... Evialg cherchait ses mots. Même si son alter ego décède ?

– Il le peut, en effet. Bien que nos paires aient été configurées de façon à ce que nous nous raisonnions mutuellement, la fin de l'un n'empêche pas la survie de l'autre. C'est d'ailleurs peut-être une erreur, à en juger par ce qu'il se passe aujourd'hui.

– Pourquoi dis-tu ça ? Cyclion et Nautilia ne sont plus de ce monde ? S'étonnait Evialg.

– En quelque sorte oui. En tout cas, si elles sont encore vivantes, ce dont je doute fortement, je pense qu'elles ne laisseraient pas les choses ainsi se passer.

– Comment ça en quelque sorte ?

– Il y a bien des mystères qui sillonnent Mithreïlid et qui régissent l'équilibre du continent sans que nous ne les décelions, ni même les imaginions. Néanmoins, en parler maintenant me semble un peu déplacé, les Léviathans que tu as croisés, s'apprêtent à engloutir les côtes occidentales de Mithreïlid. Si vous souhaitez empêcher cela, nous devons nous y mettre maintenant.

– Il le faut ! Lançait Evi'.

– Cette catastrophe ne doit en aucun cas avoir lieu, alors allons-y. »


 Suivant la balafre dans la forêt que ma projection avait taillée, nous courions jusqu'à atteindre une nouvelle fois la falaise, retrouvant les deux Léviathans, eux-mêmes scrutant l'océan, la tornade s'était évanouie, et les deux monstres ne semblaient pas avoir décelé notre présence. Sans que nous ayons à nous dire quoi que ce soit, Evialg saisit mes poignets et commença à tourner sur elle-même, avant de m'envoyer en direction de la baleine volante sur laquelle je retombais avec lourdeur, m'enfonçant mollement sur la surface gluante de la créature. Je me retournais vers l'île, et constatais grâce à l'obscurité ambiante, que les yeux de mon léviathan s'étaient illuminés d'un rouge plus vif que quelques instants auparavant, tandis que le serpent marin, se retrouva ligoté au même instant par une multitude d'algues anormalement longues et épaisses.

 Evialg avait sauté en direction du dragon de mer immobilisé, et semblait chercher à le museler à l’aide des lianes aquatiques générées par mon Léviathan. Je me mis à courir sur le dos du boudin volant, sautai au-dessus d'un immense trou d'où parvenait un courant d'air malodorant et finissais par atteindre sa face plate. Je ne voyais pas de quelle façon pouvais-je gêner cette bête aussi grosse. Je fis alors demi-tour, et plongeai tête la première dans le conduit puant et visqueux que j'avais auparavant enjambé.

 Les parois lubrifiées me permettaient de glisser, jusqu'à ce que j'atteigne ce qui devait être la gueule de cette immense bestiole. Je laissais mes ailes se déployer afin d'y voir un peu plus clair. Je pataugeais dans une mare épaisse qui sentait le poisson pourri. Face à moi, de longues tiges blanches garnissaient la gueule de la bête, l'intérieur rouge était sillonné par un air chaud ignoble, aussi me dis-je que je devais faire vite avant d'être asphyxiée à cause de l'odeur putride. Je me concentrais pour réussir à communiquer avec la bête sans avoir à parler.

 « Tu m'entends ? Arrives-tu à entendre mes pensées ?

– Où es-tu passée misérable et minuscule créature ?

– Dans ta bouche, grosse maline. Tu ne me laissais pas le choix.

– Tu ne vas pas y rester longtemps, je vais t’éjecter sans plus attendre. »


Aussi tôt la créature m'avait-elle communiqué ceci, que l'air autour de moi se pressurisa, la créature venait de se mouvoir et je ressentis l'impact violent de son entrée dans l'eau, avant de voir les longues tiges pâles se séparer les unes des autres, cela de haut en bas et de bas en haut ; jusqu'à ce qu’une grande quantité d'eau commencer à s’infiltrer dans l’immense gueule nauséabonde. Sans plus attendre, je m'agrippai à une énorme boule qui pendait au plafond écarlate, l'eau iodée qui désormais occupait tout l'espace, était aspirée en arrière, aussi je m'y accrochais, du mieux que je le pouvais. Le liquide sous pression était propulsé par le conduit par lequel je m'étais infiltrée, enfin, le niveau aqueux diminuait, jusqu'à ce qu'enfin, je puisse à nouveau respirer.


 « Je suis toujours là, et tu ne te débarrasseras pas de moi comme ça. Pensais-je.

– Que veux-tu à la fin ? Tu t'agrippes à moi, comme une balane à ma peau, sinistre parasite.

– Je te l'ai déjà dit, mais tu ne sembles pas avoir écouté. Je veux que vous cessiez immédiatement votre abject projet. Cessez de vouloir noyer les habitants de Mithreïlid !

– Ils ne méritent pas de vivre, et si je dois te gober avant de pouvoir effectuer ma tâche, je le ferais, Déesse ou pas Déesse. Par ailleurs, lâche ma luette, sombre idiote !

– Et bien moi, je pense que tu vas t'en mordre les... dents. Même si ce n'en sont pas. En attendant, je te le redemande gentiment une fois de plus, mais si tu ne veux pas entendre raison, je serai forcée de t'ouvrir en deux de l'intérieur. Cesse cette folie, calme-toi, et respecte la vie !

– Il serait si simple pour moi de t'avaler toute entière, je ne comprends pas ton obstination. Demeurée.

– Bon, tu commences vraiment à m'irriter toi. »


Je relâchai mon étreinte autour de la boule gluante, et commençais à y mettre des coups de poing rapides et acharnés. Je sentais que le léviathan vibrait sous mes frappes répétées.


 « Tu es sûr de pas vouloir m'écouter ? Je suis tellement en colère, que je pense pouvoir continuer à te cogner des heures durant, tu m’as tellement énervée ! J'avais arrêté de communiquer par les pensées, et hurlais désormais. Alors arrête de faire enrager la météo, et retourne nager avec les poissons, ou dans les airs, peu m’importe !

– Je fais ce que je veux. Me rétorquait la voix basse de la baleine dans ma tête.

– C'est ça que tu ne comprends pas ! Tu ne fais pas ce que tu veux ! Si je suis la dernière Déesse en vie sur Mithreïlid, cela ne m'empêchera pas de veiller au bien-être du plus d'habitants que je le peux. Je martelais de coups la luette de la créature, ses mouvements étaient de plus en plus saccadés.

– Je...

– Tu te tais !! Et tu arrêtes tout de suite cet ouragan ! Je me servais désormais aussi de mes pieds pour asséner des coups. Je te l'ai dit, je n'arrêterais pas tant que tu continueras de vouloir nuire à mon Monde !! Qui est aussi le tien par ailleurs !

– Je vais...

– Tu vas arrêter !!! Je m'acharnais et ne relâchais pas la frénésie de mes assauts, tandis qu'un gargouillis dégoûtant me parvenait aux oreilles.

– Je vais...

– Je te le répète, promets-moi de ne jamais vouloir refaire de mal aux Mithreïlidiens, et j'arrête moi aussi ce que je suis en train de faire ! J'entendais désormais comme un raclement ignoble provenant du fond du Léviathan, une odeur encore plus horrible que toutes les précédentes émanait de l'estomac, je prenais conscience de ce qui allait se passer. Allez ! Ne me force pas à continuer, je suis certaine que tu vas le regretter sinon ! L'intérieur de l'immense gueule se contractait, et la baleine devait être en train de se déplacer, car je devais une nouvelle fois me cramponner à la boule visqueuse pour ne pas finir aspirée dans le gosier putride. Pourquoi ne veux-tu pas être raisonnable ?! Tu vois bien que tu n'auras pas le dernier mot ! Nous avons cependant tous tant à gagner à bien nous entendre, ainsi qu’à faire durablement perdurer l'équilibre et l'harmonie sur Mithreïlid ! M'égosillais-je. »


 La créature venait sûrement d'heurter la falaise car une violente secousse me fit osciller, toujours fermement accrochée à l'appendice buccal du léviathan ; le choc et le mouvement de balancier avaient dû être trop importants, car les bruits écœurants et les fragrances pestilentielles qui provenaient du plus profond de la créature, allaient rapidement se conclure par leur suite logique. La bouche de la bête s'ouvrit en grand, les fanons se délièrent les uns des autres, et, annoncé par un effluve de poisson en décomposition encore plus infâme que ce que j'avais pu sentir jusque-là, un torrent brun et noir surgit à grande vitesse dans ma direction, je m'agrippai alors du plus fort que je le pouvais pour ne pas me faire entraîner par le dégueulis.

 La substance était cependant trop pâteuse et visqueuse, je lâchais prise et finissais par être projetée hors de l'animal, mes ailes étaient trop engluées pour que je puisse les mouvoir, je plongeais directement dans l'océan. Ballottée par les vagues toujours vigoureuses, et n'ayant jamais appris à nager dans un tel courant, je commençais à couler sans réussir à m'extirper de l'eau, cette dernière dont la surface était peu à peu souillée par les litres de reflux gastrique que la créature continuait de régurgiter. Je luttais pour ne pas sombrer, jusqu'à ce qu'une poigne solide me saisisse et me tracte jusqu'à la berge sableuse. Depuis que j'avais pénétré dans la bouche du léviathan volant, c'était ma première vraie bouffée d'air.

 J'avais l'impression de revivre. C'était Evialg, qui, allongée à côté de moi, semblait rassurée de m'avoir extirpée de ce grand bain ; elle aussi prenait de grandes inspirations d'air, tandis qu'au-dessus de nous, la baleine toujours en train de déglutir, semblait perdre de l'altitude, jusqu'à ce qu'enfin, son immense corps percute les eaux peu profondes, et qu'enfin elle cesse de rendre ses précédents repas.

 Tandis qu'elle s'était effondrée, le dragon marin lui, était restreint de toute part par une forêt d'algues et s'en retrouvait aplati contre le sable. Les deux Léviathans maîtrisés, l'océan commençait à reprendre son calme, les lames d'eau s'étaient apaisées et la nue jusqu'alors couverte de sombres nuages, laissait lentement les lunes apparaître et les étoiles scintiller. Notre première tâche qui consistait à éviter qu'un raz-de-marée géant et qu’une tempête incommensurable ne ravagent les côtes occidentales de Mithreïlid était accomplie. Il ne nous restait plus qu'à dialoguer avec les deux créatures, afin de pouvoir les raisonner une bonne fois pour toutes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire EruxulSin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0